SYNOPSIS: Ce film fait la chronique d’une année tumultueuse dans la vie d’une famille de la classe moyenne à Mexico au début des années 1970.
C’était trop beau pour être vrai. Tant et si bien que l’auteur de ces lignes – histoire d’être le plus honnête possible – reconnait s’être méfié dès le départ. Entre un titre évoquant un film de Fellini (alors qu’il désigne en réalité un quartier populaire de Mexico), une bande-annonce laissant filtrer un visuel des plus limpides et un synopsis promettant une énième chronique familiale à 90% autobiographique, le spectre du néoréalisme à l’italienne, centré sur l’équilibre entre la réalité des faits et leur captation quasi documentaire, pointait déjà à l’horizon. Même nanti d’un amour sans limites pour le cinéma d’Alfonso Cuarón, même apaisé dans l’idée de le voir signer un petit film intimiste suite au triomphe planétaire de Gravity, on restait sur nos gardes. Et on avait hélas raison. Le résultat crève l’écran : un film qui s’ancre dans l’émotion, fait pour émouvoir, par une équipe qui s’est elle-même émue à le faire, mais qui, malgré tous ses efforts, n’émeut quasiment pas, pour ne pas dire jamais. Et la raison en sera pour chacun très personnelle et on ne peut plus cruelle, car sur un tel film, c’est bel et bien le ressenti qui va jouer les arbitres, et non pas notre propre faculté d’assimilation du médium cinématographique – en l’état maîtrisé à la perfection par Cuarón. Difficile de devoir peser le pour et le contre dans une œuvre où la technique du médium employé se révèle dispensée de toute critique, et de devoir malgré tout faire la fine bouche vis-à-vis de la fibre émotionnelle de son scénario. Mais c’est bien ce qui va rendre cette critique particulièrement douloureuse.
D’ordinaire, séparer le fond et la forme apparaît un peu idiot dans l’exercice du critique, tant la fusion des deux permet de mieux cibler ce qui constitue le film en question. Là, on est hélas obligés d’agir ainsi. Dans son optique de voyager à travers ses souvenirs d’enfance et de rendre hommages aux femmes qui en furent les héroïnes, il ne fait aucun doute qu’Alfonso Cuarón souhaitait évoquer ce qui l’a façonné en tant qu’individu et ce qui a bouleversé son propre pays. Durant une bonne heure d’introduction, Roma offre donc un cadre modeste et on ne peut plus libéré pour narrer le quotidien d’une famille de la classe moyenne mexicaine. Ses mouvements de caméra, tantôt fixes en cas d’échanges concentrés, tantôt mobiles par l’emploi du panoramique au moindre déplacement dans le cadre, sont d’une précision à toute épreuve et finissent même par tutoyer la douceur mémorielle d’un certain cinéma d’auteur portugais (de Manoël de Oliveira à Miguel Gomes, la liste est longue…). Sauf qu’au sein de cette famille vite confrontée à des transformations internes et externes, un seul personnage arrive à se détacher de cette valse de silhouettes : Cleo (Yalitza Aparicio), jeune nourrice, dont la grossesse soudaine provoque une double peur, celle d’être renvoyée et celle de l’élever sans père. Un enjeu clair, simple (trop ?), mais hélas le seul à trouver racine dans un scénario qui se contente d’aligner des tranches de vie sans jamais être capable de les relier à quoi que ce soit.
Ce qui manque à Roma tient à peu de choses, mais finalement à quelque chose de capital : traiter un enjeu intimiste à des fins d’universalité par le biais d’un filtre évident. En effet, rien dans la mise en scène de Cuarón ne permet de raccorder cette petite histoire à la grande, ni même d’interpeller la condition humaine en général, et encore moins d’oser la relecture micro d’une société macro en cours de transformation. Sur ce dernier point, on aura certes vite fait de déceler ici et là un arrière-plan évident sur les rébellions au sein de la société mexicaine, mais à moins d’être un historien du pays ou d’examiner chaque plan à la loupe pour y dénicher la moindre preuve de tel ou tel contexte temporel, il est impossible de cibler de quoi il en retourne. D’aucuns diront qu’il s’agit là d’un choix revendiqué, histoire de placer coûte que coûte Roma dans le cercle des films universels, mais la sauce ne prend pas, posant d’entrée des enjeux qui n’en sont pas, une narration qui avance avec une indolence assez suspecte, des personnages coupés de tout fil évolutif (à part la nourrice, personne n’existe réellement dans le film), des ébauches de sujets et de symboliques survolées et non traitées, et surtout des saynètes certes drôles ou intimes mais dont on se désintéresse très vite. Comme si Cuarón avait voulu enregistrer la vie sans la contextualiser ni la transcender par quelque chose. Résultat : une émotion congelée dans un écrin visuel des plus ensoleillés. Tout ceci découle du ressenti, bien sûr – désolé d’insister là-dessus. Mais la réalisation, de ce fait, voit son époustouflante virtuosité devenir le seul et unique intérêt d’un film qui se voulait avant tout centré sur les personnages et les émotions. Il n’en reste pas moins que, si la trame narrative donne souvent envie de regarder sa montre (et sur 2h15, c’est assez normal), la seule mise en scène d’Alfonso Cuarón suffit à sauver les meubles, en tout cas sur un écran de cinéma doté des meilleures conditions de projection – on ne garantit pas le même ressenti chez les abonnés de Netflix qui découvriront le film sur un petit écran.
Sans être du même degré de perfection que celle du magnifique Tetro de Francis Ford Coppola, la photo du film (signée par Cuarón lui-même !) se calque en permanence et avec efficacité sur l’approche mémorielle du récit, et le choix des mouvements de caméra, toujours conçus au travers du subjectif d’un personnage précis, s’avère optimal. Champ/contrechamp, travelling latéral, panoramique, plan fixe : chaque parti pris est ici justifié par des fins purement narratives, et dévoile ainsi une approche de la fabrication d’un film qui met à l’amende les trois quarts de la concurrence. De même que la maîtrise du son – énorme point fort du film – fait l’effet d’un tsunami viscéral dans deux ou trois scènes, en particulier une scène de plage hautement sensorielle dont vos tympans risquent de se souvenir pendant longtemps. Tout ceci éblouit la vue et l’ouïe au plus haut point, mais en fin de course, il manque cette étincelle de vie, cette richesse symbolique, ce petit « plus » qui permettrait à Roma d’être autre chose qu’une sublime coquille vide. En l’état, mieux vaut se contenter de le contempler de la même manière qu’une toile d’un grand maître : même figée et peu vibrante, sa seule classe créative suffit à la rendre vivante.
Titre Original: ROMA
Réalisé par: Alfonso Cuarón
Casting : Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Marco Graf …
Genre: Drame
Date de sortie: Prochainement
Distribué par: Netflix France
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma
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