La fidélité

LA FIDÉLITÉ – BERTRAND BLIER / GERARD DEPARDIEU

DÉCONTRACTÉS DU GLAND



Bertrand Blier est sans aucun doute un des auteurs majeurs du cinéma français de ces cinq dernières décennies. Son style, unique et provocateur, a fait souffler dans les années 70 une véritable tornade salvatrice et parfaitement dans l’air de son temps. Une originalité de ton inégalable, des dialogues brillants, des scénarii surprenants et des personnages hors normes. Les partitions de Blier sont exigeantes et savoureuses pour les comédiens que le metteur en scène se plait à filmer. Fils d’un des plus grands acteurs du cinéma français, le prodigieux Bernard Blier, Bertrand n’a jamais cessé d’aimer ses interprètes. Chaque film est une déclaration d’amour associée à un pur plaisir de cinéma. Chez Bertrand Blier, le comédien est grand. Pas étonnant que le cinéaste ait fait de l’immense Gérard Depardieu son comédien fétiche. Ces deux-là sont en quelque sorte nés ensemble.

LES VALSEUSES (1974)


Bertrand Blier a déjà réalisé deux films, Hitler connais pas (un documentaire magnifique) et Si j’étais un espion. L’échec commercial de ce dernier a amené le metteur en scène à trouver un nouveau souffle dans l’écriture. Un scénario pour Georges Lautner (Laisse aller, c’est une valse) et un roman vont le placer sur la voie du succès. Ce roman, c’est Les valseuses. Des producteurs l’approchent, Blier adapte ainsi son livre au cinéma. Depardieu veut être du projet et se manifeste à plusieurs reprises auprès de Blier, changeant à chaque fois de tête pour convaincre le metteur en scène. L’acharnement et l’audace de Depardieu seront payants. Autour de lui, Blier réunit Miou-Miou et Patrick Dewaere (Coluche fut un temps envisagé car Blier trouvait que Dewaere et Depardieu avait un peu la même carrure, mais c’est Dewaere qui remporte le rôle). Avec son trio, Blier croque la banlieue et illustre parfaitement l’envie de liberté post 68 qui saisit une jeunesse paumée. Le film est cru, parle sexe et violence avec poésie, provocation et légèreté. Le ton Blier est sans égal. L’auteur aime les mots et se révèle un brillant dialoguiste. Dire du Blier, c’est comme dire du Audiard, l’exercice n’est pas facile et il faut un sacré talent pour porter le texte. Le jeune Gérard Depardieu est dans son élément. Avec naturel et décontraction, il donne à son personnage de voyou une tendresse qui emporte l’adhésion. Sans chercher à faire une peinture réaliste de ces zonards, Blier touche pourtant juste. Son film est un triomphe attirant au fil de ces diverses exploitations plus de cinq millions de spectateurs. Les valseuses est le film phare des années 70, divisant, offensant certains, enthousiasmant les autres. Quelque chose se passe, c’est indéniable. Aujourd’hui, le film est inscrit dans l’Histoire de notre cinéma et certains dialogues sont devenus cultes. Avec ses Valseuses, le trio de comédiens voit leur carrière respective exploser et Blier s’affirme comme un auteur avec lequel il faut compter.

PRÉPAREZ VOS MOUCHOIRS (1977)


Le succès des Valseuses amène Bertrand Blier à reformer le duo Dewaere-Depardieu, d’autant que le cinéaste a auparavant essuyé un échec critique et commercial avec Calmos. Dans Préparez vos mouchoirs, Blier joue la carte de l’insolite et la tendresse. Depardieu est Raoul, un mari qui veut faire sourire sa femme (jouée par Carole Laure) qui n’affiche que tristesse. Il lui fait « cadeau » d’un inconnu, Stéphane (incarné par Patrick Dewaere), pensant que seul l’amour pourra redonner de la joie à Solange, son épouse. De cette situation originale, Blier tire un film drôle et touchant. Le ton Blier, décalé et déroutant, est toujours là mais la partition est différente de celle des Valseuses. Bien que toujours provocateur dans son désir de bousculer la bonne morale, Préparez vos mouchoirs est un film plein de sensibilité. Là où le sujet et son traitement auraient été scabreux dans les mains d’autres cinéastes (il est tout de même question dans la deuxième moitié du film d’une relation entre une femme et un adolescent), la poésie de Blier fait une nouvelle fois merveille. Le cinéaste a l’art et la manière de tout faire passer. Bien sûr, son sens de l’absurde et des dialogues qui font mouches participent à la réussite de l’entreprise. Préparez vos mouchoirs trouve son public, l’accueil critique se révèle favorable et le film se paye même le luxe de rapporter dans sa valise l’Oscar du meilleur film étranger. Une très belle réussite.

BUFFET FROID (1979)


Chaque film de Blier est un objet filmique atypique. Ce Buffet froid ne va pas échapper à la règle, il va même pousser les curseurs un peu plus loin. Buffet froid est écrit pour Depardieu. Blier part de l’idée d’un meurtre gratuit. Il se sert d’un cauchemar récurrent où il est poursuivi par des policiers puis son imagination fait le reste. Écrit en quinze jours, Buffet froid est effectivement construit comme un rêve. On ne sait jamais pourquoi les protagonistes agissent de telle façon et, de fait, on ne sait jamais à l’avance comment le récit va évoluer. Surprenant de bout en bout, Buffet froid est un sommet d’humour noir absurde, convoquant à la fois Beckett et Buñuel (un des maitres de Blier). Autour de Depardieu, Blier fils réunit Blier père et Jean Carmet. C’est la troisième et dernière fois que Bertrand dirige son père et il lui fait là un beau cadeau avec ce personnage de flic qui se fout des crimes en dehors des heures de service et tue sans scrupule. Carmet est lui aussi exemplaire en assassin fébrile. Et puis Depardieu compose un personnage de colosse perdu absolument truculent. Bien que sortant du succès de Préparez vos mouchoirs et auréolé d’un oscar, Blier eut beaucoup de mal à monter le film. Les producteurs n’y croyaient pas. Alain Sarde se lança dans l’aventure et Blier pu dépeindre à son envie la solitude des âmes dans une ville sombre, presque abandonnée, faite de tours de béton et doucement peuplée de personnages insolites. Buffet froid est un film tout aussi réjouissant qu’il est glacial. Le ton Blier a encore frappé. Il signe là son chef-d’œuvre. A l’époque, l’accueil fut tiède. Le public ne se déplaça pas en masse, par contre la profession salua le travail de Bertrand Blier et lui décerna même le césar du meilleur scénario. Aujourd’hui, le film est devenu culte. Bref, il occupe la place qu’il mérite.

TENUE DE SOIRÉE (1986)


Les années 80 voient Blier enchainer le magnifique Beau-père (avec Patrick Dewaere), un film avec Coluche (La femme de mon pote), puis un autre avec Alain Delon (Notre histoire). Il est l’auteur avec lequel les acteurs veulent tourner. Pour son prochain projet, le réalisateur veut retrouver son trio des Valseuses en explorant cette fois une homosexualité qui unit les deux hommes au cœur du trio. La mort tragique de Patrick Dewaere change la donne. Blier décide de ne pas abandonner le projet, Depardieu et Miou-Miou restant partant pour l’aventure. Qui pour remplacer Dewaere ? Bernard Giraudeau est envisagé mais ne peut se rendre disponible pour le projet. C’est Michel Blanc qui est finalement choisi. Choix étonnant et payant. L’acteur, jusqu’alors connu pour la comédie, opère un changement de registre révélateur de l’étendue de son talent. Il joue Antoine en couple avec Monique (Miou-Miou). Un couple à la dérive que va dynamiter Bob (Depardieu). Dans Tenue de soirée, Depardieu joue un voyou tombant amoureux de Michel Blanc. Un personnage haut en couleur, magnétique, impressionnant, qui emporte tout sur son passage, y compris l’hétérosexualité d’Antoine. Blier n’a rien perdu de son esprit provocateur au grand cœur. Il ose tout avec sincérité et tendresse. Le film regorge de répliques fortes et de scènes cocasses. Le trio d’acteurs s’en donne à cœur joie, Michel Blanc raflant même le prix d’interprétation à Cannes. Tenue de soirée est un gros succès à sa sortie, autant critique que public. Son affiche avec le slogan « Putain de film » marque les esprits.

TROP BELLE POUR TOI (1989)


Depardieu est marié à Carole Bouquet et la trompe avec Josiane Balasko. La simplicité du triangle amoureux revisité par Bertrand Blier donne un de ses films les plus beaux et émouvants. Il est souvent difficile de décrire ce qui nous touche dans les films de Bertrand Blier, tant ils portent en eux quelque chose d’indéfinissable. C’est particulièrement vrai pour ce Trop belle pour toi. Dès les premières images, le cinéaste fait monter une émotion rare qui va nous accompagner durant tout le film. Les dialogues directs des protagonistes provoquent une nouvelle fois étonnement, amusement et touchent au cœur. Les interprètes jouent magnifiquement leur partition jusqu’au plus petit rôle, et la musique de Schubert (autre protagoniste essentiel) nous emporte. Tout comme est emporté le personnage incarné par Depardieu qui, face à la beauté indiscutable de Carole Bouquet, va être bouleversé par l’apparence plus quelconque d’une formidable Josiane Balasko. L’acteur est tout à la fois : drôle, émouvant, impressionnant et fragile. Il incarne à la perfection ce Bernard qui se laisse aller au sentiment amoureux. Blier déconstruit intelligemment son récit pour lui donner une force narrative peu commune. Le film fait un carton aux césars et trouve son public. Blier est alors au sommet de son art. Trop belle pour toi est un film rare. En trois mots et pour citer une réplique de Balasko dans le film : « bonheur, cadeau, partage« .

MERCI LA VIE (1991)


Décrit comme Les valseuses au féminin, Merci la vie est un film étonnant. Si l’on retrouve effectivement deux personnages en marge au cœur du récit, le film ne se définit pas comme un simple road-movie. Ici, Blier bouscule les genres, les temporalités, se joue des mises en abyme et, fidèle à lui-même, propose une galerie de personnages originaux, souvent cruel face à la magnifique Anouk Grinberg. Après avoir goûté au récit éclaté dans Trop belle pour toi, Blier pousse tous les curseurs du médium cinéma au maximum avec ce Merci la vie. De tous ses films, ce dernier est sans doute le plus libre, le plus fou, le plus tout. Du sépia à la couleur en passant par le noir et blanc, de dialogues en monologues brisant le quatrième mur, du présent au passé, du sida à la gestapo, le film est un foutraque flamboyant. Blier ose tout et c’est à ça qu’on reconnait sa patte. Pourtant, au-delà de son désir d’expérimenter la forme et de livrer un récit en toute liberté scénaristique, Blier réussit à canaliser le fond. Merci la vie est bien le portrait d’un monde tourmenté, cynique et rempli de salauds, traversé par la vie, illuminé par la lumineuse Anouk Grinberg. Accompagnée de Charlotte Gainsbourg, Grinberg est la révélation du film. Femme-enfant très touchante, elle se fond véritablement dans l’univers Blier et fait face à un Gérard Depardieu, ici second rôle mais beau salaud, en médecin manipulateur. Si le film obtient un succès public plus modeste que Trop belle pour toi, l’accueil critique reste très bon. Merci la vie est un film audacieux et inventif, terriblement vivant, qui prouve la bonne santé de son auteur.

LES ACTEURS (1999)


Faire un film sur les acteurs où les plus grands noms du cinéma français jouent leur propre rôle était de toute évidence un pari fait pour Bertrand Blier. Son amour pour ceux qui jouent devant sa caméra a toujours été une caractéristique de son cinéma. Lui-même fils de comédien, il est le metteur en scène qui peut tout à la fois les sortir de leurs conventions tout en donnant à voir leur part d’intime. Sur le papier, le projet est plus que séduisant. A l’arrivée, l’ensemble n’est pas aussi emballant que ce qu’on pouvait en attendre. Il y a bien sûr des scènes formidables, des réunions d’acteurs incroyables et on ne dira jamais assez merci à Blier d’avoir fait ce film rien que pour ça. Voir Belmondo et Serrault réunis et se donner la réplique est un cadeau, voir Marielle quémander son pot d’eau chaude pour affirmer son existence est un délice, voir Balasko être André Dussollier est jubilatoire, voir Delon évoquer Gabin et Ventura est émouvant, voir Depardieu jouer de son image est amusant… il y a des moments magiques et des trouvailles typiques du talent de Blier. Mais le film manque sans doute de quelque chose qui dépasserait largement le simple plaisir de son postulat. Peut-être ce désir de faire un film sur ces êtres qu’il admire a un peu intimidé Blier et canalisé son inspiration. Les acteurs reste un bonheur pour les inconditionnels du cinéaste. Surtout, il se révèle touchant et rempli de sincérité. La dernière scène du film mettant en scène Bertrand Blier lui-même parlant au téléphone avec son père, Bernard, est bouleversante. Il est évident que ce film, déclaration d’amour aux comédiens, est avant tout celle d’un fils à son père. Un père qui, comme le dit Bertrand, lui manque chaque jour un peu plus. Pour ma part, une des scènes finales qui m’a le plus touché dans un film.

COMBIEN TU M’AIMES ? (2005)


Nous sommes au beau milieu de la période la moins enthousiasmante du cinéaste. Après les échecs successifs de Mon homme, Les acteurs et Les côtelettes, Blier enchaine avec ce Combien tu m’aimes ? qui ne va malheureusement pas mieux fonctionner que les précédents. Conçu comme un véritable hymne à la beauté de Monica Bellucci, le cinéaste perd beaucoup de son sens de la nuance et de sa subtilité en nous contant l’histoire de cette prostituée à laquelle un bonhomme solitaire et amoureux, nouvellement riche, va proposer de devenir sa femme contre rémunération. Blier joue l’air de Pretty woman avec ses notes à lui. Bien sûr, on retrouve toujours son style, quelques dialogues enlevés, des personnages secondaires qui font mouche, mais le film parait dépassé et parfois même vulgaire. La poésie de son auteur n’est plus de mise. Le duo Bellucci-Bernard Campan était idéal sur le papier, mais à l’écran c’est autre chose. Une chose qui ne prend pas. Depardieu campe un souteneur au grand cœur, un salaud attachant comme il sait très bien le faire. Blier parle d’amour mais le cœur n’y est pas vraiment. Dommage.

CONVOI EXCEPTIONNEL (2019)


La dernière décennie fut compliquée pour Blier et le financement de ses projets. Ce Convoi exceptionnel s’est fait difficilement. Après Le bruit des glaçons (en 2010) qui avait un peu ravivé la flamme entre Blier et son public, le cinéaste aura mis neuf ans avant de pouvoir retrouver les salles de cinéma. Le projet Convoi exceptionnel a de quoi séduire : un duo Depardieu-Clavier (dont on sait depuis Les anges gardiens et les deux premiers Astérix qu’il sait être formidable) et un postulat de départ jubilatoire avec lequel on imagine que Blier va faire des étincelles. Le film suit deux personnages jouant le scénario de leur vie dont ils découvrent les pages au fil du récit. Des destins écrits par des auteurs dont ils ignorent tout. Une vie qui ne leur appartient finalement pas, à moins que… Blier, roi de la mise en abime, maitre en situation décalée et poète accompli, avait de quoi s’amuser avec ce postulat. Hélas… le film perd de son intérêt au fil des minutes et ne tient jamais les promesses entrevues par le spectateur lors de la mise en place du récit. Tout comme les personnages, Blier ne semble pas savoir où il va. On sent bien le désir de retrouver un esprit d’antan, on sent bien des traces de Blier, des hommages à des films qu’il aime, on reconnait sa patte et le film a des fulgurances grâce, une fois encore, à de jolis personnages secondaires, mais l’essentiel n’y est pas. Le film parait être une pale illustration du talent de son auteur. Le convoi traine et n’arrive nulle part. Malgré tout, ce Convoi exceptionnel ne nous empêche pas de continuer à aimer et admirer Bertrand Blier.

Neuf collaborations unissent Bertrand Blier et Gérard Depardieu à ce jour, parmi lesquelles nous trouvons des films cultes qui ont véritablement modifié le paysage cinématographique français. Ce ton irrévérencieux, provocateur mais toujours rempli de tendresse a envahi nos écrans dans les années 70 et a révélé un des plus grands acteurs du 7ème art ainsi qu’un auteur majeur. Un auteur qui a su pendant un temps se renouveler magnifiquement. Si les derniers films du duo ont moins convaincu la profession et le public, il n’empêche que la petite musique de Bertrand Blier reste toujours unique en son genre. Quelle que soit leur réussite, les films de Blier détonnent toujours, et ça reste une qualité. Rien que pour ça, personnellement, je rêverais bien d’une dixième association.

Buffet froid revient dans les salles de cinéma à partir du 26 avril 2023.

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