Critiques Cinéma

MORT SUR LE NIL (Critique)

SYNOPSIS: Au cours d’une luxueuse croisière sur le Nil, ce qui devait être une lune de miel idyllique se conclut par la mort brutale de la jeune mariée. Ce crime sonne la fin des vacances pour le détective Hercule Poirot. A bord en tant que passager, il se voit confier l’enquête par le capitaine du bateau. Et dans cette sombre affaire d’amour obsessionnel aux conséquences meurtrières, ce ne sont pas les suspects qui manquent ! S’ensuivent une série de rebondissements et de retournements de situation qui, sur fond de paysages grandioses, vont peu à peu déstabiliser les certitudes de chacun jusqu’à l’incroyable dénouement

Fort du succès de leur précédente adaptation du classique d’Agatha Christie, – plus de 350 millions de dollars de recettes pour un budget de 55-, l’ équipe du Crime de L’Orient Express, Ridley Scott à la production, Michael Green au scénario et Kenneth Branagh à la fois derrière et devant la caméra dans le rôle du célèbre limier belge Hercule Poirot, se réunit à nouveau pour adapter la deuxième œuvre la plus célèbre du canon de Poirot, Mort sur le Nil  qui avait également fait l’objet d’une adaptation cinématographique par John Guillermin en 1978, ayant connu un grand succès avec Peter Ustinov en vedette. La sortie du film, initialement prévue en 2019 a été repoussé par trois fois d’abord à 2020, le tournage ayant été retardé en raison de la pandémie de Covid 19 puis prévu pour l’automne 2021 avant que le allégations contre Armie Hammer visé par une enquête sur des accusations de viol ne poussent le studio à annoncer une sortie pour le mois de février 2022. Ironiquement le premier film comptait une participation d’un autre pestiféré d’Hollywood pour des comportements déplacés, Johnny Depp. Comme son prédécesseur, Mort sur le Nil se déroule essentiellement en huis-clos sur un navire remontant le fleuve avec quelques escapades dans des sites archéologiques ou au célèbre hôtel Old Cataract à Assouan où fut écrit le roman. Pourtant le film s’ouvre dans les brumes du front de la première guerre mondiale avec un officier belge à la moustache spectaculairement travaillée qui motive ses troupes au périlleux assaut d’un pont décidé par la hiérarchie. Officier qui  reçoit les conseil d’un jeune soldat très observateur… Le spectateur comprend vite qu’il s’agit là d’une « origin story » qui cherche à expliquer d’où Poirot tire quelques caractéristiques et à lui donner une blessure secrète expliquant certains traits de sa personnalité et donner des aspérités à un personnage par nature très lisse. Cette séquence brève digne d’un « Poirot begins » est atmosphérique et bien mise en scène, Branagh invoque l’iconographie des tranchées comme le récent 1917 même si ce procédé narratif résolument moderne est une première diversion par rapport à l’œuvre de Christie volontairement vague sur les origines de Poirot (même si elle évoque une fuite vers l’Angleterre au moment de la Première Guerre Mondiale d’un Poirot déjà chef de la police). A l’anachronisme du procédé narratif s’ajoute celui du rajeunissement numérique du comédien de 61 ans, l’emploi de ces technologies numériques pouvant sortir le spectateur de l’ambiance d’époque.

Un des qualités principales de Mort sur le Nil tient  à sa construction conforme à la technique narrative qui a fait le succès immense et durable des romans d’Agatha Christie et la persistance de ses adaptations  – qui n’a pas une mère ou une grand-mère qui passe des après-midi devant des aventures de Poirot ou de Miss Marple ? : une ouverture avec la mise en place progressive des ressorts de l’histoire et celle des principaux personnages, l’apparition de Poirot au moment où l’intrigue se noue, le drame dans un lieu clos, l’enquête avec les témoignages de chacun des personnages, la mise à mal progressive de tous les alibis puis le dénouement avec la divulgation de la vérité et de l’identité du coupable, prétexte pour Hercule Poirot à une mise en scène qu’il organise lui-même, rassemblant tous les protagonistes de l’histoire, (enfin ceux qui survivent) leur détaillant toutes les étapes de son enquête, dévoilant les différentes hypothèses, désignant pour chacune d’elle un meurtrier potentiel, pour finir par donner la clé du mystère. C’est sans doute avec ses idiosyncrasies cet aspect du personnage qui pousse Branagh  à l’incarner de la même façon que cette intrigue en huis clos qui évoque l’unité de lieu et la perspective de diriger ses comédiens telle une troupe qui attire l’homme de théâtre qu’il est toujours. Par tradition les adaptations de Christie sont l’occasion de défilés de stars, qui viennent jouer les suspects, meurtriers ou victimes, et si le casting  de Mort sur le Nil est moins prestigieux que celui du Crime de l’Orient Express il est mené par des comédiens sans doute plus connus d’un public  jeune comme Gal « Wonder Woman » GadotEmma Mackey découverte de la série Netflix Sex Education ou Letitia Wright popularisée par sa participation à Black Panther accompagné de vétérans de l’écran comme Annette Benning.

L’adaptation de Michael Green (Blade Runner 2049, Logan et plus récemment Jungle Cruise autre croisière mouvementée noyée sous les CGI) prends de nombreuses libertés avec le roman supprimant, modifiant ou amalgamant  des personnages, dans le  but de simplifier les ressorts de l’intrigue en la recentrant sur ses principaux protagonistes et d’en moderniser la représentation du casting. Ainsi Mme Otterbourne dans le roman une autrice de romans à l’eau de Rose, secrètement alcoolique qui martyrise sa fille Rosalie  est ici une chanteuse de jazz noire américaine en tournée dont les relations avec sa fille interprétée par Leticia Wright sont moins conflictuelles. Ce changement apporte également un angle plus moderne à certains développements de l’intrigue que nous ne dévoileront pas ici.  Le personnage de Cornelia Robson qui accompagne dans le roman sa cousine Marie Van Schuyler, une millionnaire communiste (oui oui)  est effacée pour se concentrer sur la relation de cette derrière avec son infirmière Miss Bower, relation sur  laquelle est portée une vision plus moderne. Le duo est incarné par Dawn French et Jennifer Saunders qui reforment ainsi  leur tandem comique  de la télévision britannique. Pennington le chargé d’affaires de la victime devient Katchadourian mais est incarné par un comédien indien Ali Fazal. Enfin le personnage de Tim Allerton qui voyage avec sa mère incarnée par Annette Benning  (qui ressemble à Sabine Azema dans le film) devient Bouc (Tom Bateman) un jeune homme qui  sert d’assistant au détective endossant la fonction du  du Colonel Rafe personnage absent de cette adaptation. Il  est présenté  comme ayant des  liens d’amitié presque filiaux avec l’enquêteur afin de renforcer l’implication personnelle de Poirot dans cette enquête et d’en faire un protagoniste plus actif du drame qui se noue à bord du Karnak. Cette volonté d’échapper aux aspects compassés de l’œuvre que ce soit par une mise en scène résolument moderne ou  l’ajout d’une séquence  d’action comme dans le précèdent, ici  une course poursuite avec le meurtrier dans les coursives du bateau certes dynamique et virevoltante -même sil elle apparait incongrue-,  fait le lien entre les deux adaptations. Branagh filme à nouveau en 65 mm, un format  traditionnellement réservé à des films à la portée  « épique » comme Lawrence d’Arabie mais cette volonté d’en faire un spectacle grandiose qui pourrait être pertinente puisque Mort sur le Nil, se déroule dans un cadre d’une exceptionnelle richesse (Assouan, Abou Simbel, les paysages du Nil) est invalidée par l’emploi massif pour la plupart des extérieurs d’environnements en  image de synthèse qui rendent l’Egypte des années 30 aussi artificielle que la Tatooine de Star Wars Episode I . De ce point de vue la comparaison est peu flatteuse avec la version de 1978 tournée en Égypte, à bord d’un authentique bateau à vapeur .

Heureusement le roman faisait déjà  très peu de place au décor et à la couleur locale. En revanche, comme toujours chez Agatha Christie, les personnages secondaires sont tous dotés d’une réelle personnalité, ce qui rend le roman et le film plus vivant que ses décors. Dans ce dispositif le jeu des comédiens connait des fortune diverses en dehors bien-sur de Kenneth Branagh qui cabotine avec plaisir en Poirot, Gal Gadot même dirigée par le président de l’Académie Royale d’Art Dramatique n’améliore guère la qualité de son jeu, la présence d’Armie Hammer n’est pas embarrassante car comme Depp dans Le Crime de l’Orient Express il incarne un personnage peu sympathique. Seule la jeune Emma Mackey se démarque avec un jeu exubérant qui sied au rôle. Si la version de 1978 était magnifiée par la composition puissante du grand Nino Rota, ici le score trop discret du talentueux Patrick Doyle peine à le faire. A l’image de la précédente adaptation d’Agatha Christie par la même équipe, Mort Sur le Nil  est un divertissement agréable mais anecdotique dont les principales  forces sont le jeu de Branagh en Hercule Poirot mais surtout la mécanique de « whodunit » élaborée il y a 85 ans par la romancière britannique.

 

Titre Original: DEATH ON THE NILE

Réalisé par: Kenneth Branagh

Casting : Kenneth Branagh, Armie Hammer ,Gal Gadot, Annette Bening

Genre: Thriller, Policier

Sortie le:  09 février 2022

Distribué par: The Walt Disney Company France

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