Interview, mais plutôt un réel entretien riche et généreux, avec Thibault Segouin, réalisateur de son premier long métrage Une comédie romantique, avec à l’affiche celui qui est comme son quatrième frère Alex Lutz, et Golshifteh Farahani, qui faisait rêver le cinéaste quand il était spectateur. Un moment suspendu, avec le réalisateur d’un film plein de malice, de fantaisie et d’émotion, qui nous ramène à l’essentiel. Une comédie romantique donne envie de partir en week-end avec ceux qu’on aime. Éclosion d’un très beau cinéaste.

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Thibault, si on parlait d’abord de ton parcours, une passion pour le théâtre américain, tu peux préciser ?
Thibault Segouin : Quand j’avais 18 ans, mon plan, c’était de passer mon bac, faire un ou 2 ans d’une école hôtelière à Paris et repartir en Australie où j’avais été auparavant. Habiter là-bas, bosser dans la restauration, ouvrir un resto, je ne sais pas, mais c’était ça mon plan de base. Donc j’ai eu mon bac à Rennes et j’ai fait un jour dans une école hôtelière et le soir de la première journée, j’appelle mes parents en disant je n’y retourne pas demain et je vais m’inscrire au cours Florent. Je n’avais pas vraiment de volonté d’être comédien plus que ça, mais je faisais du théâtre déjà, j’aimais bien. J’ai un problème avec l’ennui, et je ne m’ennuyais pas dans cet univers-là. Je me suis inscrit et ma prof de première année était géniale, Juliette Moltes, avec qui je suis encore super proche et avec qui je fais des ateliers d’écriture dans son école. Dans les années 1990 / 2000, elle ne mettait en scène quasiment que les auteurs contemporains américains, Tennessee Williams, David Mamet, Sam Shepard et tout ça. Et elle était passionnée de ça et c’était une prof qui transmettait très bien sa passion. On se retrouvait beaucoup à lire du théâtre américain quand j’avais 18 ans et j’ai trouvé ça génial. Il y a une espèce de sens de la dramaturgie, de l’efficacité dans l’écriture, ils n’ont pas peur des effets, des sentiments forts. C’est un truc qui n’est pas du tout naturaliste. Je me suis pris d’amour pour ça. C’est un peu ça qui m’a donné envie d’écrire.

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Il y a alors la rencontre avec Alex Lutz, et tu disais que c’est lui qui t’a aussi donné envie d’écrire ?
TS : Oui, Alex, c’est un peu mon quatrième frère, enfin, mon frère du travail. A 18 ans, je n’avais pas de travail comme tous les gens qui sortent du cours Florent. Excepté quelques-uns. Y’a Noémie Merlant qui commençait à tourner mais c’est tout. Et puis moi je passais vaguement des castings avec encore une fois pas du tout là niaque pour être comédien, ça ne m’intéressait pas plus que ça. En revanche, j’avais toujours envie de continuer à bosser dans cet univers-là, contrairement à tous mes potes qui étaient serveurs, moi, je me suis dit que j’allais bosser dans des théâtres. Comprendre comment fonctionne un théâtre. Tu vois ce qu’est l’économie d’un théâtre à Paris, qui sont les gens, les acteurs qui travaillent, comment fonctionne la technique etc. Donc je me trouve à vendre des billets de spectacle et faire un peu de coordination de production au théâtre Trévise à Paris où jouait Alex. C’était les débuts de Catherine et Liliane, donc Alex, ce n’était pas le Alex d’aujourd’hui. C’était un mec qui remplissait une salle de 280 places à Paris, ce qui est bien mais qui ne correspond pas à la notoriété qu’il a aujourd’hui. À la fin de la saison, Alex m’a dit, Je pars en tournée, « il me faut un administrateur, est-ce que ça te dit qu’on parte ensemble ? « Moi je me dis tiens, toujours dans mon idée, de continuer à explorer cette univers-là. On a fait 450 dates, donc on partait 3 jours par semaine, tous les 2 en train. Sois-tu deviens très proche en 2 secondes, soit tu ne t’entends pas et t’arrêtes. Et lui, il voyait bien que j’étais attiré par tout ça, mais je ne savais pas précisément ce que je voulais faire et c’est lui un jour qui me dis « tu devrais écrire« . Alex, il a ce truc un peu comme ça, il met les gens à un endroit, leur dit « tiens débrouille-toi et si t’y arrives pas tu m’appelles ». C’est un truc qui est responsabilisant. J’aurais pu rester administrateur de tournée 10 ans, j’étais intermittent, c’était cool, je partais dans des villes de France. J’avais pas encore conscientiser tout ça, c’est pour ça que c’est un peu un truc de grand frère.
Et là, tu te retrouves à écrire pour Catherine et Liliane ?
TS : Oui, ponctuellement, j’écrivais pour tous les trucs quand ils étaient en quotidienne à Cannes, où pendant Noël. Donc j’étais beaucoup en renfort sur Catherine et Liliane. Et puis, de fil en aiguille, ça commençait à marcher fort, donc on m’avait appelé sur d’autres programmes d’humour et j’ai commencé à écrire pour des sketchs, pour des humoristes, pour l’émission de Laurent Ruquier On ne demande qu’à en rire. J’écrivais déjà au cours Florent, en bande, en choral, et c’est devenu professionnel grâce à Alex. Je ne savais pas qu’auteur, c’était un métier.
Ensuite, toujours avec Alex, c’est l’écriture de Guy (2018) ?
TS : Un peu après oui. Je continuais les tournées avec Alex et en même temps, j’écrivais vraiment pour plein de trucs, pour des humoristes, des émissions, des séries, des programmes courts d’humour, des chroniques radio pour Europe 1, des sketchs pour Vivement dimanche , mais vraiment tout et n’importe quoi. C’était à un moment où j’avais 25 ans, on me proposait du travail, j’étais content !! Et avec Alex, on avait cette vieille idée parce quand tu tournes, la journée tu t’ennuies beaucoup, et on jouait à se dire tiens, ça serait quoi si on continuait à faire ça pendant 50 ans ? Alex, c’est un vieil humoriste, moi je suis un vieil administrateur et on jouait vraiment à ça dans la loge. Ça nous faisait rire un peu à la façon comme on se dit tout le temps, « tiens ça ferait un bon film« . Et sauf qu’Alex, lui, c’est un faiseur, encore une fois. Il m’appelle quelques mois plus tard, me dit « c’est bon on va faire le film, j’ai l’accord de canal, sauf que ça ne sera pas un humoriste, mais un chanteur. Et j’aimerais bien qu’on écrive avec Anaïs si t’es d’accord », celle qui est ma femme aujourd’hui, qui était ma jeune fiancée à l’époque et parce qu’elle était documentariste et comme Alex, n’est pas fou, s’est dit on va gagner du temps car on a 4 mois pour écrire le scénar, ce qui n’est pas beaucoup. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé à écrire Guy tous les trois, nous on a écrit toutes les chansons avec Anaïs. On était pas mal sur le tournage aussi et au montage un peu. On a bien suivi le processus de fabrication du film et en le voyant, je me suis dit, « Ah tiens, ça a l’air super de faire des films et moi aussi j’ai envie de faire ça « . Et après, il y a eu une super histoire autour de Guy, Cannes, la semaine de la Critique, 6 nominations aux César, dont le meilleur scénario. On était nommés pour le premier film qu’on écrit, donc c’était un peu fou. Et Alex qui a eu le César du comédien et tout à coup le truc de « tiens j’aimerais faire des films », c’est un peu devenu possible, c’est à dire que mon agent là où j’avais des idées de film, mais pas forcément les contacts et le background pour avoir les rendez-vous avec les bonnes personnes, le fait d’être nommé au César du meilleur scénario tout de suite, ça valide un truc.
Il y a ton court métrage Les deux couillons, qui parle de deux frères, que l’on retrouve dans Une comédie romantique, la fraternité est un sujet qui compte pour toi ?
T.S : J’ai 3 frères et oui j’ai des tiroirs de trucs sur lesquels je peux m’amuser. Là, j’écris mon prochain film, et y’a encore des frères. Je trouve une relation un peu bizarre parce que plus on grandit avec mes frères et plus je me dis tiens, est-ce que si on se rencontrait aujourd’hui on serait les meilleurs amis du monde ou est-ce que juste on est proches parce que on est frères ? Et plus le temps passe, plus la question se pose. On est liés par un truc complètement impalpable et imperceptible, qui est juste déterminé par la relation de frère. Ces mécanismes-là m’amusent et m’intéressent et je me dis tiens, je vais écrire un court là-dessus. L’idée était de faire le court vite pour ensuite faire le long (Une comédie romantique donc). Je l’ai écrit vite, je me suis dit que je n’ai jamais fait de mise en scène de cinéma, donc il faut que je m’enlève des questions de la tête, donc je vais écrire pour Olivier Chantreau que je connais très bien, je connais son tempo, je vais tourner à Rennes et à Roscoff parce que je connais les endroits. J’ai un peu tout réfléchi comme ça. Je l’aimais pas trop une fois fini. Il a eu des prix, il a beaucoup tourné en festival, il a eu un beau parcours. Maintenant, je l’ai revu, je l’aime bien !! Je pense que comme c’était le premier, j’avais l’impression que c’était pas du tout ce que je voulais faire quand j’ai fini. Mais là, ça me fait plus trop ça.
Sur tes influences ?
T.S : Je ne suis pas un ultra cinéphile, j’adore les gens qui dans un dîner peuvent te dire j’ai revu tout Pialat, et je me sens vraiment complètement démuni face à ces gens-là parce que vraiment genre j’ai pas vu 1/3 ou la moitié ou 1/10 de ce qu’ils ont vu. Mais je viens d’une famille de classe moyenne, avec une culture mainstream donc vraiment genre les films de Gérard Oury moi c’était mon graal quand j’étais petit. Et je les aime toujours. J’aime bien plein de trucs qui n’ont aucun rapport les uns avec les autres. Par exemple, j’adore les films de Julie Delpy, notamment Two Days in Paris (2007), qui est un de mes films préférés. Je trouve qu’il y a tout dans ce film. J’adore, je trouve ça parfaitement mené, simple, accessible dans un dispositif très chouette, y a de la place pour le jeu, de la place pour l’écriture, pour tout en fait. J’adore les films de Woody Allen parce que je crois que j’aime bien quand le périmètre ne se passe dans un univers clos, ce que j’ai un peu essayé de faire modestement avec Montmartre mais sans rentrer dans des comparaisons avec Woody Allen, j’aime bien quand même ce truc de ça se passe d’un coin de rue à un autre. J’ai des goûts hyper éclectiques, je peux vraiment m’enthousiasmer pour Parasite (2019) et le lendemain regarder un film de Philippe Lacheau et me dire « Olala ils sont super forts » (rires..), je ne saurai jamais écrire ça. J’ai zéro snobisme. Eux, on voit qu’ils ont une volonté de bien faire.

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On en arrive à Une comédie romantique, est-ce que tu as écrit le personnage de César en pensant à Alex Lutz ?
T.S : Pas du tout. Pendant que j’écrivais, je pensais à Golshifteh (Farahani), je rêvais de Golshifteh, vraiment. Car quand on s’est rencontré avec ma femme, nos 2 premiers « dates » de cinéma, c’est Les deux amis (2015) et Paterson (2016), Et dans les 2, elle était là. Donc on avait cette espèce de truc, genre elle est liée d’une manière complètement débile au début de notre histoire d’amour et c’est une espèce d’idéal. Et donc vraiment j’ai écrit en me disant mais ce serait génial d’avoir ce personnage-là de parisienne car en fait y’a pas de parisien à Paris, y’a que des gens qui viennent d’ailleurs. Tout le monde est breton etc… Donc je trouvais ça marrant que la plus parisienne des parisiennes soit Golshifteh Farahani, qui a un accent mais on ne dit jamais d’où il vient dans le film. Mais que ce soit l’incarnation de la parisienne, je trouve ça vraiment tendre, ça me plaisait beaucoup. J’ai écrit aussi pour Olivier (Chantreau). Et Alex, c’est venu un peu plus tard. Dans ma tête, j’écrivais en pensant à Hugh Grant, en sachant que je n’aurais pas Hugh Grant, et qu’il est trop vieux pour le rôle, donc ça ne marcherait pas, mais je voulais ce dispositif-là, de trucs anglais et pas méditerranéens. Je voulais pas le stéréotype du beau gosse qu’on a dans les films français. Je voulais pas un mec balèze, mais quelque chose de plus en nuance, plus dandy, plus charmant.
Dans le film, on est au cœur de Montmartre, on est avec ce personnage de César. Tu pensais le film comme une forme d’incarnation du romantisme à la française ?
T.S : Oui oui, carrément. Je voulais faire une déclaration d’amour au quartier que j’adore, où j’ai habité, j’habite encore un petit peu là-bas quand je vais à Paris, j’y ai habité 12 ans, enfin pas à Montmartre, mais dans le 18ème. C’est un quartier que j’adore parce que je trouve que c’est le seul endroit où j’ai mis les pieds en France où le terme de mixité qu’on entend partout existe là-bas, c’est à dire que vraiment, à Montmarte, c’est factuel, ça existe d’une rue à une autre, y’a tout y’a tout, tout, tout, tout, tout !!! Et tu croises dans un immeuble tous les gens, c’est comme ça, et c’est le seul endroit que je connaisse comme ça. J’ai un espèce d’amour pour ce quartier, qui est un peu en train de changer… Alors la génération d’avant le disait, Jean-Pierre Jeunet dit « Je reconnais plus mon quartier« . Je crois que c’est un peu vrai et faux à la fois. J’avais envie de faire une espèce de photo de tout ce que j’aime à Montmartre et ce que j’ai aimé pendant 12 ans. Donc y’a un jeu de vrai-faux dans le film. L’hôtel de Clermont, ça existe, chez Ammad, ça existe. Slimane Dazi, qui joue Ammad le connaît parce que Slimane vient du dix-huitième. Donc quand Je l’ai appelé pour lui proposer, il m’a rappelé 10 minutes après : « OK, je viens de voir le scénar, c’est pour jouer Ammad, c’est oui, je lis, je te rappelle, mais c’est oui » parce qu’il était trop content de jouer ce rôle et les habitués de chez Ammad sont de vrais habitués. Le mec qui conduit le camion, Didier, c’est un vrai habitué de là-bas, qui est un mec du quartier. Je voulais que ce soit le plus près de ce que j’ai vu dans ce quartier, comme les artistes de rue, qui existent aussi. Il y a un vrai problème avec les artistes de rue à Montmartre aujourd’hui parce que les gens qui s’installent, qui n’ont pas les codes du quartier, appellent les flics parce qu’ils sont dérangés par la musique, donc les artistes du quartier n’ont plus droit de jouer alors que Montmartre, c’est un endroit où les gens vivent de l’art dans la rue. Donc y a un vrai problème, les mecs qui jouent avec Alex dans le film sont Les oiseaux de Montmartre, un collectif de musiciens qui est engagé justement pour que les musiciens puissent perdurer dans le quartier.
Sur l’importance de la couleur, de l’esthétique de l’image, il y a un peu comme une explosion de couleurs, façon Baz Luhrmann, avec aussi le travail de Marie Demaison à la photo, qui était déjà là pour Les 2 couillons, ça a une place singulière pour toi ?
T.S : En fait, dans la manière dont on a travaillé, la direction artistique globale du film, je voulais absolument retravailler avec Marie, que j’avais réussi à avoir pour mon cours en effet, parce que c’est vraiment quasiment ma co-metteur en scène ? Elle ne met pas en scène, mais c’est mon autre moitié de cerveau. J’avais déjà demandé à François le compositeur de me faire la musique sur le scénario, ce qui ne se fait pas trop. Normalement, la musique, elle se fait à l’image, mais François pareil, je le connais bien, il m’a fait les 2 thèmes du film, qui sont le thème de piano et l’espèce de thème un peu Cumbia par lequel le film démarre, qui sont des trucs très colorés. Moi je lui dis, « tiens, lis le scénario, qu’est-ce que ça t’inspire ? » Il m’a sorti ces deux trucs là et je me dis, tiens, c’est intéressant, c’est une lecture du film à travers la musique que tout le monde n’aurait pas eu. Hans Zimmer, il n’aurait pas fait ça et il y avait quelque chose que je trouvais chouette. Donc à partir de là, j’ai travaillé dans ce sens-là avec Marie, on voulait un truc assez peps et coloré. Dans nos rêves, il y avait une image un peu dorée, un peu Baz Luhrmann oui, et un peu Un jour de pluie à New York (2019). Bon, c’est beaucoup plus travaillé que nous parce que ce sont des films avec un autre budget et fabriqués autrement. Mais c’était ces codes-là, et l’envie et que ce soit très vivant, très dynamique. Et un autre rêve qu’on avait dont on ne s’est pas vraiment servi, mais qui ressemble à la première scène de La bataille de Solférino (2013) de Justine Triet, avec un début qui est très en mouvement, où c’est le bordel dans l’appart. C’est aussi une contrainte car on avait que 5 semaines et demi pour tourner. Mais oui, la musique a joué beaucoup parce qu’elle influe sur l’image. Elle influe sur les costumes.

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Je reviens juste sur le personnage de César, un peu le looser magnifique, immature, exaspérant et en même temps extrêmement attendrissant. Son frère lui dit à un moment « Ta vie est une situation de stress et tu te ballades dedans les mains dans les poches ». C’est comme une intention de ta part de réhabiliter un peu le personnage de rêveur pour qui les temps sont durs ?
TS : Oui, il y a ça et j’aime bien les gens qui ont des personnalités un peu contradictoires. J’aime bien l’idée qu’en fait, quand on doit composer avec des gens, on doit composer avec qui est positif chez eux. Sur le papier, ce qui est négatif, c’est un peu l’histoire d’amour de César et Salomé, c’est à dire qu’ils se battent pour composer avec ce qui est positif et négatif chez eux pour essayer d’y arriver, et se dépatouiller de tout ça. Pierre et Camille aussi d’une certaine manière, donc j’avais envie d’un personnage un peu comme ça. Un de mes films préférés, c’est César et Rosalie (1972). J’adore le personnage de César car il est aussi flamboyant que pathétique, aussi attachant que dégoûtant. Il est tout le temps à côté et pourtant ça part d’un truc tout à fait candide. Bon ça tient beaucoup à Montand qui est extraordinaire, mais je sais pas si tu vois cette scène où il lui a acheté la maison de son enfance. Elle est partie, elle est avec Sami Frey dans le sud à Sète, ils sont sur une plage, il débarque en bagnole après avoir roulé toute la nuit pour essayer de revenir. Cette phrase est incroyable, il lui montre une photo et : « La maison, je l’ai achetée, je te l’ai achetée ». Il pense qu’il va la racheter parce qu’il a acheté la maison de son enfance et moi ça, ça me bouleverse parce que je trouve que c’est débile de penser qu’avec le fric, il peut tout avoir, mais quand même, il a une bonne idée. C’est un truc très naïf qui est lié à l’enfance et il y a une espèce de mélange de sentiments là-dedans, et c’est un peu ce que j’ai essayé de faire avec le personnage de César, (le mien) c’est à dire qu’il soit exaspérant mais qu’on ait aussi envie de le prendre dans les bras tout le temps, en disant « ça va aller, ça va aller « … Je sais pas si c’est réussi, mais c’était ça la dynamique du personnage. On en connaît plein des gens à qui on pardonne tout. Moi, j’en ai plein dans ma vie, des gens à qui j’ai tout pardonné, des gens vraiment sur le papier, ils ont une attitude lamentable, mais tu leur pardonnes tout.
Alors y a y a le cœur du film, l’histoire d’amour évidemment alors. J’ai lu que tu disais « qu’en amour c’était jamais fichu, fallait trouver d’autres chemins ». Tu filmes en même temps la réalité et la complexité de l’amour et c’est ce qui fait la force du film ?
T.S : Oui, c’est un peu un truc de l’époque dans laquelle on vit, alors, on dirait que j’ai 70 ans quand je dis ça, mais aujourd’hui, on est vraiment que dans l’instantané, dans « je prends, je jette, ça me va, ça ne va pas, ça c’est bon, je le prends en photo, ah non, je l’aime plus, je supprime la photo ». Y’a ce truc qui est terrifiant, je trouve dans les applications de rencontres où les gens cherchent une espèce de fiche de poste, du compagnon ou de la compagne parfait où parfaite, faut que ça remplisse tous les critères. Y a un truc qui m’angoisse terriblement là-dedans. Je crois que c’est complètement contradictoire avec la nature de l’être humain. En fait, on est tous vraiment capables du meilleur comme du pire. Et de se dire bah OK, en fait, c’est des gens qui ont déjà raté, qui réessayent et peut être, ça va marcher, ou pas, je ne vais pas dévoiler la fin du film. C’est de dire que oui, on peut se tromper, on peut réessayer, on peut pardonner, on peut ne pas pardonner aussi, mais je trouve que l’époque est terrible pour ça : Tous les jours, on nous dit exactement ce qu’il faut faire, comment il faut faire, ce qu’il faut penser, ce qu’il faut ne pas penser. Enfin y a un truc ou tout est binaire tout le temps, mais moi j’ai pas envie que les choses soient binaires, j’ai envie qu’on puisse s’engueuler, se réconcilier…
Le film est aussi une variation sur le mensonge, parce que certains petits accommodements et petits mensonges vont finalement servir une vérité plus grande et plus intéressante non ?
TS : Ce que j’essaie de montrer, c’est que oui, il y a ceux qui essayent en remplissant les cases du cahier des charges de la vie : Pierre et Camille. La situation, un bel appart, les enfants quand il faut, le machin, le truc et c’est dur et ils y arrivent pas forcément. Et puis y a les autres qui font un peu tout à côté. En faisant comme ils peuvent, en se mentant, en foirant plein de trucs, mais pour qui en fait ça fonctionne parce que c’est leur recette à eux, leur sincérité à eux. Et dire qu’il n’y a pas je crois, de recette magique.
Et il faut qu’on parle de Tchéky Karyo, car il est juste immense dans le rôle du papa où pour se remettre d’une déception amoureuse, il ne peut plus sourire à cause de trop de botox. J’imagine que sur la scène vous vous êtes tous marrés, c’était comment à tourner ?
TS : (Rires…) Ah, Effectivement, c’était vraiment une scène à la fois simple et à la fois compliquée parce que c’était une qui était prévu sur deux jours au plan de travail, parce qu’elle est longue, avec tout le monde et elle est en 2 scènes, dans l’appart et tout. C’est un tout petit appart, il y a pas beaucoup de place pour tourner. Il y avait beaucoup d’axes. Donc techniquement c’était un peu chiant. Y’avait deux jours et sauf que quand Tchéky m’a dit oui… Tchéky, il avait tourné dans un court-métrage de ma femme, Anaïs qui s’appelle La vie d’avant (2021), il est génial dedans, donc c’est Anaïs qui a rencontré Tchéky d’abord. Ils sont très bien entendus, Tchéky est quelqu’un de tout l’inverse des rôles qu’il joue. C’est l’homme le plus charmant et le plus tendre que tu aies jamais rencontré de ta vie. Donc ils s’entendent trop bien avec Anaïs. Moi, je file un coup de main en déco sur le court métrage d’Anaïs. J’ai pas mal discuté avec Tchéky, et il m’avait juste dit qu’il avait fait très peu de comédies, alors qu’il adore ça. Et ça m’était resté dans un coin de la tête et je me suis dit ça serait marrant de lui proposer le rôle. Il a tout de suite eu une lecture à mourir de rire du personnage. C’est à dire qu’il a lu la scène et m’a appelé en me disant : (imitation de Tckéky Karyo par Thibault) : « Ouais, je vois très bien ces mecs. Je les connais très bien, j’en ai rencontré plein, ouais, c’est des mecs, t’as toujours l’impression qu’ils se sont pris en un avion, voire même un aéroport en travers de la gueule, ils savent plus comment ils s’appellent et vraiment ils sont tétanisés. » Il a tout de suite tout compris le personnage alors que c’est compliqué de proposer un rôle de mec comme ça à Tchéky, un mec de 70 ans et lui a vu tout ce qui était drôle là-dedans et il m’a dit, « Ouais, j’ai une idée. J’aimerais bien qu’il garde son manteau et qu’il l’enlève jamais alors qu’on est en plein été et qu’il sait plus s’il a chaud, s’il a froid« , ça m’a fait mourir de rire et je me dis mais parfait, il a tout compris. Donc vraiment ça va être génial et sauf que Tchéky tournait en même temps trois trucs car il tourne tout le temps, il travaille toute l’année. Et pour que ça rentre avec lui, on a eu le droit qu’à un jour, sinon je devais proposer un autre acteur pour avoir deux jours. Voilà donc c’est posé un cas de conscience assez long et vraiment je dis bah non, on va essayer de le faire en une journée, une grosse journée avec Tchéky qui est arrivé le matin, qui est reparti avec un chauffeur la nuit pour aller à Reims où je sais pas où tourner, parce qu’il avait envie de faire une journée dans ce film. Donc on a tout rentré dans une journée, c’était hyper intense. On n’a pas eu le temps de réfléchir, tout était rapide. Mais oui c’était hyper marrant, y a eu beaucoup, beaucoup de fous rires. Il faut dire qu’il en reste dans le film, il y a des moments, on voit Olivier rire sur le côté parce que j’ai pas réussi à trouver des prises où il ne rit pas… Tchéky était à crever de rire.
C’est aussi toute la question d’un grand acteur doit-il être dirigé… Car avec Alex Lutz où on a l’impression qu’il ne joue pas, mais plutôt qu’il est. Du coup, avec en plus votre relation fraternelle, comment tu as composé ?
T.S : Je pense que c’est un truc de compréhension du personnage. Alex, c’est l’acteur que j’ai le plus vu jouer dans ma vie, parce que j’ai vu genre 450 fois son premier spectacle en coulisses et en fait, je restais parce que je regardais. Je mesure tout à fait l’amplitude de jeu d’Alex, un jeu formidable. Il est capable de faire pleurer et rire. Je sais pas si t’as déjà vu ses spectacles, mais c’est pas que des spectacles d’humour. Il est capable de faire pleurer les gens et les faire rire dans la même minute et il se fond dans les personnages. Quand il joue une femme, on y croit. Quand il joue un vieux, on y croit aussi. Parce que c’est quelqu’un qui observe, parce que c’est quelqu’un qui voit tout de suite chez les gens. On a un peu ça en commun, on aime bien parler avec des gens et remarquer un tic de langage, un regard, un truc à se dire. En fait, diriger Alex, c’est juste avoir la même vision du personnage tous les deux. Et voire même se laisser surprendre par des trucs en plus. C’est juste connaître le personnage, savoir où on en est quand on tourne, quelle scène, à quel moment de l’histoire de la vie du personnage on est. Mais comme on a beaucoup travaillé ensemble, et puis Guy, c’est un truc qu’on a écrit comme ça, on a écrit d’abord un personnage avant d’écrire le film. Parce qu’on a besoin que ce soit vrai. Pour César, c’est un peu ça aussi. J’ai pas écrit le personnage avec Alex mais on a parlé du personnage. Tiens, c’est ce gars. Il vient de là. Voilà pourquoi il en est là aujourd’hui. Voilà, ses failles, voilà ses faiblesses, voilà ses forces. Après il faut trouver juste l’endroit qui fonctionne bien pour chaque scène en revoyant les rushes, en se disant j’ai besoin que le personnage soit à cet endroit-là. Mais oui, Alex, il a ce pouvoir d’incarnation incroyable.

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C’est un peu la même chose pour Golshifteh Farahani ?
T.S : Oui, pareil, elle est capable de pleurer, tu fais « coupez » et hop, c’est parti. Et tu lui dis « mais attends, pleures, pas tu vas me faire pleurer » et elle te dit : « Moi je pleure pas. Le personnage il pleure. Pas moi, je pleure pas. » Et Alex c’est un peu ça aussi, c’est juste, ils ont des boutons de personnages, ils trouvent l’endroit et ils s’amusent avec ça. C’est un truc d’enfant en fait.
Le prochain projet, c’est je crois un drame familial, qu’est-ce que tu peux nous en dire ?
T.S : Je suis en train de terminer ma première version dialoguée là. C’est un peu plus proche des 2 couillons. En gros, Une comédie romantique, c’est un peu une comédie dans laquelle j’ai injecté des éléments de drame et là c’est un peu l’inverse. Quand j’écris, j’ai besoin de savoir d’où ça sa part, et j’ai l’impression que ça part de quelque chose de concret, simple qui me parle. J’ai perdu mon père il y a 9 ans et j’ai eu un truc bizarre pendant quelques années. Je le voyais dans d’autres gens… Pas un truc de science-fiction hein, mais genre j’allais à la pharmacie, j’avais une espèce de moment de 2 secondes de ola, là tu vois, je le voyais dans les traits de quelqu’un qui lui ressemble un peu. Et genre, Nanni Moretti ressemble beaucoup à mon père et vraiment genre, j’ai eu plein de fois des moments de waouh, dans des vidéos, et j’ai pensé à ça il y a longtemps et je m’amusais dans ma tête parce que mon esprit vagabonde, je m’amusais à me dire que ce serait marrant que mon père soit pas mort et qu’il soit vraiment ce pharmacien, que je retombe sur lui. À chaque fois, ça arrive de me dire, tiens, ce serait improbable qu’il soit pas mort, qu’il soit buraliste à Montpellier. Je me suis dit, tiens, il y a un truc qui m’amuse dans l’écriture là-dedans, et donc c’est le point de départ de ce que je suis en train d’écrire.
Une dernière question, une envie, quelque chose que l’on n’a pas dit, en rapport avec le film, ou pas ?
T.S : C’est une bonne question. Ce que je peux dire c’est que j’ai pas fait d’école de cinéma, j’ai fait vaguement une école de théâtre mais pas longtemps donc Une comédie romantique, c’est un film de troupe un peu, c’est à dire que voilà, ça s’est construit un peu comme quand je répétais des pièces de théâtre dans une cave pour les jouer à Avignon. C’est un peu un film qui s’est fait dans un élan comme y’a beaucoup de gens que je connais qui travaillent dessus, avec vraiment la contribution de chaun-e-. Il y a un truc un peu familial. J’aimerais bien essayer de garder ça à l’avenir, avec une mise en scène qui laisse la place aux acteurs pour s’amuser mais aussi à l’équipe technique avec beaucoup de plans-séquence. Voilà donc j’aimerais bien continuer de creuser ça à l’avenir. C’est aussi complètement la joie du métier de réalisateur, c’est juste un truc d’enfant, c’est à dire que c’est comme quand t’es gamin tu dis tiens, on pourrait jouer. Les gens m’ont laissé faire exactement tout ce que je voulais faire du début à la fin, c’est hallucinant. C’est une espèce de plaisir et de responsabilité. C’est comme si j’étais un enfant à qui on a dit » Amuses toi« . Donc j’espère que les gens vont s’amuser aussi !!!
Propos recueillis par JM Aubert
Catégories :ENTRETIENS