SYNOPSIS : Les apparitions magiques de sa femme défunte et de son fils disparu depuis des années confirment à Oncle Boonmee que sa fin est proche. Dans son domaine apicole, entouré des siens, il se souvient alors de ses vies antérieures. Accompagné de sa famille, il traverse la jungle jusqu’à une grotte au sommet d’une colline, lieu de naissance de sa première vie. De cette première vie, Oncle Boonmee ne se souvient de rien, s’il était animal ou végétal, homme ou femme ; mais il sait à présent qu’il est prêt à aborder la mort avec apaisement.
Pour notre deuxième séance dans cette première édition du festival chic planète, nous faisons un grand écart autorisé et même encouragé par le concept de ce festival dont la sélection de films, s’intéresse autant à ce qui se passe loin de notre planète et pourrait la menacer, qu’à ce qui en fait la beauté et le mystère. Nous quittons donc la science fiction paranoïaque et écologique de Phase IV (Saul Bass, 1974) pour nous intéresser à un film qui de façon assez incompréhensible est presque devenu un symbole agité par ceux qui raillent le festival de Cannes pour son snobisme déconnecté des goûts du public. Récompensé par la palme d’Or en 2010, Oncle Boonmmee, sixième film d’Apichatphong Weerasethakul (qui avait reçu le prix un certain regard en 2002 et le prix du jury en 2004 pour Tropical Malady), n’est certes pas un film à conseiller aux plus impatients mais les thèmes abordés et le voyage proposé, pour peu qu’on accepte de se laisser embarquer, doivent pouvoir toucher un large public. C’est un voyage fascinant dans des contrées que le cinéma explore trop peu à notre goût, une invitation à se laisser emporter par le pouvoir d’évocation d’images auxquelles l’imagination et la sensibilité de chacun pourra donner un sens différent. Si Oncle Boonmee produit des images d’une grande force et qu’il ne faut pas toujours chercher une explication immédiate et rationnelle, il ne le fait pas dans un simple souci artistique. Il ne s’agit pas d’une « installation » telle qu’on peut en voir dans des galeries ou musées ou d’un film hautement expérimental qui se détacherait de toute contrainte narrative. Ces images sont sous tendues par un propos très fort sur le sens de notre existence, la maladie, la mort, la réincarnation.
Atteint d’une grave maladie rénale, Boonmee sent sa dernière heure approcher et va se confronter aux fantômes de son passé. Au sens spirituel lorsqu’il s’interroge sur son existence et notamment sur le fait que sa maladie puisse être une punition divine à ses pêchés et, au sens propre, lorsque réapparaît sa femme décédée 19 ans plus tôt puis, son fils mystérieusement disparu dans la forêt. A l’exception d’une séquence, à la fois intrigante et poétique, intervenant comme un interlude dans le récit, le film de Weerasethakul accompagne Boonmee dans ses derniers jours, sur ce chemin qu’il emprunte métaphoriquement puis physiquement jusqu’à la mort. Les frontières entre l’humain et l’animal, le présent et le passé, les fantômes et les vivants sont abolies, questionnant ce que l’on perçoit pendant la séance mais aussi dans notre existence, selon nos croyances et notre éducation. Lorsqu’un fantôme apparaît, il ne surgit pas dans le cadre par un jeu de champ contrechamp mais se matérialise progressivement pendant la scène. Le spectateur le voit avant même que les personnages ne se rendent compte de sa présence. C’est là toute la délicatesse de Weerasetakhul qui propose et n’impose pas, nous entraîne dans son univers empreint de spiritualité, fait discuter les vivants et les morts de la façon la plus naturelle et la plus émouvante qui soit. Boonmee ne s’interroge pas sur ce qu’il voit, pas plus qu’il ne s’effondre en larmes lorsqu’ apparaissent ainsi des êtres chers décédés ou disparus depuis plusieurs années. Il semble reprendre avec eux le cours d’une conversation interrompue et profite pleinement de la douceur de cet instant. Il échange avec eux sans l’amertume des années de séparation ou l’empressement lié à la peur que ces fantômes ne disparaissent aussi soudainement qu’ils sont apparus. Le récit s’intègre complètement dans son environnement, la maison de Boonmee se trouvant à la lisière d’une forêt peuplés d’esprits et de mystérieux singes dont les yeux rouges transpercent la nuit. Elle est à la fois notre première et dernière demeure, celle où l’on retourne naturellement pour rendre son dernier souffle et se réincarner peut être en l’un des animaux dont on entend les cris à la nuit tombée. Weerasethakul joue sur la lumière et les sons de cette forêt, son souci étant moins celui de la crédibilité que celui de la restitution d’une mythologie. Sa représentation est ainsi très différente de celle de Tropical Malady.
S’il donne à son récit une forte dimension spirituelle, il ne l’enferme pas dans quelque chose qui serait coupé du réel. Il filme notamment longuement les soins que Boonmee reçoit de son employé de maison, de même qu’il le montre répondant aux préjugés de sa belle-sœur lorsqu’elle apprend qu’il a embauché un Laotien qui a traversé illégalement la frontière. Son film est à l’image de son pays et assume sa dualité, la façon dont s’entrechoquent le spirituel et la trivialité. Weerasethakul ne se prive pas non plus de parler de la situation politique de son pays et de son passé, notamment de la façon dont furent traqués et exécutés les communistes. Il évoque même, à travers Boonmee qui raconte le rêve qu’il fit la nuit précédente (avec un procédé qui évoque celui de Chris Marker dans La Jetée), sa vision du futur, d’une ville dirigée par une junte militaire qui peut librement faire disparaître qui elle veut. Oncle Boonmee réussit ainsi à la fois à appréhender et réconcilier la dimension spirituelle et la trivialité de nos existences. A conjuguer le passé, le présent et le futur pour nous éclairer sur le monde dans lequel on vit et celui qu’on laissera à nos enfants une fois partis et peut être réincarnés sous une autre forme. Loin d’être un film élitiste et ennuyeux, c’est un film généreux qui prend son temps et nous ouvre au monde et aux autres.
Titre Original: LUNG BOONMEE RALUEK CHAT
Réalisé par: Apichatpong Weerasethakul
Casting : Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas, Sakda Kaewbuadee …
Genre: Drame
Sortie le: 1er septembre 2010
Distribué par: Pyramide Distribution
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Catégories :Critiques Cinéma
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