SYNOPSIS : Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.
Avec ses trois premiers longs métrages, La bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sibyl (2019), Justine Triet donne des lettres toujours fiévreuses à son cinéma, et sait déjà tellement nous montrer une originalité de traitement au service d’une narration toujours percutante. Avec Anatomie d’une chute, les proches de la cinéaste évoquent un projet encore « plus ample, plus ambitieux « . A n’en point douter, dans ses fulgurances formelles, au regard de la dramaturgie absolue du sujet traité, Justine Triet va aller creuser dans les abîmes de la psychologie humaine dans ses aspects les plus saillants. Et clairement, Anatomie d’une chute est un grand film sur l’histoire tragique d’un couple, et donc de tous les couples. Comment s’aimer longtemps en se connaissant autant. La dissection du couple que propose Justine Triet, c’est surtout celle de l’érosion de la passion, et sur comment continuer à la faire vivre, malgré le poids d’un quotidien, tueur en série planétaires des amours balbutiants. C’est toute cette difficulté de grandir avec l’autre, face à l’autre, de souhaiter sa réussite tout en assurant la sienne. Il s’agit de s’épanouir dans les yeux de celle ou celui que l’on tient parfois pour responsable de toutes nos déchéances. C’est une lutte de la nuit des temps. A ce jeu-là, une scène au-delà d’être clé, va donner lieu à un immense numéro. Face à son mari Samuel, Sandra, jouée par Sarah Hüller au plus fort d’une colère de couple, de la rage de l’autre, de l’explosion des ressentis, va aller chercher un déchainement impressionnant d’intensité. Elle nous embarque totalement et toute la salle retient son souffle. Cette scène incarne en quelque sorte le film et s’inscrit dans un grand moment de cinéma.
Et puis, c’est aussi un grand film de procès, avec notamment toute la virtuosité de metteuse en scène de la cinéaste. A chaque prise de parole, la caméra se transcende, nous perd, joue sur des effets qui accentuent le poids des mots des avocats, de la juge, de l’accusée. Le procès est captivant au-delà de la force rhétorique, la technique filmique subjugue, étonne et nous emmène. Les joutes oratoires entre avocats sont impressionnantes d’intelligence et souvent même de drôleries. Comme il se doit, ils en font des caisses, mais la redoutable finesse d’écriture, magnifié par des acteurs habités rend le procès fascinant. On retiendra entra autre cette bonne vanne qui n’en est pas totalement une, et qui s’inspire largement d’une citation de Françoise Sagan : « L’argent ne rend pas heureux, mais il vaut mieux pleurer dans sa voiture que dans le métro « . Fascinant aussi car le diabolique de l’entreprise est clairement de nous faire douter sur ce qui a pu se jouer entre Sandra et Samuel. Il avait toutes les raisons de se suicider, elle avait aussi des motivations pour le tuer. Au centre de tout, au creux de cet amour/haine, c’est le petit Daniel, enfant sacrifié du couple qui détient possiblement une part de la vérité. Quand Daniel vient à la barre, il paraît tout petit, face à la justice des hommes, et il donnera pour autant une sacrée leçon. C’est tout un scénario savamment pensé, pour disséquer toujours plus les tréfonds de l’âme humaine. Au casting, c’est une sacrée bande, qui semble s’incarner par le couple à la ville entre Arthur Harari, qui déborde de talent autant comme acteur que comme réalisateur, et Justine Triet qui démontre à nouveau toute l’étendue d’une inspiration si prolifique. On pourrait compléter le tableau avec Samuel Theis, que l’on voit peu mais qui occupe le rôle clé de Samuel, le réalisateur notamment de l’immense Petite nature.
Justine Triet dira avoir écrit pour Sarah (Hüller), « pour son corps, pour sa voix « . Et elle a bien fait, car il y a ce grand moment de cinéma décrit plus haut où l’actrice est comme en transe, mais aussi tout le reste de son interprétation, impressionnante d’un calme froid mais aussi d’amour fou. Une prestation qui pourrait être consacrée sur La Croisette, ce que nous ignorons au moment de la publication de ces lignes. Swann Arlaud, c’est une affaire d’extrême sensibilité et de magnétisme. Il ne déroge ici pas à la règle et nous transporte avec lui dans des émotions autant variées que pleinement portées. Sa présence à l’écran a cet impalpable du rassurant. Antoine Reinartz (qui a tourné aussi pour Samuel Theis) est brillant dans le rôle de l’avocat général. Il est parfaitement agaçant comme son rôle le lui demande. Ses intonations, son corps, tout ce qu’il dit et fait a de l’importance. Et puis il y a le petit Daniel, joué par Milo Machado Graner, qui crève l’écran. Sa sensibilité est très émouvante pour le spectateur. Il est très inventif et instinctif dans son jeu. Un petit bonheur. Anatomie d’une chute nous scotche, nous capte et nous touche. C’est la promesse d’un moment psychologiquement haletant, et de vives émotions, ce que nous recherchons prioritairement au cinéma.
Titre original: ANATOMIE D’UNE CHUTE
Réalisé par: Justine Triet
Casting: Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner …
Genre: Policier, Drame, Thrillet
Sortie le: 23 août 2023
Distribué par : Le Pacte
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Festival de Cannes 2023, Les années 2020