Critiques Cinéma

DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES (Critique)

5 STARS CHEF D'OEUVRE

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SYNOPSIS: Après cinq ans au placard, Tony, un gangster usé, revient sur le devant de la scène. Avec ses fidèles complices, ils projettent ensemble le cambriolage d’une fameuse bijouterie parisienne. Le plan semble parfait et tout se déroule comme prévu jusqu’à ce qu’une bande rivale ne soit avertie du plan de Tony et décident de se joindre aux réjouissances…

Victime du MacCarthysme en raison de ses convictions politiques qui l’avaient amené un temps à adhérer au parti communiste, Jules Dassin pourtant déjà auteurs de plusieurs très grands films (Brute Force, The Naked City, Night and The City) a connu, comme plusieurs autres réalisateurs américains, une longue traversée du désert durant laquelle il aura vu toutes les portes se refermer une à une devant lui. Ne se limitant pas à refuser de produire les réalisateurs blacklistés, les studios américains allaient en effet jusqu’à menacer du même sort les acteurs ou techniciens voulant « collaborer » avec eux, y compris sur des productions étrangères. C’est ainsi qu’en 1953, Jules Dassin a été évincé 48 heures avant le tournage de ce qui aurait alors été son premier film français, en l’occurrence une comédie jouant sur les clichés du film noir, mettant en scène Fernandel et Zza Zza Gabor. Le producteur Jacques Bar, menacé de voir ce film et toutes ses futures productions boycottées aux USA, céda finalement à la pression du puissant syndicat IATSE dirigé par Roy Brewer. « L’affaire Dassin » fit grand bruit et plusieurs réalisateurs français (Claude Autant Lara, Jean Gremillon , …) protestèrent officiellement en apportant leur soutien à Jules Dassin. Le rappel de ce contexte est important pour comprendre les raisons qui ont poussé Dassin a accepté d’adapter un roman pour lequel il n’avait au départ aucun intérêt et auquel il aura apporté des modifications qui lui ont d’abord valu les menaces de son auteur.

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Comme de nombreux chefs-d’œuvre, Du Rififi chez les Hommes est donc né dans un contexte à priori défavorable, battant une nouvelle fois en brèche l’idée reçue selon laquelle, un film de commande accepté sans conviction par son réalisateur ne peut aboutir qu’à un échec artistique, le compromis et la contrainte étant les ennemis de l’artiste. Jules Dassin n’a pas simplement fait le job, il a signé l’un des monuments de l’histoire du film noir mais aussi un film qui fait office de référence dans le genre des films de braquage. Du Rififi chez les Hommes embrasse en effet ces deux genres, Dassin ayant choisi de faire de ce braquage, qui n’était presque qu’anecdotique dans le roman, le centre névralgique de son film et d’imposer un choix de mise en scène incroyablement audacieux qui fera date dans l’histoire du cinéma. C’est autour de ce climax auquel Michael Mann (Thief) et Brian de Palma (Mission Impossible) ont rendu un hommage assez explicite, de la très minutieuse préparation du braquage puis de ses conséquences, que s’articule un récit mettant en scène des figures classiques du film noir (à l’exception du détective) mais avec une approche de leur psychologie et de leur dessein individuel qui apporte au film une densité dramatique absolument exceptionnelle.

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Le parcours de Tony le Stéphanois (fantastique Jean Servais) est le cœur du film et c’est autour de lui, de ses choix, que le film déploie sa dramaturgie. Tony est quelque part un ancêtre de Carlito Brigante (L’impasse, Brian de Palma) dont le chemin ressemble à la longue odyssée d’un personnage damné, que la fidélité à ses valeurs et l’amour déçu pour celle qui ne l’a pas attendu pendant ses cinq années de prison, paraissent condamner à une fin tragique. Tony a purgé sa peine, refusant de balancer un ami (Jo) et c’est face au vide auquel il se retrouve confronté à sa sortie de prison, qu’il revient sur sa décision de mener une vie rangée et de ne pas participer au braquage que lui proposent Jo (Carl Möhner) et Mario (Robert Manuel). Là encore, les circonstances de la production du film ont abouti à un choix contraint qui s’est révélé être excellent. Jules Dassin a en effet déclaré que le fait qu’il disposait d’un budget extrêmement réduit n’a pas été anodin au moment de porter son choix sur Jean Servais, alors dans un moment creux de sa carrière et n’exigeant donc pas un cachet important. Il apporte un étonnant mélange de force et de mélancolie à son personnage qui semble venir d’un autre temps. La remarquable subtilité de son interprétation transcende un scénario qui contient son lot de scènes qui auraient tôt fait de le rendre antipathique. Il est de la race de ces gangsters qui obéissent à un code d’honneur mais qu’il ne fait pas bon contrarier ou tromper, comme dans cette scène glaciale ou il retrouve sa femme adultère et l’emmène chez lui pour lui donner une leçon. La mise en scène de Dassin, la façon dont il étire cette scène et joue sur les silences, sur les regards, place le spectateur dans une situation d’extrême inconfort alors même que la violence reste principalement hors champ. Par cette scène, il révèle ce qui dans la personnalité de Tony est à la fois une force et sa faiblesse: droit et fidèle dans ses amitiés mais sans aucun scrupule et violent si on le trahit.

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Tony est un personnage comme les affectionne Jules Dassin, un homme de valeurs mais qui face à ce qu’il ressent comme une injustice n’hésite pas à répliquer, à utiliser la violence (comme Burt Lancaster dans Brute Force ou encore Richard Conte dans Thieve’s Highway). Dans son domaine: les braquages, Tony est aussi un grand professionnel, un meneur comme l’est Neil McCauley (Robert de Niro dans Heat), ne laissant rien au hasard dans la préparation de son casse. De ce point de vue, il n’est pas exagéré, à nos yeux, de considérer Du Rififi chez les Hommes comme le film matriciel du film de braquage. S’il n’est pas le premier à mettre en scène un braquage, le soin avec lequel il détaille ses différentes étapes du choix de la cible à la constitution de l’équipe puis l’opération en elle-même est inédit. Cela a même valu au film de se voir reprocher d’avoir inspiré plusieurs braquages (il fut même retiré des écrans au Mexique) qui ont repris les méthodes de Tony et de ses hommes : Jo, Mario et César le perceur de coffres interprété par Jules Dassin suite à la défection de l’acteur initialement retenu et face au manque de temps et de budget pour « recaster » le rôle. Chacun a ses compétences, ses motivations, ses faiblesses que l’on devine pouvoir potentiellement les mener à leur perte, de sorte que quand le grand morceau de bravoure du film intervient, le spectateur est pleinement engagé à leurs côtés.

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C’est dans un souci de réalisme que Jules Dassin a fait le choix de mettre en scène le casse de la bijouterie sans le moindre dialogue ni, et c’est encore plus remarquable, sans la moindre musique, bien que Georges Auric (Orphée, Le Salaire de la Peur, Lola Montès ...) ait insisté pour composer une musique au cas où Dassin se rende finalement compte que cette longue séquence (plus de 30 minutes) ne fonctionnait pas. C’est ainsi qu’est né un morceau d’anthologie de l’histoire du cinéma qui suspend le temps et parvient, sans le moindre artifice, à maintenir une tension constante, à ressentir la concentration extrême de ces hommes dont le silence est le meilleur allié pour mener à bien leur périlleuse expédition. Dassin détaille leurs opérations avec la même minutie que celle dont fait preuve son personnage pour parvenir à percer le coffre de la bijouterie, il transforme cette longue scène en un passionnant ballet silencieux dans lequel chaque geste, chaque déplacement est calculé et suivi par la caméra avec une précision qui laisse pantois. L’autre tour de force est d’avoir placé cette scène au milieu du récit. En terme de mise en scène, comme de narration, le film s’articule ainsi autour d’elle, la deuxième partie du film relâchant à peine la tension dramatique si brillamment installée. Peu de films parviennent ainsi à allier une mécanique scénaristique et de mise en scène de haute précision avec une telle « épaisseur dramatique ». Aussi excellents, professionnels et froids soient ils dans leur domaine, Jo, Mario, César et Tony sont des hommes que leurs faiblesses (principalement pour les femmes) condamnent à moyen terme et pour lesquels Jules Dassin a manifestement le plus grand des respects. Dans un film de casse qui fait la part belle au talent de ses héros pour violer la loi sans se faire prendre, il est pourtant constamment question de valeurs humaines, notamment dans une scène qui ne figurait pas dans le roman et dans laquelle Dassin règle ses comptes avec ceux qui ont tourné le dos à ces valeurs pour collaborer au MacCarthysme. C’est ce cocktail assez unique qui fait la grandeur d’un film qui a sa place au panthéon du cinéma mondial. Du Rififi chez les Hommes est un tel maître étalon qui a inspiré ensuite tant de films, que pour adapter les paroles d’une des chansons du fils de son metteur en scène (Joe Dassin), beaucoup d’entre eux pourraient se demander: Et si tu n’existais pas? Dis moi comment j’existerais?

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Titre Original: DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES

Réalisé par: Jules Dassin

Casting : Jean Servais, Carl Möhner, Robert Manuel, Jules Dassin …

Genre: Film Noir, Drame

Sortie le : 13 avril 1955

Distribué par: Les Acacias

5 STARS CHEF D'OEUVRE

CHEF-D’ŒUVRE

 

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