SYNOPSIS : Dans les années 1950, à Liverpool, une famille se prépare pour le mariage de Eileen, la fille aînée. Cette cérémonie est l’occasion pour la fratrie de se souvenir de leur père, personnage violent et froid qui faisait preuve ponctuellement d’amour pour ses enfants. Au fil du temps, les deux autres enfants du foyer se marient également. Leur existence est alors rythmée par les souvenirs de leur jeunesse. Deux réalités se fondent entre-elles, le temps présent et le temps passé qui semblent inséparables.
Le réalisateur de Distant Voices, Terence Davies aime filmer le temps, la mémoire, et quoi de mieux que les relations familiales pour s’y employer. Ce sont les thèmes de prédilection qui irriguent sa filmographie. » Filmer, c’est ma raison d’être. Mais je ne tournerai jamais pour de l’argent. Le monde ne s’arrêtera pas si mes films n’existent plus. » A propos de Distant Voices, il ajoute » Il est en grande partie un portrait détaillé du style de vie traditionnel de la classe ouvrière qui a formé et sculpté mon enfance. C’est aussi un hommage à ma mère et à ma famille, un hommage à une culture morte depuis longtemps et à une façon de vivre aujourd’hui disparue et dont il ne reste plus qu’un vague et lointain souvenir. » Ce qui imprime tout de suite dans Distant voices est une mise en scène. Elle est glaçante, tant elle alterne avec parfois des jeux de lumières, des plans fixes, des silences, une bande originale enivrante presque comme un long cri, quelques moments de joies familiales et beaucoup de scènes sur le mode d’une véritable déferlante de violence paternelle. C’est bien sûr aussi cette séparation de la double réalité dans la temporalité de ce passé traumatique qui forge un présent tellement encore abimé. Même absent, l’abominable patriarcat est encore bien trop présent. C’est comme si Distant Voices était un film schizophrénique, au rythme de la folie du père. Il existe également des nombreux jeux de symétrie parfaite dans les plans sur notamment le positionnement des personnages, qui vient en contrepoint d’une dissociation permanente. Dans le passé, on hurle sous les coups du père, dans le présent, c’est parfois presque une comédie musicale, tant ça chante entre autres pour le mariage d’Eileen. C’est d’ailleurs assez bouleversant quand la jeune mariée confie à sa fratrie que tout juste mariée, elle ne se sent pas différentes d’avant. Elle comptait sur la magie de cette union pour effacer toutes les blessures précédentes. Un aveu terrifiant.
Distant voices est décidément en permanence coupé en deux quand on sait que le film est en fait un dytique dont une première partie (Distant voices) est tournée en 1985, puis une seconde (Still Lives) en 1987. Un père qu’il est presque déstabilisant de voir interpréter par Pete Postlethwaite, quand avant on a vu et tant aimé Au nom du père (1993) où celui dont Spielberg disait en 1997 qu’il était » le meilleur acteur du monde « , incarnait l’antithèse du personnage qu’il joue ici en termes d’une infinie bonté et d’une démonstration d’amour bouleversante pour les siens. C’est ici évidemment le pire dans l’expression d’une violence ordinaire, des coups, des cris sur sa femme, sur ses enfants. Une violence qui est presque exacerbée par les rares instants de répit où il se montre aimant. La folie est presque plus sidérante quand elle n’est pas constante, un peu comme la bipolarité filmée au plus près dans Les Intranquilles (2021).
Si l’alternance entre la réalité du moment et l’accumulation de souvenirs permet aussi bien la puissance que l’originalité du film, c’est aussi parfois déroutant au point de se perdre, ce qu’il suffit d’accepter, d’autant que ce geste cinématographique paraît pleinement intentionnel. C’est aussi une manière de poétiser un film qui s’ancre dans une touchante mélancolie, sur la profondeur du traumatisme et sur la prééminence de l’éducation, de cette période où se succèdent l’insouciance de l’enfance, et cette fichue progressive perte des illusions originelles. Ce qui dans cette famille survint pour les enfants bien trop rapidement. Il y a cette spécificité de la mise en scène, cette façon de filmer si intense, mais aussi l’importance et l’irruption quasi permanente de nombreux chants populaires des lieux et de l’époque qui nous plongent dans l’atmosphère que voulait dépeindre le cinéaste : » Toute ma famille, sauf moi, chante très bien et dans la culture de cette époque, les gens chantaient en chœur à toutes les occasions, au pub, dans leurs salons, aux fêtes et aux mariages. « Freda Dowie incarne l’archétype de la mère courage, de la femme sacrifiée. Celle qui vivra toujours et coûte que coûte tant que ses enfants ne seront pas en sécurité. L’émotion est présente avec elle à chacune de ses apparitions.
Steven Spielberg comme souvent n’avait pas totalement tort à propos de l’assertion citée plus haut sur Pete Postlethwaite tant ici, il porte en lui cette violence, cette folie domestique. Il est tout en rage, en furie, il fait mal aux siens et aux spectateurs par ses soudains déchaînements. Son jeu est dur, âpre, et définit à lui seul une certaine idée de la violence masculine animale. Renversant et presque horrifique. Distant Voices est parfois rébarbatif, mais c’est aussi une telle singularité, une profonde originalité. C’est comme un » enregistrement de la souffrance ‘ tel que le dit Terence Davies. Mélancolique et mélodramatique, une œuvre qui laisse difficilement indifférent.
Titre original: DISTANT VOICES STILL LIVES
Réalisé par: TERENCE DAVIES
Casting : Freda Dowie, Pete Postlethwaite, Angela Walsh…
Genre: Drame
Sortie le: 13 Mai 1988
Distribué par : Splendor Films
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 80