SYNOPSIS: L’histoire vraie d’un braqueur de banques âgé de 78 ans qui n’a toujours pas renoncé à sa passion pour les hold-ups…
Réussir sa sortie quand on a derrière soit une filmographie qui s’étend sur plusieurs décennies, parcourue de rôles inoubliables, dans des films qui, pour la plupart sont devenus de grands classiques, se révèle souvent être un sérieux écueil pour des acteurs devenus des légendes à jamais associés aux personnages qu’ils ont interprétés. Pour prendre des exemples contemporains, la fin de carrière de plusieurs des grandes figures des 70’s (De Niro, Fonda, Duval, Caan, Pacino, Diane Keaton, Hoffmann, Walken …), si elle n’efface pas leurs plus grands accomplissements, nous laisse tout de même un goût un peu amer, le sentiment diffus que l’égo pour les uns, la cupidité pour les autres, a pris le pas sur leur intégrité artistique et leur amour du cinéma. S’il ne s’agit pas d’être binaire ou naïf, il y a heureusement certaines légendes dont la flamme ne semble pas être sur le point de s’éteindre et qui font preuve encore d’une certaine exigence dans les films auxquels ils participent. Robert Redford est de celles-ci et avec son hyper activité de producteur/réalisateur/acteur/président du festival de Sundance, la flamme qui l’anime depuis plus de 60 ans n’a jamais vacillé contrairement à beaucoup d’acteurs ou metteurs en scène de sa génération.
Dans le cadre du festival de Sundance, Robert Redford a l’occasion de rester connecté à la nouvelle génération de cinéastes américains et de repérer quelques uns des successeurs des grands maîtres qui lui ont donné ses plus grands rôles. C’est ainsi qu’il rencontra JC Chandor avec lequel il tourna le très beau et minimaliste (une immense qualité de nos jours) All Is Lost, mais aussi, David Lowery, sélectionné en 2013 pour Les Amants du Texas. Cherchant depuis longtemps à adapter une histoire issue d’un article du New Yorker dont il avait acheté les droits 15 ans plus tôt, Robert Redford a donc fait appel à celui qui depuis 2013 a fait plus que confirmer les espoirs placés en lui, avec l’un des rares chefs-d’œuvre de cette décennie: l’inoubliable A Ghost Story. Robert Redford retrouve donc l’un des plus grands réalisateurs américains ayant émergé ces dernières années, pour ce qu’il a annoncé être son dernier rôle et qui à nos yeux, occupera une place de choix dans son panthéon cinématographique. A la croisée des chemins entre Straight Time (Ulu Grosbard, 1978), pour ce qui est du film de braquage pris sous l’angle du braqueur pour lequel c’est un mode de vie, même une nécessité et La Maison du Lac (Mark Rydell, 1977), pour la magie de la rencontre extrêmement émouvante entre deux immenses acteurs acceptant et assumant le poids des années, The Old Man and The Gun a un charme fou, celui des classiques instantanés, qui va bien au delà de celui que lui confère son personnage principal.
Avec une histoire et un metteur en scène qu’il a choisis, un rôle taillé sur mesure, on aurait pu craindre que Robert Redford ne cannibalise le film qui ne serait alors qu’un véhicule à sa gloire. Il n’en est heureusement rien. David Lowery est parfaitement conscient du stradivarius qu’il a entre les mains et s’il en use, il n’en abuse pas et fait preuve de la même exigence, du même engagement, que sur ses précédents films. The Old Man and The Gun est tout autant le cinquième film de David Lowery, dont toute la sensibilité se ressent à quasiment chaque plan, que le dernier film de Robert Redford auquel il offre un rôle magnifique qui existe par lui-même, dans le cadre circonscrit du récit de ce vieil homme qui ne veut/peut pas quitter la scène, mais aussi dans le dialogue qu’il instaure avec le reste de sa filmographie et ce qui anime encore l’homme derrière la légende. Tourner avec Robert Redford au crépuscule de sa carrière n’est évidemment pas neutre et David Lowery n’occulte pas cette dimension. Lorsqu’il s’agit de feuilleter l’album des nombreuses évasions de Forrest, il reprend pour l’une d’entre elles, la seule où l’on voit Forrest de face, une scène de Robert Redford dans La Poursuite Impitoyable (Arthur Penn, 1966), « l’album » de Forrest se confondant ainsi avec celui de Robert Redford. Tout au long du récit, Lowery joue très habilement des rapprochements inévitables que l’on peut établir avec ce personnage qui use de son charme et de son pouvoir de persuasion pour des braquages sans arme, ni violence.
Forrest Tucker est un récidiviste comme l’était Max Dembo (Dustin Hoffman, Straight Time) et le lien entre les deux personnages, comme celui entre les deux films nous paraît assez évident. Forrest est un homme qui ne trouve son équilibre que dans la décharge d’adrénaline que lui procurent ses braquages, qui ne trouve pas sa place dans la société. S’il persiste à braquer des banques après toutes ces années, ce n’est pas par appât du gain mais pour le plaisir de continuer à défier la société, se jouer de la police et des autorités pénitentiaires en multipliant les évasions. Le scénario ne révèle que très peu de choses sur son passé, tout passe par l’interprétation de Robert Redford qui donne vie et épaisseur à ce personnage dont on devine, entre les lignes, les obsessions, les forces et les fêlures. Toujours impeccable dans son costume bleu, il ne vit pas de regrets ou dans le passé, juste avec le souhait constant de continuer à faire ce qui lui procure la décharge d’adrénaline indispensable à sa vie. Sa rencontre, dès le début du récit, avec Jewel (Sissy Spacek) agit également comme un révélateur. Ce que l’on perçoit dans leurs scènes dépasse le cadre du récit et Lowery filme aussi la bienveillance, la complicité entre ces deux acteurs qui semblent se découvrir en même temps que leurs personnages. Le personnage de Jewel n’existait pas dans l’histoire dont est tirée l’article adapté par David Lowery. Cet ajout est fondamental, aussi bien d’un point de vue diégétique pour ce qu’il apporte à la mécanique du récit et permet de révéler du personnage de Forrest, qu’extradiégétique, pour ce qu’il révèle de la nature de ses deux interprètes qu’on a l’impression de découvrir « sur le vif », mis à nus comme rarement, portant avec eux tout un imaginaire lié à leurs grands rôles. Il est clair, de notre point de vue, que le personnage de Jewel a été écrit pour Sissy Spacek, pour orchestrer cette rencontre entre ces deux géants. Le fait que cela apporte autant au récit, ne soit à aucun moment ressenti comme une afféterie qui ne déboucherait que sur du (charmant) cabotinage dans des scènes qui n’auraient aucun poids dans le récit, en dit long sur le talent de David Lowery et sur son intégrité artistique.
La caméra s’attarde avec une infinie douceur sur les visages de Forrest et de Jewel, capte l’étincelle, le sourire qui les traversent alors que chacun finit par révéler un peu plus de lui, par accepter et accueillir ce qui se passe entre eux. L’intrigue policière qui sous tend le récit est traitée avec la même sensibilité et David Lowery a choisi de personnifier la « menace » qui pèse au-dessus de la tête de Forrest , celui qui essaie de remonter sa piste pour l’envoyer à nouveau en prison, alors qu’il multiplie les braquages avec ses deux vieux comparses interprétés par Danny Glover et Tom Waits. Il est là aussi assez clair que Lowery a écrit ce personnage en pensant à l’acteur qu’il avait envie de retrouver pour la 3ème fois. Casey Affleck interprète un détective qui, dans cette enquête, veut se prouver quelque chose, redresser la tête et rendre fières sa femme et ses petites filles, alors qu’il vit très mal sa quarantaine. Ce personnage très attachant, écrit et interprété avec une grande sensibilité est aussi notre guide dans le récit. C’est à travers son enquête, les interrogatoires qu’il mène que l’on découvre des pans du passé de Forrest, que l’homme se révèle derrière le mythe du braqueur élégant et séducteur qui non seulement, ne craint pas la justice, mais l’attend pour mieux se jouer d’elle.
Derrière le film de braquage, derrière la déclaration cinéphile passionnée à une légende d’Hollywood, Lowery réalise ainsi un magnifique film sur notre rapport au temps qui passe, qu’on choisisse de l’ignorer (Forrest), de l’accepter (Jewel) ou qu’il nous écrase (John). On retrouve ainsi l’une des grandes thématiques de A Ghost Story, traitée avec la même « douceur » dans la forme, comme dans le fond. The Old Man and The Gun est aussi, comme l’était A Ghost Story, un film d’une grande beauté formelle (ici le choix d’un 16mm qui épouse l’époque dans laquelle se déroule le récit et un sublime travail de nuance sur les couleurs) dans lequel la forme épouse parfaitement les thématiques traitées et l’humeur des personnages, la musique de Daniel Hart venant par ailleurs subtilement et magnifiquement ponctuer des scènes qui nous transportent d’émotion et nous donnent envie de traverser l’écran.
Titre Original: THE OLD MAN AND THE GUN
Réalisé par: David Lowery
Casting : Robert Redford, Sissy Spacek, Casey Affleck …
Genre: Drame, Policier
Date de sortie: 30 janvier 2019
Distribué par: Amazon Prime
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Catégories :Critiques Cinéma