Critique Blu-Ray

UNE ÉPOQUE FORMIDABLE (Critique)

SYNOPSIS : « Y’a des moments comme ça où tout vous réussit. En trois semaines, j’ai perdu mon job, ma voiture et Juliette… » Le monde de Michel Berthier s’écroule lorsqu’il est licencié. Il ne dit rien à son épouse, quitte le domicile conjugal et se retrouve à la rue. Désormais, il est SDF et ses compagnons d’infortune s’appellent Crayon, Mimosa ou Le Toubib.

Une époque formidable est le quatrième long métrage de Gérard Jugnot, après Pinot, simple flic (1984), Scout Toujours (1985), et Sans peur et sans reproche (1988). Clairement, on n’attendait pas forcément le cinéaste Jugnot dans ce genre de la comédie sociale, dans un versant aussi juste, pointu et touchant. On est tout de suite plongé dans le quotidien d’une famille française moyenne de 1991, avec finalement,  » progrès  » technologiques en moins, peu de différences avec ce que l’on connaît aujourd’hui : le fric, la voiture, les bouchons, ou comme chantait Renaud dans Hexagone il y a encore plus longtemps, en 1975 à propos du mois de Novembre : « La bagnole, la télé, le tiercé, c’est l’opium du peuple de France, lui supprimer c’est le tuer, c’est une drogue à accoutumance« . Non, rien n’a vraiment changé. Devant sa glace, tellement mieux que « You talkin’ to me ? « , Gérard Jugnot, notre Robert De Niro national scande:  » T’es le meilleur Berthier, t’es un tueur Berthier, a Killer, Berthier  » pour une scène tellement anthologique que nous en connaissons encore certains qui perpétuent le mythe en mimant ce moment certains matins devant le miroir ! C’est aussi la terrible scène de l’entretien d’embauche et la violence de la guerre de la recherche d’emploi où tous les vices sont permis dans un marché où l’offre supplante la demande :  » vous portez des slips ou des caleçons ? « . C’est surtout l’intronisation de méthodes managériales écœurantes et déshumanisées.  Encore une réplique culte :  » Freine Mimosa, freine « , tel un code pour se calmer les nerfs, pour celui qui porte non pas le nom des fleurs, mais plutôt celui des œufs. Et puis très vite en une journée finalement, survint la faim, l’usure du corps, du moral, des vêtements… On se repose quelques secondes sur un banc puis on finit par s’endormir dessus. Aujourd’hui les bancs sont souvent fabriqués pour empêcher que l’on y dorme, pas encore en 1991.

Le « moment Zabou « , avec les médias qui viennent filmer la misère, pour émouvoir la ménagère, entre deux moments de temps de cerveaux disponibles. Là encore, peu de changements avec ce que l’on connaît aujourd’hui, toujours plus de misère mais encore plus de médias… Une époque formidable, au-delà de son glaçant cynisme qui montre plus qu’il ne dénonce, tant le constat porte déjà en soi les signes de l’immonde crapulerie de l’argent roi, c’est aussi une épopée humaine urbaine et à ce jeu de la jungle affective, Le Toubib, il apprend à l’aimer son Berthier, entre petites galères et grandes violences. Avec les indispensables leçons de survie dans la rue et l’importance de prendre soin de ses pieds. Crayon avec ses inoubliables sorties, qui hurle sur les pervenches une dinguerie qui dit tout du film, entre rires et larmes :  » On n’a même pas de PQ, comment tu veux qu’on ai les papiers de la charrette » !! »

A chaque nouvel acteur, une divine apparition, Charlotte de Turckheim, maquillée comme un carré d’as, en prostituée du 5ème sous-sol dans des garages clandestins, où s’entassent les miséreux, qui reçoit ses clients dans un garage :  » Allez Mamadou, déballe ton gri-gri « … C’est aussi la force d’Une époque formidable, ces dialogues où chaque phrase claque et résonne : « Même moi, je m’aime plus« , dira Berthier à Vincent, le fils de Juliette, et presque le sien. Après quelques semaines dans la rue, Berthier, ce n’est plus un killer, mais à l’inverse un mort-vivant. Emblème d’une France, d’un monde où la barrière qui sépare les deux univers est ensanglantée. « J’ai un petit coup de blues  » ajoute-t-il un peu après, avec Toubib, tous deux sur un banc la nuit tombante sur la capitale, avec en fond ce solo de guitare électrique. Au travers d’une scène de cinéma, c’est toute la détresse humaine d’un pays qui s’exprime, où 32 ans avant 2023, tant de monde dort déjà dehors. Le chiffre explose depuis et les promesses, elles, s’envolent…

C’est aussi une grande scène de retrouvailles qui vous amènent au moins une larme. Des retrouvailles un peu beaucoup organisées par Le Toubib et Crayon… Celles de Berthier et Juliette, où tout se joue autant dans les yeux que dans les mots. Ils se sont tellement manqués. Comme lui avait dit Toubib :  » Les femmes sont patientes, mais pas trop longtemps « . Les dialogues, la musique touchante toujours quand il le faut, des images authentiquement fortes qui glacent le sang à l’époque d’une misère autant omniprésente que niée dans les yeux des passants pressés que nous sommes, orchestrent une mise en scène marquante et inscrite dans la mémoire collective d’Une époque formidable. Et puis ce film c’est aussi un casting étoilé. Gérard Jugnot en tête, en Berthier qui descend aux enfers et nous touche par la profondeur de l’abyme qu’il côtoie, entre pathétisme et semblant de dignité. Du très grand Jugnot. Richard Bohringer est comme un poisson dans l’eau dans ce rôle de marginal pas tant que ça, plus de cœur et de lucidité que quiconque façon anthropologie permanente de l’autre. Il est pour l’éternité le Toubib. Le solaire Ticky Holgado n’est pas en reste, en fidèle lieutenant qui a toujours une connerie à dire, il ne paye pas de mine Crayon, mais il nous renverse aussi d’émotion, tout comme Chick Ortéga, l’écorché de la vie Mimosa. Et puis Victoria Abril, toujours si présente qui incarne ici la Juliette de Berthier, tout en colère d’abord, puis en nostalgie ensuite. Elle rayonne, évidemment. Une époque formidable fait partie de ces films qui témoigne d’une décadence contemporaine avec toute la force du cinéma. Le problème majeur de ce film est qu’il a tellement raison, et qu’il se regarde en tout cas avec la grâce de la mélancolie.

Détail des suppléments :

Gérard Jugnot, artisan-réalisateur / Partie 3 (2013) – 70 min.Film annonceExclusivité Blu-ray : Gérard Jugnot, profession comique / Archive INA (1988) – 48 min.

Jaquette réversible incluant l’affiche d’origine.

Titre Original:  UNE ÉPOQUE FORMIDABLE

Réalisé par: Gérard Jugnot

Casting: Gérard Jugnot, Richard Bohringer, Ticky Holgado…

Genre: Comédie dramatique

Sortie le: 19 juin 1991

Sortie en Combo Blu-Ray/DVD le : 02 Mai 2023

Distribué par: Rimini Editions

EXCELLENT

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