SYNOPSIS: Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se retrouvent dans une villa cossue à Wannsee, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé Solution Finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins.
Le film est basé sur le procès-verbal hautement confidentiel de la Conférence de Wannsee, établi par Adolf Eichmann. Ce document, qui tient davantage du compte rendu que d’un verbatim, demeure un document de référence sur l’Holocauste. Il n’en reste qu’un seul exemplaire, retrouvé après la fin de la guerre. Selon le réalisateur, l’importance de La conférence est « de faire connaître cet événement inimaginable et révoltant, cette conférence au cours de laquelle a été concerté, planifié et mis en œuvre, avec la plus grande efficacité possible, le meurtre de masse de onze millions de personnes, onze millions de Juifs. » Les séquences extérieures de La conférence ont été tournées sur le lieu d’origine : la villa de la Conférence de Wannsee, qui abrite aujourd’hui un mémorial et un centre éducatif. Cette macabre conférence de Wannsee doit régler « la solution finale de la question juive », les 7 mots de l’enfer, de l’ignominie, de la barbarie. On revoit alors la petite fille au manteau rouge de La liste de Schindler (1993), qui nous a tant fait pleurer. Comme beaucoup de réunions, la question du plan de table est prédominante et hautement stratégique. Sauf qu’ici, l’ordre du jour est glaçant, horrifique et va écrire l’histoire du monde dans le pire de ce qu’elle a pu produire en termes de barbarie. Le scénariste Magnus Vattrodt parlera du « mépris de l’humanité par le langage« .
On évoque ici l’élimination biologique de tous les juifs, l’élimination de la race juive en Europe. « Près d’un village appelé Auschwitz » … Rien que les mots suffisent parfois… La mise en scène permet à la caméra de tourner de toutes les façons autour de cette table de l’enfer. Aucune musique, on est dans le vrai, le dur, le froid. Les jeux sont sur les postures, les regards, en fonction de qui prend la parole et de la façon des autres d’écouter, avec cette seule femme présente, fonctionnaire qui prend des notes. Nous sommes dans un huis-clos, ainsi c’est un jeu de multiples plans qui est utilisé pour que le spectateur vive en immersion l’insupportable sensation de participer à cette réunion. Glaçant. Il s’agit donc de régler la question juive. Sauf qu’au départ, les abominables ronds de cuir n’abordent jamais vraiment frontalement la réalité des mots dégueulasses en termes d’extermination de masse, ce qui sous-tend leurs lâches hypocrisies peut-être, leur inhumanité aveugle très certainement. On dirait presque une banale réunion de commerciaux qui chercheraient juste à augmenter les ventes. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une ridicule grande messe pour juste refourguer des yaourts aux ménagères comme dans 99 Francs (2007). C’est bien ce qui impacte le plus douloureusement dès les premières minutes de La conférence, ce saisissant contraste entre la tenue d’une réunion dans ses codes les plus anodins avec l’objet de la conférence en question, dans l’expression de la pire pensée criminelle depuis la nuit des temps.
« Reste les exécutions mais on manque de balles« , sans parler des problèmes d’espace pour les entassements de corps. Ce qui fait froid dans le dos au bas mot est la terrifiante entrée dans des contingences techniques à la mortifère et meurtrière précision… Encore et toujours la petite fille au manteau rouge…Il faut éviter la souillure raciale, et pour justement assurer l’hygiène raciale, il est question de « stérilisation des ½ juifs » plutôt que de déportation. C’est un concours de sadisme dans la rationalisation. Ils vont jusqu’à anticiper les risques d’empathie des trouffions allemands en limitant le nombre d’exécutions par balles grâce à l’utilisation des chambres à gaz. On se situe dans les arrières coulisses bien crades de la solution finale, et la nausée est parfois presque aussi intense que dans De Nuremberg à Nuremberg (1989) ou la retranscription du procès de Klaus Barbie. C’est d’ailleurs parfois presque la limite de l’exercice dans La conférence : Chaque phrase devient vomitive et si le message passe en demeurant ancré dans nos mémoires, et que le point de vue est d’une certaine façon original dans sa barbarie, on a fait finalement rapidement le tour du propos d’ensemble.
Il est presque difficile de vanter les mérites des acteurs, tant précisément ils incarnent leurs monstrueux personnages avec authenticité. Philipp Hochmair est un Heydrich grand ordonnateur de la conférence atrocement habité par ce qu’il semble considérer comme une mission divine, historique. Son réalisme dans l’interprétation est autant cinglant que déroutant. C’est l’ensemble du casting qui dans une sorte de diapason de l’abject va réussir la même redoutable performance. La conférence est de ce que l’on n’oublie pas. C’est un point de vue rare et donc précieux dont on sort sonnés, notamment devant un tel déchaînement de violence juste autour d’une table. De ce prisme-là, l’utilité historique comme cinématographique de La conférence est évidente.
Titre original: DIE WANSEEKKONFERENZ
Réalisé par: Matti Geschonneck
Casting : Philipp Hochmair, Johannes Allmayer, Maximilian Brückner…
Genre: Drame, Historique
Sortie le: 19 Avril 2023
Distribué par : Condor Distribution
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020