SYNOPSIS : Eleanor, une jeune enquêtrice au lourd passé, est appelée sur les lieux d’un crime de masse terrible. La police et le FBI lancent une chasse à l’homme sans précédent, mais face au mode opératoire constamment imprévisible de l’assassin, l’enquête piétine. Eleanor, quant à elle se trouve de plus en plus impliquée dans l’affaire et se rend compte que ses propres démons intérieurs peuvent l’aider à cerner l’esprit de ce tueur si singulier…
Première expérience américaine pour le réalisateur argentin Damián Szifrón (à qui l’on doit le film à sketches déluré Les Nouveaux Sauvages), Misanthrope prend des faux airs fincherien que l’on note à quelques points clés comme une essence dont le film se sert pour avancer. La force de cette proposition singulière se trouve pourtant dans ce point très précis : ce Misanthrope parvient avec un talent notable et une rugosité sidérante à se détacher de ses inspirations pour proposer une grande enquête à échelle humaine qui violente à la fois le corps et l’esprit. S’ouvrant sur les toits de Baltimore alors que les habitants se massent pour fêter le passage à la nouvelle année, le film entre directement dans son propos en introduisant brutalement l’objet de l’enquête qui va suivre. Partout à travers la ville, des personnes sont tour à tour assassinées d’une balle de fusil. Une balle, un mort ; le tireur ne suit ni un modus operandi de tueur en série ni une volonté terroriste. La police est dépassée, c’est alors le FBI qui reprend l’affaire sous la responsabilité de l’agent Geoffrey Lammarck. Alors que Baltimore (et les Etats-Unis) sent la peur prendre le contrôle, Lammarck recrute la jeune Eleanor, agente de police asociale et instable, chez qui il aperçoit un potentiel certain. C’est lorsque Eleanor se trouve des points communs avec ce tueur invisible que cette chasse prend un tout autre visage.
Car c’est cette binarité qui est au centre du scénario de Szifrón et Jonathan Wakeham, construisant un pont entre sa protagoniste et le tueur qu’elle traque. Liés par leur misanthropie (qui donne le titre français, là où l’original reste le sobre To Catch a Killer ) et par leur détachement du monde, les deux personnages agissent alors en miroir, lançant le film sur une dynamique particulièrement intelligente. Porté par la mise en scène brutale, quasiment sèche, de Szifrón, Misanthrope démarre avec une ampleur énorme, avant de petit à petit balayer les apparences et les théories pour venir finalement se refermer sur l’Homme et sur sa nature destructrice. Les révélations ponctuent le récit en le relançant constamment, lui donnant un air saisissant de spirale infernale que les personnages ne parviennent jamais à éviter.
Le film prend alors la forme d’un thriller policier, suivant avancée après avancée, interrogatoire après interrogatoire et interpellation après interpellation, une enquête insaisissable, régie par l’imprévisibilité d’un tueur à la fois très instable mais aussi particulièrement intelligent, dont la figure rappelle les archétypes mémorables conçus par le cinéma de Fincher (du tueur du Zodiaque au John Doe de Se7en). Mais sans jamais virer dans le rip-off ni dans l’hommage sans âme, Misanthrope se saisit de son concept de « film enquête » tissant un lien étroit à travers la tête névrosée de son héroïne endolorie, magnifiquement interprétée par une époustouflante Shailene Woodley. La comédienne est à la tête du film, à la fois détruite et combattante, constamment sur le fil de la fragilité et de la culpabilité, pour offrir un personnage lourd de sens qui semble traquer son ombre avec acharnement – comme si elle cherchait une sorte de rédemption ou de sens à sa vie. Suivie par Ben Mendelsohn impeccable en chef déterminé et empathique, et Jovan Adepo en frère d’armes complice, le casting s’avère être une des grandes forces du film, à la fois dans les scènes qui rapprochent les âmes comme dans celles où la pression du système, l’inaction politique, l’inconscience des médias et les coups stratégiques des autorités politiques prennent le dessus au détriment de l’avancée de l’enquête.
Misanthrope se clôt alors comme un grand thriller, aussi impactant qu’il est humain dans sa chair et dans son essence, à la fois tragédie antique et drame profondément moderne qui se nourrit des démons de ses personnages pour pouvoir provoquer encore plus d’émotions au cœur de son récit. Défibrillé par une mise en scène puissante dont la photographie électrique de Javier Julia et la musique nerveuse de Carter Burwell sont les colonnes dorsales, Misanthrope est une bombe du genre, une proposition saisissante qui envoie au tapis par ses envolées tragiques, sa violence symbolique et son propos social ; un film d’équipe à la fois terriblement attachant et démesurément douloureux dont l’ampleur se dresse même au-delà de la dite misanthropie partagée par ses deux personnages centraux, qui composent malgré eux les deux faces d’une même pièce. La flic face à son tueur, face au système ou face à elle-même.
Titre Original: TO CATCH A KILLER
Réalisé par: Damián Szifron
Casting: Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Jovan Adepo…
Genre: Thriller, Policier
Sortie le: 26 Avril 2023
Distribué par: Metropolitan FilmExport
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020