Tentant sans succès de refermer d’anciennes blessures familiales lors d’un voyage vers Rhode Island, lieu de son enfance misérable, Jo, récemment divorcée, se lie d’amitié avec sa voisine Donna, artiste psychologiquement fragile. Mais elle se retrouve bientôt mêlée à un autre drame familial…

Roemer signe ici un film incisif, dans la lignée de ses œuvres précédentes, continuant d’explorer les difficultés et la fragilité des relations humaines. Tout de suite, le plan fixe sur Jo nous donne à voir une jeune femme au regard magnétique. Elle est tellement mélancolique et semble dans le même temps porter en elle, sur elle, l’ancrage du désespoir, des océans de regrets et une immense introspection. Avec pudeur, sans besoin de mots, Jo s’installe au creux de ses blessures, avec en fond le mélodieux son du piano et du chant heureux du couple formé par sa sœur, au firmament de leur bonheur familial. Leur hymne à la joie à eux, c’est son chant funeste à elle.  Son couple finissant est filmé dans la violence inouïe de la fin de l’amour, la haine ultime de ce que l’autre nous renvoie d’insupportable. S’être aimer si fort, avoir partagé tant pour en arriver à une détestation physique et chimique aussi envahissante. Roemer filme avec une cruelle justesse cette classique autant que terrible érosion sous un aspect tellement tragique dans Vengeance is mine. Mais le pire pour Jo est à venir, en ce qu’elle va trouver chez les autres. Une véritable implosion familiale dans toutes ses aspérités avec en fil conducteur la fragilité que le cinéaste dans sa trop brève filmographie sait filmer avec douleur et grâce. C’est en fait une succession de drames qui va se nouer dans Vengeance is mine, avec la subtilité du double positionnement de Jo, dans sa propre crise profonde et latente, mais qui va se muer progressivement en grand témoin de l’explosion d’un couple. C’est un drama familial quasi horrifique, tant dans la singularité de moments aussi brutaux, le pire de l’âme humaine se dévoile. Comme l’exécration au scalpel. C’est dur, c’est âpre mais puissant et fort tout à la fois. C’est comme une anthropologie de la blessure, la mise en abîme de l’irrationnel. La caméra de Roemer exacerbe les fragilités avec une virtuosité de chaque instant dans ce croisement des genres et cette vertigineuse descente aux enfers. On serait tenté de dire que la mise en scène est centrée finalement sur le personnage de Jo, car c’est bien ses émotions qui vont servir de levier à la façon de déployer les images, les sons, les cris et tout ce qui défilera à l’écran. C’est finalement tellement proche de la vie que l’on s’approcherait presque du documentaire. Ce qui est d’autant plus troublant et déchirant.

Sans déflorer, on va basculer dans une totale tragédie horrifique et presque prendre peur par moment. En tous les cas, l’intensité est omniprésente, les émotions fortes dans ce thriller du cœur. C’est comme un Kramer contre Kramer (1979), mais habité par le démon. Avec une forme d’enseignement laissant penser que l’abandon de son propre malheur pourrait passer par le tutoiement au plus près de celui des autres. Comme une forme de nature humaine fatalement égoïste, un instinct de survie qui mènerait à la résilience que l’on entrapercevra à la toute dernière seconde et image de Vengeance is mine.  Le casting est porté par Brooke Adams, avec une Jo qui ne quitte à peu près jamais l’écran, dans un rôle autant dur que l’interprétation est marquante et puissante. L’actrice fait passer son personnage par toutes les émotions, on est avec elle et comme le film repose en grande partie sur le chemin qu’elle va traverser, elle réussit là une performance sensorielle quasi inoubliable.

Trish Van Devere est une Donna qui incarne la folie avec une crédibilité à faire peur. Elle est également remarquable dans la diversité des émotions qu’elle nous transmet. Vengeance is mine est à voir pour son caractère si perturbant, et car définitivement, son réalisateur va chercher au profond de l’âme humaine la fragilité dans une exploration qui mérite sans conteste une attention plus particulière que lors du siècle de sa carrière.

Titre Original: VENGEANCE IS MINE

Réalisé par: Michael Roemer

Casting : Brooke Adams, Trish Van Devere, Jon DeVries…