SYNOPSIS: Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation. À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés…
Depuis qu’elle a entamé sa collaboration avec Mark Boal, sur Démineurs, la carrière de Kathryn Bigelow a pris un tournant décisif, lui permettant d’élargir sa palette, de politiser son propos sans rien perdre de la force de sa mise en scène. Ancien journaliste ayant couvert notamment la deuxième guerre en Irak, Mark Boal a apporté sa connaissance des terrains de guerre et des militaires pour signer le scénario des deux derniers et peut être meilleurs films de Bigelow: Démineurs (2009) et Zero Dark Thirty (2012). Avec Detroit, Mark Boal et Kathryn Bigelow ramènent le terrain de guerre aux États-Unis, pour nous faire revivre, plus que nous faire comprendre, les 5 journées d’émeutes urbaines qui ont embrasé la ville de Detroit et plus précisément cette nuit du 25 au 26 juillet 1967 dans le Motel Algiers. Dans un contexte où les tensions raciales et les polémiques sur la violence de la police sont revenus au centre de l’actualité, un tel film porté par ce duo là portait la promesse d’un salutaire électrochoc.
Detroit se révèle en vérité être un film composite dans lequel se confrontent trois approches du film basé sur des faits réels dramatiques: le docudrama immersif et viscéral dans son premier tiers, le thriller/ film d’horreur dans sa partie centrale reconstituant le calvaire vécu par les résidents du motel Algiers, le procedural movie le plus classique et malheureusement le plus inoffensif qui soit dans son dernier tiers. Le changement d’approche est tel qu’il donne l’impression que le metteur en scène a changé en cours de route ou plutôt que Bigelow la cinéaste a été rattrapée par le col par Bigelow la citoyenne soucieuse de faire passer son message et, peut-être de ne pas être accusée d’exploiter des événements dramatiques. S’il était difficile d’éluder la suite de ces tragiques heures qui ont conduit à l’assassinat de trois jeunes hommes noirs, on peut légitimement s’interroger sur la nécessité d’y consacrer le dernier tiers du film, d’autant plus traité de façon aussi factuelle, sans aspérités véritables dans la mesure où la psychologie des personnages est très peu explorée. Ce parti pris quasi journalistique adopté dès le début du récit, visant à faire passer en premier la reconstitution des faits et l’immersion, finit par se retourner contre le film quand, dans son dernier tiers, la mise en scène ne soutient plus l’ensemble.
Dans son premier tiers Detroit tient d’abord toutes ses promesses et au delà pour nous plonger au cœur de cette émeute, nous confronter à cette violence, nous la donner à ressentir de façon viscérale. La puissance de la mise en scène de Kathryn Bigelow vaut tous les discours et c’est par ce biais qu’elle fait le mieux passer son propos. L’entrée dans cet enfer se fait sans exposition, sans didactisme, si l’on excepte le prologue animé de la série de peintures de Jacob Lawrence, rappelant l’histoire des grandes migrations depuis le sud des États-Unis. Le contexte étant posé, l’embrasement est quasi immédiat. Bigelow parvient à montrer à quelle vitesse on peut entrer dans une escalade de violence sans point de retour, dès lors que la situation est explosive et les tensions et rancœurs exacerbées. Il suffit d’une énième descente de police pour arrêter sans ménagement les clients d’un club ouvert illégalement, de quelques vandales, d’habitants exaspérés par la répétition de ce qu’ils vivent comme une humiliation de leur communauté, pour que ce qu’il restait du ciment social se fissure et qu’on entre dans une logique d’affrontement. Detroit est filmée comme une ville en guerre, dans laquelle la police et la population s’affrontent avec une extrême violence. La camera est au coeur du conflit, captant dans un style quasi documentaire accentué par l’insertion d’images d’archives, l’embrasement soudain des rues de la ville. Le réalisme de la mise en scène décuple le ressenti de la violence, on sursaute aux coups de feu, on a envie de détourner le regard devant la violence des coups portes par la police, la disproportion des moyens employés par l’armée qui entre dans la ville (qui donne lieu à l’une des scènes les plus traumatisantes que l’on ait pu voir), parce qu’à ce moment la frontière entre documentaire et fiction est aboli. Bigelow semble vouloir réserver au spectateur, le même traitement que celui d’Alex dans Orange Mécanique: forcé de faire face à une violence jusqu’ici banalisée au cinéma, on en vient à en être dégoûté. Le propos n’est pas d’être didactique et d’expliquer ce qui motive les uns et les autres, il est de montrer cette violence folle qui se déchaîne du côté des forces de l’ordre face à cette insurrection, ce sentiment viscéral d’injustice que même John Conyers, premier élu noir à la chambre des représentants, fut impuissant à calmer.
D’une redoutable acuité et efficacité lorsqu’il embrasse d’abord la grande et tragique histoire de ces cinq journées d’émeutes, le film se resserre progressivement sur les destins individuels et le récit de cette nuit au motel Algiers, par trois points d’entrée, trois points de vue: les bourreaux (les officiers Krauss, Flynn et Demens), les victimes (les infortunés clients du motel dont les membres du groupe Dramatics) et le témoin du mal (l’agent de sécurité Dismukes), en quelque sorte le doppelgänger du spectateur, propulsé au cœur du drame mais impuissant à l’empêcher. Montrer plutôt qu’analyser, ressentir plutôt que comprendre, là encore la mise en scène prime sur l’écriture. Mais quand l’action se réduit à un huis clos, que les victimes et les bourreaux sont si clairement définis, que l’on ne s’intéresse qu’aux actes, on a tôt fait de perdre le contexte et de basculer dans le film de genre. Cette reconstitution des heures de calvaire vécues dans le motel, trop longue, quelque peu répétitive dans sa façon de faire monter la tension, finit en effet par se déconnecter du contexte et basculer dans le film d’horreur. Krauss (Will Poulter) n’est plus alors un jeune policier prenant comme prétexte sa mission de maintien de l’ordre pour laisser exploser sa haine raciste, mais un bogeyman, ce qui limite singulièrement la portée du récit. Si ces meurtres sont l’œuvre d’un fou ou d’un monstre, alors la responsabilité de la police est de fait minorée même si on ne peut pas penser qu’il s’agisse là de l’intention de Bigelow et de Boal. C’est malheureusement ce que la durée de cet acte central et l’absence de nuances dans l’écriture produit comme effet à nos yeux. Si ce que montre le premier acte est si bouleversant et révoltant c’est parce qu’il est connecté à la réalité de ces événements et fait écho avec ce qui se passe encore dans l’actualité. Le premier acte fait face à la violence de la société, le deuxième à la violence d’un fou . Quand Krauss fait durer le supplice de ses victimes, on ne se demande plus comment la plus grande puissance du monde a pu produire une société si inégalitaire mais quel personnage va en réchapper. C’est là l’effet pervers du renoncement à l’ambiguïté notamment du personnage de Dismukes (excellent John Boyega) dont on sait qu’il a eu un rôle bien plus trouble que ce qui paraît dans le film et qui en aurait dit bien plus long sur le climat qui régnait alors.
En appuyant trop le trait, probablement dans un souci de frapper les consciences, le propos de Detroit se dilue, le film coup de poing dans lequel les images parlaient d’elles-mêmes devient maladroit (quelques scènes sonnent même extrêmement faux) puis et c’est peut être pire, très conventionnel, ne racontant rien d’autre que ce que l’on aurait pu apprendre en lisant un article sur cette horrible nuit et les suites judiciaires pour ces bourreaux. On ne peut s’empêcher de penser au documentaire Let The Fire Burn (Jason Osder, 2013) dont le sujet aurait, de notre point de vue, fait un bien meilleur film pour Kathryn Bigelow qui aurait eu entre les mains le même type de matière dans laquelle elle a façonné ses plus grands films.
Titre Original: DETROIT
Réalisé par: Kathryn Bigelow
Casting : Will Poulter, John Boyega, Algee Smith …
Genre: Drame, Thriller
Sortie le: 11 octobre 2017
Distribué par: Mars Films
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma
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