L’été cinématographique américain de 1982 a marqué l’histoire du medium, la date du 25 juin 1982 est particulièrement remarquable car elle voit la sortie le même jour de deux films considérés aujourd’hui comme des chefs-d’œuvre dont l’influence se fait encore sentir sur le cinéma contemporain quarante ans après et qui seront pourtant de cuisants échecs commerciaux et critiques à leur sortie. Il s’agit bien sûr de
The Thing de
John Carpenter et du film que nous évoquons ici
Blade Runner troisième film (seulement) de
Ridley Scott.
Blade Runner s’est fracassé contre le triomphe du bienveillant
E.T sacré par des Etats-Unis en pleine révolution Reaganienne mais aussi car le public fut désarçonné par un film sombre et contemplatif là où ils attendaient une chasse aux robots maléfiques menées par la star de
Star Wars et
Indiana Jones sous la direction du père d’
Alien.
Scott travaillait sur une adaptation de
Dune dont il comptait faire un rival à
Star Wars. Le film de
George Lucas a eu une importance considérable dans la carrière de
Sir Ridley Scott qui, à sa vision, avait abandonné un projet d’adaptation de l’histoire de
Tristan & Yseult pour se lancer dans la science-fiction. La production de l’adaptation de
Frank Herbert stagnant, il s’attache au projet sur la base d’un script d’
Hampton Fancher adapté d’un roman de
Philip K. Dick « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » Le scénario de
Fancher, qui remplace le titre de la nouvelle par un terme de l’écrivain
William S. Burroughs, se concentre davantage sur les problèmes environnementaux que sur les grandes questions sur la nature humaine et la religion, qui occupent une place importante dans le roman.
Scott embauche
David Peoples (
Ladyhawke,
Impitoyable,
L’ Armée des 12 singes) pour réécrire le scénario (
Fancher contribuera à des réécritures supplémentaires et participera même à sa suite
Blade Runner 2049 ) pour y inclure des thématiques liées à la mortalité, la nature de l’humanité et sa confrontation inévitable avec des formes d’intelligence artificielles.
Scott veut donner à son film une esthétique qui s’inspire du magazine français de bandes-dessinées
Metal Hurlant (
Jean « Moebius » Giraud déclinera une participation pour travailler sur le dessin-animé de
René Laloux Les Maitres du Temps) il engage le designer industriel
Syd Mead (
TRON, Aliens) pour concevoir une technologie du futur crédible que le chef décorateur
Lawrence G. Paull (
Retour vers le futur, Predator 2) et le directeur artistique
David Snyder (
Demolition Man et
Soldier de
Paul WS Anderson conçu à l’origine pour se situer dans le monde de …
Blade Runner) seront chargés de concrétiser. Pour concevoir son Los Angeles du futur de 2019 (!!)
Scott dira s’être inspiré du panorama nocturne d’Hong-Kong et des paysages industriels du nord-est de son Angleterre natale. Le financement du film est sécurisé par un attelage improbable entre la
Ladd Company (via
Warner Bros.) la compagnie fondée par
Alan Ladd Jr. qui, quand il dirigeait la 20th Century Fox avait donné le feu vert à la production de
Star Wars, le légendaire producteur Hong Kongais
Sir Run Run Shaw (
One-Armed Swordsman) et Tandem Productions, société du cinéaste
Bud Yorkin. Alors que
Scott courtise longtemps
Dustin Hoffman pour le rôle principal c’est finalement
Harrison Ford en quête de rôles plus profonds qui est choisi pour son potentiel commercial. Le tournage est extrêmement difficile,
Ridley Scott devant se battre sur plusieurs fronts : il fait face à une équipe de techniciens américains récalcitrants à ses méthodes (Il y a une étrange symétrie entre la détestation des équipes techniques américaines pour
Ridley Scott sur
Blade Runner et celle des équipes anglaises pour
James Cameron sur le tournage d’
Aliens), des producteurs dont certains veulent lui retirer le projet et des relations difficiles avec sa star. C’est
Alan Ladd Jr. qui choisit la date de sortie US, celle de
Star Wars et
Alien quand il dirigeait la Fox, son « jour de chance ». Celle-ci ne frappe pas trois fois et le film s’échoue au box-office. Mais
Blade Runner n’est pas mort, le développement de la vidéo va lui donner une seconde vie, d’abord comme film culte mais bientôt son influence va s’étendre, immense presque incommensurable, inspirant des générations d’artistes, de designers et de cinéastes et imposant une esthétique du futur, avec cet enfer urbain surpeuplé éclaboussé de néons, inondé par une pluie acide perpétuelle et ces voitures volantes glissant au-dessus d’une civilisation décadente comme la norme visuelle dont la plupart des films de science-fiction et des jeux vidéo n’est toujours pas sorti quarante ans plus tard.
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