Duff Anderson, un jeune Noir, gagne sa vie en travaillant dans les chemins de fer. Un jour, il rencontre Josie, la fille d’un prêtre Noir, passionnée par son métier d’institutrice. Duff et Josie s’éprennent l’un de l’autre et décident de se marier. Ils s’installent en ville mais Duff se rebelle rapidement car il semble avoir quelques difficultés à vivre entouré de Blancs…
Si la filmographie de Michael Roemer est assez brève, elle n’en demeure pas moins percutante et somme toute assez déroutante. A l’image de son film Nothing but a man, c’est un cinéaste en avance sur son époque, que l’on compare volontiers avec le recul au cinéma de Jim Jarmusch, deux décennies plus tard. Nothing but a man est considéré comme l’un des meilleurs films sur la condition des afro-américains. Film préféré de Malcolm X, il a été récompensé au Festival de Venise avec le prix San Giorgio, attribué aux films particulièrement importants pour le progrès de la civilisation. Nothing but a man s’impose comme une ode touchante à la liberté. Cette détermination de Duff à vivre libre doit-elle le priver de tenter le bonheur, c’est tout l’enjeu de Nothing but a man. Ici, on joue aux dames avec des capsules de bière à la place des pions. Le gospel et ses prières chantées et hurlées tellement enthousiastes qui confèrent à une forme d’hystérie tant l’envie d’y croire est extrême. La relation entre Josie et Duff gêne finalement tout le monde, elle est tacitement estimée comme contre nature, ce qui est finalement et dramatiquement le seul point d’accord entre son père à elle, ses collègues à lui, et tous les blancs qu’ils croiseront. Les différences de classe sociale dans le couple, le delta culturel, les utopies émancipatrices de Duff, l’optimisme de Josie, vont venir aux yeux des autres, des haineux comme des bien-pensants entraver la simple liberté d’aimer.
Pourtant, entre ces deux-là, les regards et les sourires ne trompent pas. Juste, ils sont heureux et seuls au monde quand ils sont ensemble. Cette rencontre est pour eux tellement différente dans un monde tout le temps rude, hautement intolérant, au racisme ancré, avec la médiocrité ordinaire d’une violence quotidienne. C’est pour eux comme une bulle enchantée, une oasis inespérée, une réciproque ouverture au monde qui va venir défier le sectarisme collectif et l’étroitesse des petits esprits qui ne dissertent jamais. Quand s’aimer, c’est se mettre en danger, c’est l’expérience que feront Josie et Duff. Ou comme le chante l’inoubliable collectif Fauves dans Nuits fauves (2013) : » Ceux qui portent leurs membres à bout de bras et qui te disent qu’un cul ça s’attrape ou ça n’est pas « . C’est à cette espèce figée et non évolué que Duff va perpétuellement se confronter. Autant ultra-majoritaire en nombre que vides de cerveau et secs de cœur. Comme si vivre une passion c’était honteux, douteux. C’est en tout cas suspicieux dans cette Amérique des années 60 où il est hors de propos qu’un noir tente l’émancipation. Pourtant, Duff refusera les courbettes faciles et gratuites aux blancs et l’on devine que cette insoumission, loin pourtant d’être une véritable rébellion, va venir risquer le drame et compromettre l’avenir de sa famille.
Face au racisme ordinaire et banalisé dans sa crasse honteuse, Duff ne s’inclinera jamais. Plutôt mourir pour ses idées, que d’écouter son prêtre de beau-père qui lui conseille de laisser faire, pour précisément être libre ensuite. Sauf que pour Duff, la liberté n’a pas de prix, et il se refusera aux humiliations quotidiennes d’une race qui se pense supérieure et à ce véritable lynchage moral. Il finira par prendre le risque de mettre en place ce que tous avaient prédit pour lui… Avoir raison seul contre un système, être en avance sur son temps et en plus le savoir, fait courir l’homme à sa propre perte potentielle. Ici commence la pire des injustices.
La mise en scène tourne essentiellement autour de Duff avec une caméra qui suit son corps en mouvement autant que son regard qui se fige, ses silences et sa rage parfois contenue. Les choix de plans et de cadre de Roemer sont eux aussi une lutte pour la liberté. A cet égard, dans la narration, on pourrait tout juste reprocher à Nothing but a man, de ne pas aller au bout, de ne pas offrir l’injustice servie sur un plateau, comme si la démonstration pourtant brillante n’allait pas jusqu’à son terme, jusqu’au drame que l’on attend et qui ne vient pas forcément. Sans doute, le choix était-il trop convenu, au risque que le propos ne soit pas entier. Ivan Dixon écrase tout dans le rôle de Duff. Son aspiration de liberté, ses rêves d’émancipation sont portés avec une force, un engagement qui va au-delà de son simple jeu d’acteur. Ses yeux brillent fort et loin, et rendent sa partition d’une flagrante authenticité. Abbey Lincoln est une Josie qui ici fait œuvre de classicisme, y compris car son personnage est peut-être insuffisamment fouillé et aurait mérité un traitement plus en profondeur. Le reste du casting est plutôt dans une forme de figuration. Au final, Nothing but a man est une œuvre majeure et à revisiter, un vrai cinéma d’avant-garde, qu’il est toujours passionnant de contempler presque 60 ans après.
Titre Original: NOTHING BUT A MAN
Réalisé par: Michael Roemer
Casting : Ivan Dixon, Abbey Lincoln, Julius Harris…
Genre: Drame, Romance
Sortie le: 12 Janvier 1966
Reprise le : 15 Mars 2023
Distribué par: Les Films du Camélia
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 60