LA SYNDICALISTE (Critique)

Par William François le février 28, 2023 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS: Un matin, Maureen Kearney est violemment agressée chez Elle. Elle travaillait sur un dossier sensible dans le secteur nucléaire français et subissait de violentes pressions politiques. Les enquêteurs ne retrouvent aucune trace des agresseurs… est-elle victime ou coupable de dénonciation mensongère ?

Trois ans après leur collaboration sur La Daronne, Jean-Paul Salomé retrouve Isabelle Huppert au sein de son nouveau long, un thriller politique sur la toile de fond d’un fait divers de 2012 tristement méconnu. La Syndicaliste du titre, c’est Maureen Kearney. Représentante CFDT d’AREVA, multinationale spécialisée dans le nucléaire pour laquelle elle s’occupe de défendre l’intégrité de ses employés, le poste de Kearney subit un bouleversement politique à la suite de l’élection de François Hollande et de la nomination d’un nouveau président – Luc Oursel prend alors la place d’Anne Lauvergeon. Lorsqu’elle rentre en possession de documents secrets qui l’alertent d’une manipulation à hauteur d’état, Maureen Kearney devient malgré elle une lanceuse d’alerte jusqu’à ce jour de décembre 2012 où elle est retrouvée dans son garage bâillonnée, attachée, scarifiée et agressée sexuellement… C’est d’ailleurs par cet évènement que s’ouvre le film, procédant ensuite à un flashback pour remettre en contexte l’intégralité de la situation. Les personnages se plantent dans le décor, à commencer par le couple Maureen/Gilles – impeccablement interprétés par Isabelle Huppert et Grégory Gadebois. La première, aspirée corps et âme par l’ampleur totale de son travail (elle est la seule personne à avoir un vrai droit de défense sur les employés d’AREVA), nous emmène dans cette aventure politique où il n’est affaire que de manipulations, de coups tordus et de mensonges.

Nous guidant dans ce récit multi-facettes qui s’avère complexe mais suffisamment bien raconté pour que le spectateur ne soit pas largué par le jargon technique, Salomé met en scène une cascade de personnages réels, ce qui permet de justement mettre un contexte profondément réaliste au service de cette histoire. Yvan Attal campe le sournois et colérique Luc Oursel en guise d’antagoniste, co-existant avec la merveilleuse Marina Foïs qui sert une Anne Lauvergeon complexe et ambigüe. Le casting 5 étoiles est complété par un line-up du top du cinéma français, avec des interprétations tout en nuances et en justesse de François-Xavier Demaison, Pierre Deladonchamps, Alexandra Maria Lara, Gilles Cohen et Christophe Paou qui nous offre un surprenamment génial Arnaud Montebourg.

Grâce à une mise en scène proche de sa protagoniste et de son parcours, qui transforme au fur et à mesure des évènements ce thriller nerveux et incarné en polar éminemment politique, La Syndicaliste traite surtout de la question du mensonge qui enrobe cette histoire. Lorsque la police retrouve Maureen Kearney agressée chez elle, elle est évidemment interrogée en victime, avant que la situation ne se retourne et qu’elle ne deviennent suspecte de la mise en scène totale de sa propre agression. Les séquences qui suivent, parfois ubuesque souvent perturbantes, remettent alors les comptes à zéro.

Salomé pousse l’idée de la nuance et du doute à fond au cœur de cette enquête profondément complexe car basée sur un scandale explosif au sein d’une des plus grosses multinationales de l’industrie française. La Syndicaliste permet alors de mettre un coup de lumière sur ce fait-divers singulier qui balaie les certitudes au fur et à mesure que les évènements s’enclenchent dans une cruelle mécanique. En traitant des manipulations d’état et du sacrifice de la parole des femmes dans le milieu politique, le long-métrage permet habilement de livrer une histoire marquante et perturbante qui questionne la réalité par l’usage du point de vue et de la nuance. La Syndicaliste est un polar réussi qui traite des blessures de Maureen Kearney pour mettre en relief les grands virages politiques des grandes entreprises, et de toutes les personnes qu’elles écrasent en chemin.