SYNOPSIS: L’hôtelier d’une petite station balnéaire de Normandie a juré à sa femme de ne plus toucher à un verre d’alcool. C’était sans compter avec l’arrivée de Fouquet qui surgit avec la tentation…
Suite au roman éponyme d’Antoine Blondin, Un singe en hiver (1959), Michel Audiard en proposera l’adaptation et en écrira les dialogues, sous la réalisation d’Henri Verneuil. Henri Verneuil, dont on connait plus particulièrement La Vache et le prisonnier (1959), Le Clan des Siciliens (1969) ou Peur sur la ville (1974). Son cinéma sera affublé du sobriquet de « papa », notamment par la nouvelle vague et fera parfois l’objet d’un certain mépris d’une certaine cinéphilie. Sauf qu’avec le temps, si la dichotomie persiste encore dans certaines « castes », il est admis et c’est heureux que la pratique d’un cinéma dit « populaire » ne soit aucunement incompatible avec une forme de talent. Ça tombe bien, car du talent de réalisation, il en est tellement question dans Un singe en hiver !! Sans doute par une forme de pudibonderie de gazelle d’époque, ou du moins de morale institutionnelle douteuse, le ministère de la Santé tenta vainement d’interdire le film, du fait « d’une apologie de l’alcool » trop présente à l’écran. Aucune scène grivoise ne sera finalement censurée mais le film sortira quand même sous la bannière de l’interdiction aux moins de 18 ans. Les dialogues sauce Audiard sont évidemment inoubliables, et avec une saveur qui semble avoir été inventée pour être goutée et relatée avec passion par Jean Gabin. Son corps et sa voix les immortalisent, les fait résonner, les magnifient et les rendent intemporels. Et finalement, c’est un peu tout ça Un singe en Hiver, le meilleur du meilleur dans la mise en scène, de la prose, des vers, des textes d’Audiard que l’on peut panthéoniser et dont chaque réplique pourrait devenir un titre de film. Des plans caméras fous de multiplicité qui esthétisent les scènes et les acteurs. Une petite musique souvent drolatique et discrète qui accompagne subtilement. Gabin et Bebel, avec un jeu d’une justesse de vie jamais égalé. En clair, dans Un singe en Hiver, chaque scène pue le cinéma. Verneuil, Audiard, Gabin, Belmondo, on est dans l’art, le vrai, le pur. C’est une renaissance permanente d’une poésie cinéphile intarissable, insatiable et finalement éternelle.
Quand les abris anti bombes sont des caves à vins, ce n’est pas sans poser problème pour les autochtones… Qui pour conjurer la peur et « Car mourir saoul, c’est mourir debout », s’offrent certaines compensations récréatives… Le film regorge de pépites, qui pourraient être l’objet pour chaque micro-scène, d’un recueil de plusieurs tomes, pour en extraire la substantifique moelle. Mais quand même, ce saisissant moment où en un plan, Verneuil retrace une certaine histoire de France qui ne fait pas la fierté de nos manuels : La rue Maréchal Pétain, qui après une pluie devient la rue Général De Gaulle. Nous faisant ainsi comprendre avec une ironie mortifère que l’on vient dans le film de faire un bon dans le temps. Renaud le chantera plus tard dans la patrimoniale Hexagone (1975) : « Ils oublient qu’à l’abri des bombes, les Français criaient vivent Pétain, qu’ils étaient bien planqués à Londres, qu’y avait pas beaucoup de Jean Moulin ». Ou encore cette ambiance de voiture, façon cinéma des années 60 où de suite, l’on sait qu’ils ne sont pas dans l’auto, mais en studio, qui donne ce charme fou et cette émotion profonde d’une époque révolue. Le taxi coûtera « 15 cent francs pour la course » et « 500 pour la conversation » … De la poésie. Belmondo le singe à Gabin qui vit en hiver :« Qu’est-ce qu’on peut boire à cette heure-ci ? … Vittel, Evian, Perrier…. Tout compte fait, j’ai pas si soif… » . Plus tard, dans le bien nommé Le cabaret Normand , la serveuse peu sure d’elle : « Pour un Picon bière, c’est moitié moitié » ? Belmondo devance la réponse du patron : « Ça peut le devenir, mais pas maintenant, pas d’obstacle sans élan ». Dans cette folle farandole à deux, on savoure, on jubile, on se marre des trouvailles drolatiques et des dialogues littéraires où la poésie argotique est reine, avec les princes Gabin et Belmondo au service du couple royal Verneuil Audiard. Mais c’est aussi bouleversant. Notamment le plan fou où l’on fait disparaître Suzanne Flon du cadre juste en refermant une armoire. La parole alliée au geste avec l’évocation du Yang-Tseu-Kiang, qui pourrait réactiver l’alcoolisme notoire de son mari. C’est ici le malheur de Suzanne, et précisément son effacement, sa disparition. « C’est pas le vin qui me manque, c’est l’ivresse ». Le drame tourné à la dérision où ne boit pas un verre, sinon, on boit toute la cuve. Ou quand la mise en scène est prodigieusement mise au service de l’histoire. Et tout est comme ça, à l’avenant, au diapason. Une galerie de personnages époustouflante de folie créative avec notamment le commerçant qui historise et hystérise la moindre étoffe. C’est un enchevêtrement permanent de comique de situation, mais aussi de tendresse nostalgique. Le génie et le malin sont un peu partout dans Un singe en hiver. Avec une sorte d’art du cabotinage à la Française. « Quand on veut conjurer le diable, on ne l’invite pas à sa table » ou encore « Si la connerie n’est pas remboursée pas la sécurité sociale, vous finirez sur la paille » Encore des titres de films potentiel…
Ici, entre Gabin et Flon, dans leurs jeux, dans les plans, et dans les dialogues, on côtoie les sommets : « Écoute, ma bonne Suzanne, t’es une épouse modèle. T’as qu’des qualités et physiquement t’es restée comme je pouvais l’espérer. Et tu vois, ben si c’était à refaire, ben je crois que je t’épouserai à nouveau. Mais tu m’emmerdes !!!! Tu m’emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour, mais… TU M’EMMERDES !!!!! ». C’est du Shakespeare à l’envers, mais c’est surtout en 3 phrases culte et péremptoires, un condensé absolu de vérité sur le cercueil amoureux de la routine. Une scène qui dit plus que tant de livres ou films inutiles sur le sujet. Dans ces moments précis, Un singe en hiver touche quand même au sublime. Avec un inoubliable bouquet final à tout point de vue, sous forme d’apothéose cinématographique totale. Et puis il y a ces deux monstres à l’écran, dans ce film de rencontre d’un Gabin à l’hiver de sa vie, avec Belmondo, en singe jeune premier. Difficile d’individualiser leur performance tant ils ont en commun ce qui aujourd’hui encore, fait école, référence et modèle… Ce sens inné du jeu, au sens amusement du terme, mais ils n’interprètent pas, ils sont. Ils donnent vie aux personnages car ils érigent l’un et l’autre la vérité et l’authenticité en art. Le tournage se passant d’ailleurs très bien entre eux, pour ce qui restera comme leur seule collaboration, avec cette rencontre également pour l’époque de deux générations où Gabin eut le sentiment de passer comme un flambeau à un gamin, qui s’était déjà fait connaître, et de quelle façon, trois ans auparavant dans A bout de souffle (1960) de Godard. Un singe en hiver dans la vérité de son tableau patriarcal d’une époque, pratique un cabotinage total, et si Belmondo appelle ironiquement Gabin « Papa », ce n’est pas pour rien… Un film qui a 60 ans aujourd’hui et qui se regarde, s’écoute, se sent, avec beaucoup de rires et de tendresse. « Et le vieil homme entra dans un long hiver… ».
Titre Original: UN SINGE EN HIVER
Réalisé par: Henri Verneuil
Casting : Jean-Paul Belmondo, Jean Gabin, Noël Roquevert …
Genre: Comédie dramatique
Sortie le: 11 mai 1962
Distribué par: –
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Catégories :Critiques Cinéma