Critiques Cinéma

CLASSE TOUS RISQUES (Critique)

SYNOPSIS: Abel Davos, un gangster condamné à mort et réfugié en Italie décide de rentrer clandestinement en France. Mais il est surpris par des douaniers et une fusillade éclate au cours de laquelle sa femme et son complice sont tués. De retour à Paris, seul avec ses enfants, Abel fait appel à ses amis Riton et Fargier, à Paris, qui ne peuvent venir eux-mêmes mais lui envoient un homme sûr, Éric Stark, avec une ambulance.

La voix off qui ouvre et referme le véritable premier film de Claude Sautet, Classe tous risques, donne le ton de la sobriété à laquelle le futur réalisateur de César et Rosalie (1972) s’est astreint pour ce premier essai grandeur nature et permet non seulement une contraction du récit mais aussi d’éviter des circonvolutions superflues. Mais avant d’en arriver là, Claude Sautet est passé par des étapes peu familières puisque c’est grâce à des malentendus qu’il a pu enfin passer à la mise en scène. Si il a entamé les préparatifs de la comédie Bonjour Sourire de Robert Dhéry et qu’il accepte d’en reprendre la réalisation quand Dhéry quitte le projet, il a toujours refusé d’y voir son premier long métrage personnel. Collaborateur de Franju pour Les yeux sans visage (1959) puis de Maurice Labro sur Le fauve est lâché la même année, Sautet remplace ce dernier pour mettre en boite les dernière scènes, le réalisateur et sa vedette, Lino Ventura, étant constamment en désaccord. C’est ainsi que naquit sa complicité avec Ventura et que Jacques Becker qui a apprécié le film lui conseille de poursuivre avec le comédien, en adaptant le roman de José Giovanni, Classe tous risques. Sautet manque de confiance en lui, mais encouragé par Ventura et Becker il se lance dans l’aventure. Seulement après quatre ou cinq mois de travail avec José Giovanni  qui a une véritable fascination pour la pègre et avec qui il s’entend à merveille, Sautet s’aperçoit que la direction qu’ils ont prise va à l’encontre des souhaits des producteurs ce qui ne manque pas d’entrainer des conflits. Pour ces derniers, le héros ne peut être ni un assassin, pas même un agresseur et ils désirent de fait supprimer plusieurs choses, souhaitant même le départ de Giovanni du projet. Sautet est du coup prêt à abandonner et est même soutenu par Ventura. Devant cette déconfiture, les producteurs paniquent et lui demandent d’aller rencontrer Morris Ergaz le coproducteur italien qui place sa petite amie Sandra Milo dans le film en échange de la défense du projet en l’état. En contrepartie, Pascal Jardin arrive sur le projet alors qu’il est tout juste débutant et est engagé pour retravailler le scénario ce qu’il a fait selon Sautet avec « humilité en des termes plus simples,  dans un langage plus flatteur. Sans rien changer ni à la structure, ni aux dialogues, ni aux intentions visuelles.«  1

Pour jouer aux côté de Ventura, le rôle d’Eric Stark va revenir au tout jeune Jean-Paul Belmondo qui n’a pas encore explosé avec A bout de souffle (qui sortira une semaine avant Classe tous risques). « Belmondo je l’ai aperçu dans Les Tricheurs sans retenir son nom. J’essaie de le décrire autour de moi et j’apprends qu’il s’appelle Belmondo. Giovanni lui téléphone et lui demande si il peut venir chez moi… Je n’aurai aucun problème avec Jean-Paul, toujours extrêmement à l’aise, disponible, avec cette décontraction juvénile qu’il gardera jusqu’à Pierrot le Fou. » 1 Seulement Bob Hamon ne voulait pas de lui qu’il avait trouvé très mauvais dans A double tour de Claude Chabrol  qu’il avait produit. Il présentera à Sautet rien moins qu’Alain Delon, Laurent Terzieff, Gérard Blain, mais aucun n’accepte sans la garantie de voir le rôle développé. Hamon va même jusqu’à proposer… Dario Moreno déclenchant la perplexité. Finalement grâce à Ergaz, Sautet parviendra à imposer Belmondo. Le jeune comédien y déploie un charme et une facilité qui deviendront sa marque de fabrique. Il ne cherche jamais à tirer la couverture à lui et son duo avec Ventura est l’un des points forts du film. L’importance des seconds rôles savoureux n’est pas non plus négligeable. De Dalio à Blavette, en passant par Claude Cerval, Bernard Dhéran, Réné Génin ou Jacques Dacqmine, c’est un sans fautes. Sandra Milo, si elle n’était pas mauvaise a dû être doublée à cause de son accent trop prononcé. Ventura lui, en comprenant au fur et à mesure que son personnage de loser était dans une situation encore plus désespérée que ce qu’il pensait, voit son moral en prendre un coup. Le comédien insuffle pourtant à son personnage une infinie tristesse et une détresse intérieure, celui-ci étant détruit par la perte de sa femme, de son meilleur ami et par le fait qu’il ait dû se séparer de ses enfants et il est remarquable  de bout en bout, presque toujours « en-dedans », sans être dans l’explosivité dont il peut être coutumier. Sa masse physique suffit à en imposer. Par ailleurs, ce n’est que plus tard que Sautet découvrira que le personnage est inspiré d’Abel Danos (Davos dans le film) qui avait fait partie pendant l’occupation de la bande de Bony-Lafont qui officiaient à l’adresse de sinistre mémoire du 93, Rue Lauriston.

Lors du tournage, avec son chef opérateur Ghislain Cloquet, Sautet recherche « la juste stylisation entre réalisme documentaire et fiction filmée » 2. Si en Italie « tout était facile » 2, « les problèmes ont commencé en arrivant à Nice »2. Notamment pour filmer l’abordage de nuit sur la plage « avec forcément une nuit artificielle, j’ai commencé à me poser des questions sur l’éclairage, sur le caractère unitaire de l’ensemble. » 2 Pour Sautet la partie la plus faible « est celle du retour en ambulance sur Paris. Ça appartient à un romanesque artificiel. » 1 Le passage des extérieurs aux scènes réalisées en studio à Paris ont également été compliquées afin de les ajuster à la tonalité d’ensemble. Cloquet et Sautet parviennent à se comprendre sur l’importance du « caractère physique du film »2 , Sautet ayant l’intention de ne « presque rien négocier par le dialogue… » 2 Classe tous risques ne cherche en effet pas à révolutionner le genre dans lequel il s’inscrit et se présente formellement et narrativement, nanti d’un certain classicisme mais également d’une épure et d’une solide charpente qui en font le prix. Le film ne fait ni partie de la Nouvelle Vague qui en est alors à ses balbutiements et a la particularité de ne pas seulement être un film de gangsters lambda mais un film sur la déchéance d’un truand et du milieu traditionnel, un point venant de l’héritage du visionnage par Sautet des séries B américaines. Sautet ne cherche pas à à faire une mise en scène ostentatoire, au contraire, il filme son récit à l’os, sans jamais verser dans le spectaculaire, ni dans le mot d’auteur à la Audiard, Simonin ou Le Breton. Avant la sortie du film, Sautet montre la  copie de travail à Jacques Becker qui ne sera pas avare de compliments tout en regrettant que la partie italienne ne soit pas plus développée confirmant ce que pense aussi le réalisateur. Clouzot, lui, se fit projeter le film sans Sautet mais lui en parlera longuement pour obtenir des détails sur la manière de tourner telle ou telle scène. Franju puis Melville et le tout jeune critique Bertrand Tavernier furent des soutiens de poids pour Sautet. Pourtant, à sa sortie, Classe tous risques est un échec. Hamon en profite pour rappeler au néo-réalisateur qu’il aurait dû accepter de tourner une autre fin et d’accepter un autre titre (Priez pour moi! ou Priez pour nous! furent notamment proposés par Hamon, mais le réalisateur ne cacha pas son peu d’enthousiasme). Même si le film ne marche pas, Sautet a prouvé ce dont il était capable mais s’était juré de ne pas repiquer au même genre pour son projet suivant. En 1963, grâce aux cinéphiles critiques les mac-mahoniens,  Classe tous risques ressortira à Paris et rencontrera cette fois le succès. Seul véritable polar de la carrière de Claude Sautet, il aura fallu du recul pour mesurer la trace majeure que le film a laissé dans l’histoire du cinéma français en général et dans le cinéma de genre en particulier.

Bibliographie:

1 Conversations avec Claude Sautet de Michel Boujut Editions Définitive – Institut Lumière / Actes Sud

2 Sautet par Sautet de N.T Binh et Dominique Rabourdin Editions de la Martinière

Titre Original: CLASSE TOUS RISQUES

Réalisé par: Claude Sautet

Casting: Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Sandra Milo

Genre: Comédie Dramatique, Romance

Sortie le: 23 Mars 1960

Distribué par: Les Acacias

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE

1 réponse »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s