Critiques Cinéma

KLUTE (Critique)

SYNOPSIS: John Klute est détective privé. Un jour, l’épouse et l’associé de son ami Tom Gruneman, disparu depuis six mois, lui demandent de le retrouver. Il se rend de Pennsylvanie à New York pour mener l’enquête. La seule piste est une call-girl, Bree Daniels, à qui Tom aurait adressé des lettres obscènes. 

Si on vous dit Alan J. Pakula, vous pensez à ?
Aux Hommes du Président sûrement. Au Choix de Sophie peut-être. Probablement pas à Klute, son (pourtant) excellent second long-métrage en qualité de cinéaste après avoir initialement tissé une admirable carrière de producteur (dont le culte Du silence et des ombres, porté par Grégory Peck et lauréat de 3 Oscars) puis réalisé le prometteur Pookie en 1969. Sorti sur les écrans US en 1971 et méconnu dans nos contrées jusqu’à sa mise en avant par une partie de l’industrie cinématographique, Klute raconte l’histoire d’un détective privé taciturne – John « Klute », celui du titre, interprété par Donald Sutherland – qui, après avoir été chargé de retrouver la trace d’un ami disparu par le biais de son épouse et de son associé, se trouve embarqué avec une call-girl à la dérive – jouée par Jane Fonda – dans une enquête le propulsant de Pennsylvanie à New-York sur la piste d’un mystérieux tueur en série.


Il paraît indispensable de rappeler aujourd’hui que Klute contenait déjà en son sein tous les éléments (ou presque) qui constitueront les ingrédients du cinéma d’Alan J. Pakula et lanceront un sous-genre particulier, cher aux prolifiques 70’s : le thriller conspirationniste. Immortalisé quelques années plus tard grâce à des œuvres majeures telles que A cause d’un assassinat (sorti en 1974 et plus connu sous son titre original, The Parallax View, du même Alan J. Pakula), Conversation Secrète (de Francis Ford Coppola, sorti sur les écrans US la même année), Les Trois Jours du Condor (Sydney Pollack, 1975), ou encore Les Hommes du Président (Pakula, toujours lui, 1975), le thriller paranoïaque comprend dans ses fondements un sujet fort, à l’impact collectif conséquent (un citoyen lambda, seul et inquiet, souvent victime d’une machination à grande échelle prenant comme point de départ la disparition ou l’assassinat d’un haut dignitaire), une atmosphère persécutoire basée en grande partie sur la méfiance légitime du peuple américain vis-à-vis de ses institutions et de son gouvernement de l’époque, des rouages interprétatifs, des personnages tourmentés, un sens prononcé du complot, ainsi qu’une flopée de récurrences, qu’elles soient narratives ou esthétiques (bandes magnétiques se dévidant en gros plan, matériels d’enregistrements visuels ou auditifs filmés avec minutie, images ou sons à interpréter voire à réinterpréter, propos d’un personnage mal compris par un autre…). De cette sève découle alors la charge graphique et le projet de mise en scène de la plupart des longs-métrages composant ce sous-genre : objets usuels filmés attentivement, décors vidés ou cloisonnés, cadrages asphyxiants, libérateurs ou troublants selon le positionnement de la caméra par rapport aux personnages, mise en lumière des difficultés de discernement du personnage (et donc du spectateur) entre le réel et sa représentation par la force du montage et l’agencement des images, fréquente utilisation des vues subjectives pour donner l’impression d’être épié…

Thriller à la fois sombre et désespéré, un peu lugubre mais toujours captivant, Klute répond ainsi aux critères précédemment décrits, avec des personnages anxieux, un rythme lent intelligemment calculé pour nourrir un récit fascinant et une ambiance générale affolante. En jouant cette carte « paranoïaque », Alan J. Pakula espérait ainsi toucher la chair et l’âme du public américain, pas vraiment dupe sur les manipulations et falsifications de son président Richard Nixon, soupçons d’ailleurs confirmés quelques années après avec le scandale du Watergate qui aboutit en 1974 à sa démission et servira de base au cinéaste pour la mise en chantier de ses Hommes du Président. Et cela fonctionne à plein régime dans le film, on partage les doutes des personnages et on est complètement impliqués dans l’histoire.

Mais identifier Klute par le seul prisme « paranoïaque » serait réducteur tant l’œuvre regorge de figures et motifs appartenant à un autre genre, plus ancien : ceux du film noir. Détective solitaire et tiraillé, emprisonné dans une situation inextricable et acculé à des décisions extrêmes, jeux de domination/soumission entre le héros masculin et une femme fatale, alliés informateurs gravitant autour du personnage central, enquête sinueuse bâtie sur une cascade de révélations autour d’une possible conspiration … c’est tout un pan culturel des années 40 et 50 auquel Alan J. Pakula rend hommage à travers son Klute. Sérieux et appliqué, le réalisateur apporte ici une petite pierre à l’édifice en insufflant à son noir une puissance romanesque incroyable, dévoilée à travers l’intensité du tandem Klute/Bree. Bree, parlons-en. Il s’agit là, à l’aube des 70’s, d’un personnage multi-dimensionnel formidablement écrit, à la fois fragile et fort, affecté par son quotidien morne mais battant et indépendant financièrement, bousculé dans ses convictions, contradictions, désirs et retranchements. Un déploiement de traits (de personnalité) qui permet à Pakula d’établir un portrait assez subjuguant et rare pour l’époque. Celui d’une femme qui, en dissimulant la profondeur de son mal être derrière des apparences de séductrice qui enchaîne les clients sans états d’âme et jouit de son ascendant sur les hommes, recèle un attachement certain.


Si le cœur du film réside dans ce personnage marginal terriblement humain et dans la relation qu’elle noue avec Klute, il fallait au moins le talent d’un Donald Sutherland des grands jours et d’une Jane Fonda magnétique pour les camper. Sutherland, en très grande forme avec sa retenue travaillée et son air détaché, livre incontestablement l’une de ses meilleures prestations, et à ses côtés, Fonda a rarement été aussi poignante dans sa carrière. Roy Scheider complète la distribution dans la peau d’un mac abusif et s’avère également convaincant. Que dire d’autre si ce n’est que Klute impressionne à tous les niveaux techniques, ayant régulièrement le goût du caviar avec ses cadres soignés, sa photographie sombre aux teintes brunâtres, ses jeux de contraste et de lumière pertinents, redevables au maître Gordon Willis (chef opérateur clé des 70’s, qui a éclairé la plupart des Pakula mais aussi La trilogie du Parrain), et sa partition supra classe et presque irréelle signée Michael Small (artiste lui aussi emblématique du Nouvel Hollywood, avec des compositions mémorables comme celles des Yeux de Satan de Sidney Lumet, de Marathon Man de John Schlesinger et du Driver de Walter Hill). Ces éléments contribuent pleinement à créer l’identité du film notamment  en favorisant son atmosphère angoissante et hermétique. Adulé aujourd’hui comme une œuvre majeure de son auteur et de son casting, au point qu’il offrit à Jane Fonda l’Oscar de la meilleure actrice en 1972, qu’il figure désormais au Panthéon des films préférés de cinéastes tels que Christopher McQuarrie, Edgar Wright, Steven Soderbergh ou encore David Fincher (qui le cite tout au long de sa filmographie, cf l’éclairage si particulier de NYC dans Se7en, l’ambiance paranoïaque de The Game ou la lenteur réfléchie de Zodiac), Klute est en effet un grand film. Un thriller paranoïaque magistralement orchestré par Alan J. Pakula et remarquablement incarné par Sutherland/Fonda.

Titre Original: KLUTE

Réalisé par: Alan J. Pakula

Casting : Jane Fonda, Donald Sutherland, Roy Scheider …

Genre: Policier, Thriller

Date de sortie: 12 janvier 1972

Distribué par: –

4,5 STARS TOP NIVEAU

TOP NIVEAU

3 réponses »

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