Critiques Cinéma

AUTOUR DE MINUIT (Critique)

SYNOPSIS: Paris 1959, bar le Blue Note. Dale Turner, un des plus grands joueurs de saxo de la génération bebop, n’est plus que l’ombre de lui-même. Francis, un jeune parisien solitaire, s’est imprégné des enregistrements du maitre depuis qu’il avait quinze ans. Le dieu vivant est ravagé par l’alcool et la drogue mais pas détruit. Francis va lutter contre les démons de Dale afin d’insuffler à nouveau le goût de la vie à celui qui était fatigué de tout sauf de la musique.

Autour de minuit vient bien sur consacrer de la façon la plus pure qui soit l’amour de  Bertrand Tavernier pour le jazz, quand celui-ci a traversé l’ensemble de sa filmographie, ce qui est particulièrement saillant notamment dans l’Horloger de Saint-Paul (1974). Il a d’ailleurs travaillé avec les plus grands, comme Ron Carter, immense contrebassiste américain. Dans Autour de minuit, il est question de la création, juste après notamment Un dimanche à la campagne (1984) où le cinéaste nous parlait entre autres d’un créateur et notamment de toutes ses limites.  Autour de Minuit s’inspire très librement de la rencontre entre le graphiste Francis Paudra et le pianiste de jazz Bud Powell. Il aura été récompensé du César du meilleur son, celui de la meilleure musique originale et l’Oscar de la meilleure musique en 1987. Sans doute car il n’y a jamais assez de bonté dans le monde, Tavernier filme ici avec son âme autant le talent que le bonheur, les bonheurs. C’est un cinéma du vivant, et tout y est. Il montre dans une multi-variation l’amitié, l’amour, la famille, le plaisir et tout ce que la vie peut nous réserver de petits miracles, de surprises et autres joies simples. Dans Autour de minuit, on entend les émotions sur grand écran. C’est du cinéma, mais c’est aussi un incroyable et infini concert jazz dans les bars, on sent la fumée dans la salle de ciné, on a envie de boire un Gin ou un Scotch, de se lever pour déambuler la clope à la main. On le fera dans sa tête, et rien que pour ça, ce film est une échappée, un délicieux rêve très sensoriel. Ici, on décolle sans bouger.

Les plans donnent un vertige de plaisir à la caméra, en développant autant le génie de l’artiste sur scène, que ses sacrifices existentiels, pour en arriver à une telle maîtrise de son art. Dexter Gordon est Dale Turner et réciproquement. Le jazz coule dans ses veines, dans le moindre de ses mouvements, dans sa voix brulante qui montre l’homme consumé, dans ce décalage poétique avec la vérité matérielle des hommes. Dale Truner, c’est l’incarnation du Jazz dans le cinéma de Tavernier. C’est son héros et devient volontiers le nôtre. C’est comme une superposition des arts pour notre plus grande jouissance auditive et visuelle. Avec un jalonnement de pépites, comme Eddy Mitchell qui passe au moins toute sa soirée au bar, qui après s’être envoyé cul sec un breuvage qui semble costaud, tombera à la renverse, de dos et droit comme un I… Dale étant aux premières loges : « J’veux la même chose que lui !!! « . Schmoll ayant déjà pu dire : « Boire ou conduire, moi j’ai choisi, j’ai pas le permis« .

Francis (François Cluzet), en faisant entrer Dale dans sa vie, lui offre comme un second souffle, sur scène comme en dehors. C’est un éphémère paradis, une parenthèse enchantée avant l’inéluctable. Mais avant l’inconnu, il y a ces moments de grâce que Tavernier avec son art à lui, a ici sublimé. Clairement chaque note, devient comme une émotion envahissante, et la sensibilité des sons fend le cœur et peut finalement entrer en vous… Puisque comme le dit Dale à un moment sur la plage, tout est question d’intérieur. Ces moments sur la plage, ces trois générations, avec la fille de Francis qui court en riant, ce dernier qui disserte sur la vie avec Dale, le bonheur, c’est par là non ? C’est aussi le plaisir que l’on prend à regarder justement la fille de Francis, quand elle-même épouse fatalement la passion paternelle, et ainsi de la voir fascinée de voir les autres rayonner eux aussi et comme touchée par la grâce des premiers émois artistiques. Là encore, c’est une chorale chantante et enivrante, là aussi c’est une certaine idée d’une vie rêvée, comme un lyrisme que l’on cultive. A noter que de très nombreux musiciens de jazz sont au casting, comme Herbie Hancock, Freddie Hubbard, Bobby Hutcherson, John McLaughlin, Wayne Shorter, Bobby McFerrin, Chet Baker, Pierre Michelot et Eric Le Lann.

Tavernier s’amuse, car très furtivement, on verra passer rien de moins que Martin Scorsese, Philippe Noiret et Sophie Marceau. Le saxophoniste Dexter Gordon, qui incarne ici Dale Turner, a réellement joué avec Bud Powell à Paris dans les années 1950. Il ne pouvait pas être plus parfait pour cette interprétation, empreinte de fait d’une totale authenticité. Il est massif, impressionnant, interminable d’émotions. François Cluzet semble s’éclater et nous emporte avec lui. La complicité avec Dexter Gordon est irradiante. Il est totalement imprégné de l’obstination de son personnage à vouloir aider son ami à créer et stopper l’autodestruction. Bertrand Tavernier aura mis tellement de lui dans Autour de minuit, que le film ne pouvait qu’être une ode à la générosité. Il nous communique sa passion évidemment avec passion et démesure, un film qui se voit, qui s’écoute, qui se sent, le plaisir est partout. Les derniers mots pour Bertrand Tavernier, qui aura parfaitement fait vivre ce qu’il disait là : « L’important, c’est la manière dont un film survit, continue à toucher les gens. »

Titre original: ROUND MIDNIGHT

Réalisé par : Bertrand Tavernier

Casting: Lonette McKee, François Cluzet, Dexter Gordon …

Genre: Comédie dramatique, Musical

Sortie le:  18 Septembre 1986

Ressortie le : 16 Novembre 2022

Distribué par : Warner Bros. France

EXCELLENT

 

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