SYNOPSIS: Hiver 1982 au cœur de l’Antarctique. Une équipe de chercheurs composée de 12 hommes, découvre un corps enfoui sous la neige depuis plus de 100 000 ans. Décongelée, la créature retourne à la vie en prenant la forme de celui qu’elle veut ; dès lors, le soupçon s’installe entre les hommes de l’équipe. Où se cache la créature ? Qui habite-t-elle ? Un véritable combat s’engage
Dans la construction d’une cinéphilie, certains films font figure de jalons fondateurs dans la passion développée pour un genre cinématographique et les attentes que l’on y placera ensuite. Au delà de la qualité globale du film, cela peut tenir à une scène, une image particulièrement marquante, d’autant plus lorsqu’on la découvre à l’adolescence, où l’on est certes plus impressionnable mais surtout, peut-être, plus curieux et plus disposé à se laisser aspirer dans l’univers d’un film. De ce point de vue, The Thing propose l’une des ouvertures les plus intrigantes et marquantes du genre du film d’horreur, de celles qui installent immédiatement un climat angoissant, posent l’ambiance et les enjeux du récit, avec une économie d’effets et une efficacité qui rendent encore plus opérants toutes les révélations qui suivront. Sans exposition, John Carpenter nous emmène directement au cœur des enjeux de ce récit paranoïaque perdu dans l’immensité de l’Antarctique, nous mettant dans la position des hommes de cette station de recherche américaine, voyant arriver vers eux un hélicoptère norvégien prenant tous les risques pour abattre le chien de traineau qu’il a pris en chasse. Exit donc tout le prologue présent dans Who Goes There, nouvelle de l’auteur de science fiction John W. Campbell, dont The Thing est la seconde adaptation, relatant la découverte d’un ovni capturé dans la glace dont sera finalement extrait l’alien qui sera nommé La Chose. Toutes les questions que l’on se pose alors sont les mêmes que celles de McReady (Kurt Russel) et ses onze collègues, confrontés à une menace encore invisible dont la révélation ne sera que plus terrifiante. Sans qu’elle soit encore identifiée et nommée, La Chose vient à eux dès la première scène, après avoir décimé les membres de la station polaire norvégienne qui ont eu le malheur de la libérer. Le film n’a pas commencé depuis 5 minutes que John Carpenter et son scénariste, Bill Lancaster, ont ainsi installé la tension et le climat paranoïaque qui, au delà des nombreuses scènes chocs restant à jamais gravées dans notre mémoire, font de The Thing un sommet du film d’horreur, une implacable mécanique dont Carpenter est l’ingénieur en chef, assisté par des hommes qui sont alors parmi les meilleurs dans leur domaine (Dean Cundey, Rob Bottin, Ennio Moriccone).
The Thing a ainsi été un tournant, on pourrait dire un « game changer » pour de très nombreux cinéphiles et, au delà, a aussi changé le genre du film de monstres, dans sa façon d’exposer l’horreur et le mal en plein jour, une horreur viscérale qui, à l’époque de ses premières projections firent se sentir mal de nombreux spectateurs, poussés au delà de leurs retranchements par les incroyables et inoubliables créations de Rob Bottin. The Thing a aussi été un tournant décisif dans la carrière de John Carpenter mais, malheureusement, pas de façon positive, son échec commercial et son accueil critique très tiède, y compris chez les fans du Master of Horror, l’ayant profondément affecté et sorti pour de bon de l’orbite des réalisateurs surfant sur les succès commerciaux avec le soutien puissant des studios. En 1981, avec New York 1997, Big John avait à nouveau frappé très fort avec un troisième futur film culte à son palmarès, le tout en l’espace d’à peine 5 ans (d’Assaut en 1976, en passant par Halloween en 1978, si l’on exclut donc le trop sous-estimé Fog sorti en 1980). Il avait alors, enfin, la possibilité d’obtenir le soutien d’un grand studio avec un large budget pour ne plus être un bricoleur de génie et un simple outsider qui ne pourrait prétendre à devenir un réalisateur capable de porter de grands succès commerciaux. Il bénéficiait aussi du « phénomène » Alien qui montrait aux grands studios qu’il y avait un public pour un film mêlant science fiction et horreur. Sortant d’une douloureuse expérience sur un projet avorté (The Philadelphia Experiment) qui le poussa à ne plus vouloir écrire, The Thing est le premier film dont il ne fut pas l’auteur du scénario, ainsi confié à Bill Lancaster. Soutenu par Universal qui lui laissa une grande liberté tout au long du développement, accompagné par Dean Cundey (son directeur de la photographie sur Halloween et Fog) et in extremis par Kurt Russell (leur troisième collaboration après Le Roman d’Elvis et New York 1997) qui n’était d’abord pas envisagé pour le rôle de McReady, Carpenter a eu les mains libres, les meilleurs collaborateurs (on peut citer notamment le légendaire Albert Whitlock auquel on doit le matte painting de la scène de découverte du vaisseau extraterrestre, John Dwyer pour la création des décors …) et aucune entrave budgétaire pour faire aboutir sa vision.
Dans la liste des grands accidents de l’histoire, des films incompris/ignorés/rejetés qui devinrent cultes de nombreuses années après leur sortie, The Thing tient une place de choix, aux côtés notamment d’un autre film sorti la même année et qui révolutionna lui aussi son genre: Blade Runner. Sorti deux semaines après E.T , qui rappelons-le, devint alors l’un des plus grands succès de tous les temps, The Thing rapportera à peine plus que son budget de 15 millions de dollars, se fit littéralement démonter par des critiques aussi prestigieux que Roger Ebert mais aussi, par une partie de la presse spécialisée qui aurait dû lui être acquise. Au delà du contexte de sa sortie, dans une période surchargée de films de science-fiction et/ ou d’horreur qui ont très bien marché au box office (E.T, Star Trek II, Poltergeist, à un degré moindre Tron …) il est vrai, avec le recul, que l’on peut mesurer ce que le film avait d’anachronique au début des années 80, quand son nihilisme, ses personnages et sa radicalité ont plus à voir avec la décennie précédente. Avec son casting exclusivement masculin dont n’émerge aucune figure de héros hollywoodien, ce monstre protéiforme qui prend l’apparence de l’infortuné hôte qu’il va d’abord parasiter, la paranoïa qui en découle et multiplie le danger qui peut venir de n’importe lequel des hommes ou animaux se trouvant dans cette station de recherches, The Thing est d’une noirceur totale.
Que l’on soit dans les paysages sans fin de l’Antarctique (le tournage a eu lieu en Colombie Britannique) où dans cette station polaire, il n’y a aucun échappatoire possible pour ces hommes, pris au piège du pire ennemi qui soit, celui qui prend l’apparence de vos camarades, lesquels deviennent autant d’ennemis potentiels quand vous ne finissez pas par douter de vous-mêmes et penser que la chose est déjà en vous. De ce point de vue, la scène des tests sanguins est un sommet de tension, le climax d’un film qui contrairement au reproche principal qui lui fut fait à l’époque de sa sortie, ne se repose pas uniquement sur les extraordinaires effets spéciaux de Rob Bottin. Ces scènes chocs surviennent dans des moments du film où la tension et la paranoïa sont déjà très présentes, installées par la mise en scène et le rapport entre les différents personnages. Aussi spectaculaires soient elles, elles n’auraient certainement pas le même impact si elles ne s’articulaient pas aussi bien avec le récit et qu’elles venaient, comme c’est trop souvent le cas dans un film d’horreur, sortir le spectateur de sa léthargie pour lui donner sa dose de frissons. Pour en revenir à la scène du test sanguin, elle se suffit à elle-même et pourrait se passer de sa conclusion spectaculaire. Pourtant et c’est là aussi une des preuves de la maestria de Carpenter, on ne peut pas dire que le récit délivre beaucoup d’informations sur chacun des protagonistes mais la place de chacun dans le groupe, leur tempérament et les rapports de force entre eux, sont pourtant clairement définis.
De ce groupe de douze hommes va se détacher MacReady qui n’est pas à proprement parler un héros mais un homme qui lutte pour sa survie et que son tempérament et les événements vont pousser à prendre le leadership des survivants à un moment critique, lui qui est présenté, dès sa première scène, comme un homme solitaire qui préfère la compagnie d’une bouteille de whisky à celle de ses collègues. Kurt Russell compose un personnage taciturne qui n’a pas la gouaille et les compétences d’un Snake Plissken mais qui ne donne pas sa part au chien quand il s’agit d’affronter la chose. A l’image du score d’Ennio Morriconne (la seule fois de sa carrière avec Starman que Carpenter passera la main), son interprétation est extrêmement sobre et gagne en intensité dans quelques scènes clés, le récit passant toujours au premier plan. La mise en scène de Carpenter permet de faire cohabiter l’horreur psychologique et l’horreur la plus viscérale (The Thing reprend un postulat que l’on retrouve dans Invasion of The Body Snatchers et y injecte des scènes horrifiques telles qu’on peut en retrouver dans la saga Alien), dans un refus de la surenchère, une utilisation de son environnement, une science du cadre qui ne peuvent que laisser admiratifs. Premier film de ce que l’on désigne comme sa trilogie de l’apocalypse, complétée par Le Prince des Ténèbres (1987) et l‘Antre de la Folie (1994), The Thing a peut-être été un accident critique et commercial au moment de sa sortie mais est assurément l’un des plus grands accomplissements de Carpenter, reconnu comme tel depuis sa commercialisation en vidéo et les innombrables hommages de festivals et de ses pairs.
Titre Original: THE THING
Réalisé par: John Carpenter
Casting : Kurt Russell, Keith David, Donald Moffat, Richard Masur…
Genre: Horreur, Science-Fiction
Date de sortie: 27 octobre 1982
Distribué par: –
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Catégories :Critiques Cinéma
La chose de John Carpenter est un chef d’oeuvre.