Critiques Cinéma

L’HOMME A L’AFFÛT – THE SNIPER (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

the sniper affiche cliff and co

SYNOPSIS : Depuis toujours, Eddie Miller, chauffeur-livreur à San Francisco, est rejeté par les femmes qu’il rencontre. Solitaire, en proie à de violentes pulsions qu’il a du mal à réprimer, il tue des femmes au hasard avec un fusil à lunette. La police n’arrive pas à comprendre la manière de procéder ni les mobiles du tueur. C’est un psychologue qui va les aider et leur faire comprendre que leur proie est un homme malade.

Lorsque Jules Dassin, dans son chef-d’œuvre Du Rififi chez les Hommes, se « venge » symboliquement, le temps d’une scène, de ceux qui l’ont dénoncé au comité des activités anti-américaines, il vise entre autres Edward Dmytryk, jeune réalisateur d’origine ukrainienne, banni d’Hollywood et même emprisonné quelques mois pour avoir adhéré au parti communiste et refusé d’abord de dénoncer ses camarades. Celui qui était devenu dans les années 40 une star du studio RKO et l’un des réalisateurs émergents les plus en vue d’Hollywood (nommé à l’oscar pour Feux Croisés) aborde la décennie suivante comme un pestiféré, pointé du doigt et méprisé par ses collègues et une partie de la critique, pour avoir finalement accepté de livrer 26 noms à ceux qui avaient réussi à briser sa carrière. Produit par Stanley Kramer, lui aussi connu pour ses positions très à gauche (si l’on se place du point de vue de la politique américaine) c’est véritablement en 1952 qu’il fera son retour au premier plan avec un film qui derrière son pitch de thriller autour d’un tueur en série, l’un des premiers du genre, se révèle être une critique féroce du système judiciaire et pénitentiaire américain.

the sniper image cliff and co.jpg

Avec The Sniper,  Edward Dmytryk fait passer le message que la justice a été aussi aveugle et impitoyable avec lui qu’elle est incompétente à protéger la population de prédateurs qu’elle laisse dans les rues lorsqu’ils ont purgé leur peine de prison, le système judiciaire américain n’envisageant rien d’autre que l’emprisonnement comme remède à ce qui menace l’ordre social. Voir Dmytryk revenir en grâce à Hollywood (The Sniper sera nommé à l’oscar du meilleur scénario) avec un film qui dénonce les failles d’une justice qui ne l’a pas épargné est particulièrement savoureux. Dès son prologue, l’ambition de The Sniper s’affiche dans un carton qui après nous avoir renseigne sur le nombre de victimes de prédateurs sexuels prend position en affirmant qu’aucune loi n’existe pour faire face à cette menace, le récit d’Eddie ayant alors vocation, au delà de la fiction, à être un cas d’école, à porter un propos résolument engagé. The Sniper, au delà de ses qualités formelles, s’affirme donc aussi comme un passionnant témoignage sur son époque, dressant un portrait sans complaisance du système judiciaire américain.

the sniper image 2 cliff and co.jpg

Le parti pris d’Edward Dmytryk est d’éviter le sensationnalisme qui enferme un film dans la série B mais aussi le manichéisme qui consiste à ne se placer que du point de vue de la police dans sa traque d’un tueur réduit  à la condition de « bête sauvage » dont l’enfermement serait la conclusion heureuse du récit. Eddie (Arthur Franz) n’est ni charismatique, ni monstrueux, il est présenté comme un homme malade, incapable de se contrôler, le genre d’individu face auquel le système judiciaire américain, enfermé par des lois archaïques et une logique du tout carcéral, est incompétent à arrêter et soigner. Le tableau est parfaitement posé dès les premières minutes du film, avec notamment cette longue scène d’ouverture se déroulant pendant que le générique défile à l’écran. Eddie nous apparaît comme est un homme rongé par ses démons, conscient du mal qui brûle en lui et des pulsions criminelles qui l’assaillent lorsqu’il est en présence de femmes. Il n’a ni plan, ni motivations claires. S’il tue, c’est qu’il ne parvient plus à contenir le mal qui se réveille en lui dès lors qu’il se sent « agressé », « oppressé » par la présence d’une femme. Sa victime pourra être aussi bien celle qui l’a éconduit, qu’une inconnue dont le tort aura été de se montrer aux bras d’un homme. Ce tueur en série est un malade conscient de son état, livré à lui-même, qui est parfaitement conscient du danger qu’il représente et de son incapacité à vivre en société, bien qu’il ait un travail de chauffeur livreur dans une blanchisserie.

the sniper image 3 cliff and co.jpg

Arthur Franz, avec ses faux airs de Tony Curtis (qui incarna lui aussi un tueur en série dans l’excellent L’Étrangleur de Boston de Richard Fleischer) crève l’écran et impose immédiatement une présence fragile et inquiétante, celle d’un homme au bord de l’implosion, portant certainement en lui un très lourd passé que le scénario a la bonne idée de ne pas nous dévoiler. Il est une grenade dégoupillée en liberté dans la ville, un homme en perpétuel équilibre sur le fil de ce qui lui reste de raison et de ce point de vue, même s’il est un sociopathe plus « avenant », on peut voir Eddie comme un ancêtre de Travis Bickle (Taxi Driver). Dmytryk excelle à capter les bouffées d’angoisse d’Eddie, la façon dont elles se transforment en pulsions meurtrières pour lui faire perdre tout contrôle. Les meurtres sont filmés de façon très brute, comme une exécution sommaire, traduisant l’extrême contrôle et méthode dont fait preuve Eddie lorsqu’il s’agit d’abattre ses victimes avec sa carabine. Ces meurtres sont pour lui une libération, non qu’il jouisse de la mort de ses victimes (c’est ainsi que l’avait d’abord interprété le bureau en charge du respect du Code Hays, dirigé par le sinistre Joseph I. Breen qui avait menacé de censurer le film) mais plutôt qu’elle agisse comme un soulagement. La scène la plus forte de The Sniper et n’ayons pas honte de nos emballements, l’une des scènes les plus marquantes du cinéma américain des années 50, n’est pas une scène de meurtre mais une scène se déroulant dans une fête foraine, lieu de fête qui est l’enfer sur terre pour un  homme malade comme Eddie.

the sniper image 4 cliff and co.jpg

Malgré ses meurtres, il se crée pour ce personnage une forme d’empathie dans la mesure où le film dépasse le genre dans lequel il s’inscrit, pour porter le discours selon lequel Eddie est victime à la fois de lui-même et de la société qui ne sait que faire des gens comme lui. Dmytryk renverse ainsi les codes du film de serial-killer en accablant plus la police (montrée comme largement incompétente ), le système judiciaire (reposant sur des lois inadaptées à l’évolution de la société) et le système sanitaire (débordé). The Sniper est donc bien plus qu’un très solide thriller. C’est un témoignage engagé sur son époque qui a conservé toute sa force et sa pertinence, quand les épisodes de « mass shooting » sont si nombreux dans un pays gangréné par sa culture de l’auto défense et sa logique du « tout carcéral ».

the sniper affiche cliff and co

Titre Original: THE SNIPER

Réalisé par: Edward Dmytryk

Casting : Arthur Franz, Adolphe Menjou, Marie Windsor …

Genre: Thriller, Drame

Date de sortie: 04 février 1953

Distribué par: –

4,5 STARS TOP NIVEAU

TOP NIVEAU

 

1 réponse »

Laisser un commentaire