Critiques Cinéma

BEAU IS AFRAID (Critique)

SYNOPSIS : Beau tente désespérément de rejoindre sa mère. Mais l’univers semble se liguer contre lui… 

Y a-t-il plus évident dans le cinéma contemporain que celui de l’américain Ari Aster pour attester du besoin intarissable de la fiction moderne de repousser les limites quitte à verser dans l’insondable ? Comme une pulsion qui surgit au cœur d’un cinéma cadenassé, le metteur en scène a su, avec ses courts-métrages en guise d’expérimentations et ses deux premiers (et très mémorables) longs-métrages, faire date dans l’histoire du film d’horreur du 21ème siècle, en découpant les figures de l’épouvante dans son terrifiant et enflammé Hérédité, puis dans son lumineux et malaisant Midsommar – 2 poids-lourds de l’angoisse, aux partis pris aussi radicaux que surprenants. Son retour était guetté par toute l’industrie comme par les amateurs et les détracteurs, d’autant plus que sa direction semble encore une fois outrepasser les règles et les attentes. Avec l’oscarisé Joaquin Phoenix en tête d’affiche d’une odyssée œdipienne affreusement étrange et génialement hilarante, Beau is Afraid se pose finalement comme une œuvre totalement en marge, dont l’insondabilité rappelle étrangement la figure-même de son curieux metteur en scène. Beau is Afraid suit le Beau du titre, un homme solitaire vivant seul dans un petit appartement délabré en ville. Ses angoisses se manifestant à l’extérieur par un climat criminel, paranoïaque et inquiétant qui l’empêche de mener une vie normale, Beau focalise alors son attention sur la visite qu’il doit bientôt rendre à sa mère. Mais l’univers semble se liguer contre lui, et une suite de catastrophes, de pulsions et de situations ubuesques vont le séparer toujours plus de son but ultime.



Beau is Afraid a donc d’odyssée son parcours de road movie (si tant est qu’on puisse le définir comme tel), le personnage voyageant d’étapes en étapes pour pouvoir se rendre, comme il le souhaite, chez sa mère. Mais la malice d’Aster prend vie sur l’écran par un jeu affreusement malsain entre l’image et son spectateur ; L’univers conçu par le film jouant comme une métaphore en miroir des angoisses existentielles de son personnage central. Beau est l’âme du film – plus que ça, il est ses yeux. C’est par son prisme qu’on prend part à cette véritable Odyssée (dans le sens homérique du terme), pour qu’il puisse enfin rejoindre Ithaque et sa Pénélope (qui n’est autre que sa propre mère). Un voyage plus qu’étrange, à la fois initiatique, ésotérique, infernal et destructeur, jouant par son assemblage de tableaux à tromper les sens du spectateur en tordant les codes mêmes de son univers. Tout se renouvelle, scène après scène, dans un énorme bloc de 3 heures aux aspérités floues et terrifiantes, sous la forme d’un objet assurément unique et terriblement hilarant.

En bâtissant un malaise atmosphérique et une bonne dose de dialogues bien sentis qui accentuent l’étrangeté ambiante, Beau is Afraid se la joue comédie horrifique, jonglant entre ses deux facettes sans aucune dissociation, comme si l’humour et l’effroi trouvaient la même origine au cœur de l’esprit humain. Aster compose une proposition sidérante d’invraisemblance et de curiosité, une forme atypique en arythmie complète qui réinvente les contours du film atmosphérique avec un dédain certain et autant de fragilité. En en faisant autant battre les défauts contentieux qui s’acharnent à l’intérieur de son protagoniste (et donc de l’univers qui l’entoure), Beau is Afraid paraît parfois bien excentrique et un brin capillotracté dans l’approche de ses thèmes primordiaux qu’on ne vous révélera pas dans cette critique pour ne pas vous en gâcher les effets. Et même si, en fin de parcours, le film se clôt brusquement dans une fin cynique et nihiliste qui complique la tâche du spectateur à sa lecture, Ari Aster y trouve là la seule et unique limite de sa proposition : elle se referme parfois sur elle-même, là où elle aurait grandement moyen de s’ouvrir encore plus. Mais ne serait-ce pas inconscient de demander plus à ce grand foutoir émotionnel, sorte de cauchemar à tiroirs où les meurtres premier degré, les monstres tapis dans l’ombre, l’amour jamais là où on le cherche, la haine inexplicable et les balades hallucinatoires cohabitent avec fracas et décomplexion ?



Beau is Afraid est une aventure mythologique et frappadingue aux frontières de l’abysse, parcours d’un homme-enfant campé par l’incroyable force fragile de Joaquin Phoenix au top de son art. Sur son parcours, viennent s’entrechoquer les figures du couple affectueux Nathan Lane/Amy Ryan, du psychologue Stephen McKinley Henderson, du génial vétéran Denis Ménochet (peut-être le meilleur personnage du film ?), de son alter-ego adolescent Armen Nahapetian, de l’amour d’enfance perdu Parker Posey et de la fameuse mère Zoe Lister-Jones/Patti LuPone qui cache in fine les réponses à toutes les questions qui obsèdent Beau. Ari Aster signe un film incroyablement bizarroïde, un objet difforme, cruel et hilarant qui bâtit ses propres codes pour les dissoudre aussitôt dans un trip d’acide total. On en vient alors à se demander comment il est possible qu’un tel bazar ésotérique et œdipien aussi jusqu’au boutiste puisse voir le jour sur les écrans aujourd’hui, avant d’arrêter de se poser la question tant Beau is Afraid répond lui-même à l’improbabilité de sa propre existence. Au final, Aster signe peut-être déjà l’un des films les plus radicaux de l’année, un doigt d’honneur à la logique et à la platitude d’un paysage cinématographique trop lisse, un gros bordel jubilatoire et envoûtant à la frontière des réalités et des évidences.

 

Titre Original:  BEAU IS AFRAID

Réalisé par: Ari Aster

Casting: Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Amy Ryan…

Genre: Comédie, Aventure, Drame

Sortie le: 26 Avril 2023

Distribué par: ARP Sélection

EXCELLENT

 

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