L’écrivain-scénariste Paul Javal mène une vie heureuse avec sa femme Camille. Le célèbre producteur américain Jeremy Prokosch lui propose de travailler à une adaptation de l’Odyssée, réalisée par Fritz Lang à Cinecittà. Le couple se rend alors sur les lieux et rencontre l’équipe du film. Prokosch fait bientôt des avances à Camille sous les yeux de Paul. Cette tentative de séduction va sonner le glas de leur couple…
Le mépris, avant d’être le film que l’on sait de Jean-Luc Godard, c’est d’abord un roman d’Alberto Moravia, publié en 1954. Le mépris sera aussi un pari pour Godard. Il y a bien eu A bout de souffle en 1960 avec un retentissement si puissant, mais depuis Godard a essuyé quelques échecs. C’est une occasion pour le cinéaste, notamment avec Brigitte Bardot au générique de déployer sa capacité à tourner des films dont la complexité est moins prégnante, comme une antinomie de ce qu’il a construit avec la nouvelle vague. Si la fréquentation dans les salles, comme les critiques à l’époque furent pour le moins mitigées, surtout avec l’égérie Bardot en tête d’affiche, Godard réussira tout de même à démontrer pour sa part, qu’il était capable de réaliser un film moins inaccessible, d’avantage grand public. « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Le mépris est l’histoire de ce monde. » Puis un plan où entre autres… les fesses de Camille, donc celles de Brigitte Bardot… Et clairement on a du mal à regarder les yeux de Paul pourtant dans le champ eux aussi. Et BB de demander un peu à Paul et beaucoup à nous :
« -Et mes chevilles, tu les aime ?
-Oui.
-Tu les aimes mes genoux aussi ?
-Oui j’aime beaucoup tes genoux.
-Et mes cuisses ? Tu vois mon derrière dans la glace ?
-Oui
-Tu les trouves jolies mes fesses ?
–Oui très… « (Écoute, Brigitte, pour être honnête nous aussi…)
« Et mes épaules ??? «
Le mépris, c’est le corps, c’est clair. Mais l’esprit aussi. La question est posée à un moment, qui a créé l’autre ? Dieu ou l’homme ? C’est surtout le terrible déclin d’un couple, la déchéance dans le regard de l’autre. Le mépris, c’est dans le regard. Ici, il va se distiller comme un poison dans les pensées de Camille. Les questions de Camille à Paul sur l’appréciation qu’il peut faire de son corps expriment le doute de la jeune femme. Les réponses lapidaires de Paul viennent confirmer que celui-ci s’installe dans d’autres préoccupations, financières, professionnelles, artistiques. S’aimer soi pour aimer l’autre, principe vieux comme le monde de Socrate en passant tout récemment par Justine Triet dans Anatomie d’une chute (2023), qui démontre l’universalité et l’intemporalité de cette équation parfois insoluble. Tellement universel qu’il est difficile de ne pas y voir ce que Godard aura lui-même vécu avec l’actrice Anna Karina. Cette scène culte, si elle empreinte à la sensualité, si elle peut faire sourire, est le premier jalon de la descente aux enfers de l’union entre Camille et Paul. Un drame amplifié par la passivité de départ de Paul quand Prokosch sous ses yeux, va séduire Camille. En amour, si la seule constante est possiblement l’attrait de la nouveauté, Paul devrait se battre pour elle, pour eux. Pourtant, Camille aura sous les yeux la lassitude d’une union finissante avec ses médiocrités ordinaires face à la possibilité d’une relation neuve et fatalement séduisante. C’est aussi toute la dichotomie entre l’art et le financier, entre création et production. Un regard acerbe du réalisateur sur la mort du couple en symétrie de ce qu’il nous dit de la mort de l’art cinématographique.
Le ressenti de Camille sera d’abord en ellipse, puis de plus en plus explicite : « Je te déteste car tu n’arrives pas à m’attendrir » adressera Camille à Paul. Elle l’a pourtant tant aimé. Après l’amour, la haine, après la haine le mépris. Passer de tout à rien en moins d’une vie est un horrifique constat et interroge la croyance en la vie. Point de volatilité, mais une déconstruction méthodique qui assassine la passion, avec le meurtrier temps qui tient le revolver. Et puis la force monumentale du Mépris, c’est aussi sa mise en scène, avec ces alternances de plans, notamment sur le feu ardent de l’amour, de ses crises, de ses incessants questionnements, mais aussi les décors naturels de la villa Malaparte à Capri, de l’immuabilité de la mer, seule constante. Et bien sûr la bouleversante et enivrante musique de Georges Delerue, qui à chaque note semble signifier la dramaturgie du déclin amoureux dans ces phases les plus tranchantes. Elle nous plonge dans une profonde mélancolie et vient réveiller en nous le désespoir de nos amours perdus. Magnifiquement triste. Évidemment, la présence de Brigitte Bardot met en feu la caméra de Godard. Une rencontre finalement pas si atypique ou paradoxale, car le cinéaste fut un des rares à ne pas avoir moqué l’icône. Il y a le corps de Brigitte Bardot bien sûr, que comme une mise en abime de l’histoire contée dans Le mépris, les producteurs américains du film voulaient impérativement voire dénudée. Mais il existe surtout sa présence iconique, sa voix, son magnétisme fou qui contribuent à la légende du film. Bardot, dans Le mépris, c’est la femme. Bardot, c’est cette rencontre avec Godard, Bardot c’est un mythe. Michel Piccoli dans le rôle de Paul est saisissant de vérité dans sa forme de nonchalance et son caractère désabusé et comme impuissant et déjà vaincu par la mort de l’amour. Une sorte de flegme face à tous ses paradoxes, où il lie sa création artistique à son union avec Camille. Son duo avec Bardot est légendaire. Le mépris, œuvre tragique, dans le panthéon du cinéma hexagonal et international n’a en réalité pas pris une ride et bouleversera toujours autant les amoureux de l’amour et ceux du cinéma, à savoir nous tous.
Titre original: LE MÉPRIS
Réalisé par: Jean-Luc Godard
Casting: Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance …
Genre: Drame
Sortie le: 27 décembre 1963
Ressortie le : 24 mai 2023
Distribué par : Carlotta Films
EXCELLENT
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