SYNOPSIS: Jack Walsh, flic intègre, a quitté la police parce qu’il refusait de se laisser acheter par un caïd de la drogue. Il est maintenant chasseur de primes pour le compte d’Eddie Moscone à Los Angeles et doit retrouver le comptable qui a réussi à escroquer le fameux caïd.
Le buddy movie (ou « film de potes » si on s’amuse à traduire littéralement en français), c’est quoi ? Un genre cinématographique vieux comme la pluie, flexible mais codifié par au moins deux pré-requis : un duo de choc constitué de personnages aux personnalités diamétralement opposées et mal assorties et une aventure au cours de laquelle le binôme, un brin dysfonctionnel, va devoir faire équipe, se battre côte à côte, apprendre au passage à se supporter malgré la contrainte, pour se défaire de leurs adversaires et ainsi accomplir leur mission. Souvent teinté d’humour, fonctionnant en toute logique sur un certain antagonisme dressé entre les membres de la paire (naissant évidemment de leur obligation à rester ensemble, mais aussi de leurs différences propres, basées autour de leur caractère, leur tempérament, leur sexe, leur physique, leur âge, leur origine ethnique etc etc), le buddy movie s’appuie en partie sur des comédiens-stars dont la réunion à l’écran contient un pedigree et dont l’alchimie doit être franchement palpable.
Si le buddy cop movie, simple déclinaison du genre où au moins l’un des deux héros est flic, a connu un âge d’or dans les années 80, assurant les beaux jours du box-office US (et mondial!) grâce aux succès colossaux de 48 heures (Walter Hill), considéré, à tort, comme le pionnier du genre, ou L’Arme Fatale (Richard Donner à la réalisation, mais surtout Shane Black au scénario) envisagé pour sa part comme celui qui a offert ses lettres de noblesse au genre en le définissant à la perfection, c’est aussi en partie grâce au film évoqué ici aujourd’hui, le méconnu et pourtant hautement recommandable Midnight Run, scénarisé par George Gallo et réalisé par Martin Brest, gentil faiseur qui sortait alors tout juste du carton monumental du Flic de Beverly Hills.
Le postulat ? Un sympathique chasseur de primes nommé Jack Walsh (campé par Robert De Niro), travaillant pour le compte d’Eddie Moscone (Joe Pantoliano), est chargé par ce dernier de ramener à Los Angeles le fugitif Jonathan « le Duc » Mardukas (interprété par Charles Grodin), un comptable qui vient de dérober la coquette somme de 15 millions de dollars à Jimmy Serrano, son employeur mafieux et caïd de Chicago, en vue de les donner à des œuvres de charité. Un « Midnight Run » ( » mission facile » en argot), en somme ! Premier atout de Midnight Run : l’opposition entre le chasseur de primes et le comptable en fuite fonctionne à plein régime et apporte tout l’humour nécessaire à un film d’action de haute teneur. Midnight Run est en effet une comédie policière bien ficelée, avec des personnages principaux parfaitement caractérisés qui doivent énormément à leurs interprètes, qui détermine une certaine fraîcheur dans le genre, notamment de part sa combinaison à un autre embranchement ciné fortement appréciable, le road movie. En bâtissant l’action sur une cinétique de « voyage », Midnight Run crée en effet une dynamique narrative estimable, qui permet aux deux bons comédiens d’emprunter tous les moyens de locomotion possibles et inimaginables (avion de ligne, train, bus, voiture de flic, taxi, planeur, camion, wagons transportant des marchandises, pickup) pour traverser toute sorte de paysages et de lieux (déserts, aéroports) afin d’accomplir leur tâche. De Niro, promoteur du projet, et Grodin, qui, pour l’anecdote, fut attendu par Brest pendant longtemps avant d’être disponible, s’en donnent à cœur joie pour faire rire et parviennent en un claquement de doigts à créer une parfaite osmose entre leurs personnages.
Seconde prouesse : le scénario de George Gallo est tout simplement exemplaire. Outre l’efficacité redoutable des vannes qui s’enchaînent à un (super) bon rythme de croisière, on est bluffés par la tonalité et le sens qu’elles peuvent parfois prendre au sein du récit. Prenons pour exemple le running-gag « Marvin ! Marvin !« , paroles de Jack balancées à son concurrent Marvin pour l’obliger à regarder derrière lui et ainsi échapper à sa vigilance, si celui-ci s’amorce au départ comme un ressort comique percutant, où Marvin finit toujours écroulé par terre après que Jack l’ait punché au visage, il devient dans le climax un véritable moteur de suspense, source de tension intense pour Jack (et pour l’audience!) quand Marvin refuse de détourner son attention, croyant une nouvelle fois se faire avoir par son rival alors que ce n’est pourtant pas le cas cette fois. C’est aussi éloquent avec la punchline aujourd’hui culte, « See You In The Next Life », qui parvient aisément à prendre un tournant sentimental inattendu lorsqu’elle est prononcée pour la dernière fois de la bouche de Robert De Niro et Charles Grodin. George Gallo s’offre aussi le luxe de verser dans l’émotion au détour de quelques scènes particulièrement touchantes, que ce soit l’échange émouvant entre Jack et le Duc, dans la voiture, lorsque le premier révèle au second le secret de sa montre, ou bien lors des retrouvailles chaleureuses mais forcément éphémères entre Jack et sa fille. Les répliques cocasses fusent comme des balles, faisant mouche à chaque fois, quand les scènes dramatiques fonctionnent avec une justesse incontournable : George Gallo tient bon la baraque, dressant un équilibre parfait entre mélancolie désarmante et légèreté croustillante. On lui pardonne ainsi aisément quelques incohérences, comme celle rappelant que Jack a décidé de quitter la ville après avoir refusé le pot-de-vin de Serrano mais sans qu’il n’ait été ultérieurement pourchassé (ou même inquiété) par la police pour la détention de kilos d’héroïne à son domicile.
On l’a déjà dit, un des ingrédients fondamenteux d’un buddy movie réussi est l’alchimie tangible entre les deux acteurs principaux. C’est ici le cas, Robert De Niro et Charles Grodin constituent un duo éminemment sympathique et efficient, gagnant toujours en humanité au fil du récit. Les seconds couteaux qui les accompagnent ne sont pas en reste, s’avérant tous plus incroyables les uns que les autres, de John Ashton (déjà présent dans Le Flic de Beverly Hills et excellent ici en chasseur de primes rival) au regretté Dennis Farina (savoureux en mafieux vénère), en passant par Yaphet Kotto (très bon en agent du FBI chasseur constamment consterné et malmené par ses « proies ») et Joe Pantoliano (hilarant en patron de l’entreprise qui prête de l’argent à des clients pour payer leurs cautions judiciaire les laissant ainsi hors de détention). Opérant une direction d’acteurs sans faille – c’est là la touche du cinéaste – Martin Brest tire le meilleur de la complicité De Niro/Grodin, passant du registre comique à l’action en un clin d’œil et avec une sincérité généreuse. S’il est loin d’être révolutionnaire en terme de mise en scène, Midnight Run n’en demeure pas moins indéniablement « propre », avec des scènes d’action toujours lisibles et correctement troussées (la course-poursuite avec la ribambelle de voitures de flics en est un exemple probant), quelques plans bigrement jouissifs (Jack qui récupère la plaque d’Alonzo Mosely, l’hélicoptère qui explose…) et une composition de cadres sans aucune faute de goût. Sans prétention et avec expérience, Martin Brest, réputé pour son statut de protecteur d’acteurs et pour ses très nombreuses prises sur le tournage, occasionnant presque toujours un premier montage d’une durée ahurissante, livre un travail formel pleinement satisfaisant. De son côté, Danny Elfman, crédité comme compositeur de la bande originale, assure honorablement le job avec des morceaux blues agréables, toujours bien placés et ajustés aux images, et participant pour beaucoup à l’énergie rocambolesque du métrage.
Sorti sur les écrans français le 28 septembre 1988, deux mois à peine après un autre buddy movie, Double Détente avec Schwarzenegger et Belushi, Midnight Run n’a pas eu le succès commercial escompté, même s’il fut profitable en son temps avec ses 38 millions de dollars de recettes sur le sol américain, mais est heureusement considéré aujourd’hui par certains comme une réussite artistique. A qui doit-on cet honneur ? Aux cinéphiles aguerris bien sûr, mais aussi à d’honnêtes artisans et auteurs de l’industrie cinématographique anglo-saxonne. De Seth Rogen à Edgar Wright (nul doute que ces derniers l’ont revu avant de respectivement mettre en boîte Délire Express et Hot Fuzz), en passant par Michael Bay et Matthew Vaughn (qui citent le film comme source d’inspiration pour Bad Boys et Stardust), beaucoup de talents du milieu reconnaissent aujourd’hui Midnight Run à sa juste valeur, allant pour certains jusqu’à lui vouer un culte. Midnight Run est même parvenu à traverser l’océan Atlantique en 2016 en étant carrément plagié par le tâcheron Philippe de Chauveron au détour de son misérable Débarquement Immédiat. Si Midnight Run 2 est devenu au fil du temps une arlésienne à Hollywood – les dernières nouvelles en date remontent à 2012 après que Brett Ratner, Robert De Niro et le studio Universal aient tenté en vain de remettre le projet en selle – doit-on aujourd’hui se réjouir de la mise en chantier d’une suite ? Pourquoi pas ! A condition bien sûr qu’elle tombe entre de bonnes mains (peut-être pas celles de Martin Brest d’ailleurs, qui, depuis, s’est totalement perdu et a vainement tenté de reproduire la formule « Midnight Run » avec l’épouvantable Gigli) !
Titre Original: MIDNIGHT RUN
Réalisé par: Martin Brest
Casting : Robert De Niro, Charles Grodin, John Ashton …
Genre: Comédie
Sortie le : 28 septembre 1988
Distribué par: –
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma
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