SYNOPSIS: Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ?
La nouvelle œuvre en provenance de la société de production A24 a fait son petit bout de chemin avant de pouvoir poser ses valises dans les salles françaises. Déjà plébiscitée par le public et les critiques outre-Atlantique alors que Paul Mescal vient de décrocher sa première nomination à l’Oscar du Meilleur Acteur il y a quelques jours, Aftersun est le premier long-métrage de la réalisatrice Charlotte Wells, qui s’installe désormais à la table des metteurs et metteuses en scène aux grands et beaux potentiels dans les prochaines années. Aftersun suit un duo père/fille – Calum et Sophie, 11 ans – lors d’un séjour en Turquie pendant les vacances d’été. Lui est jeune, tout fraîchement séparé de la mère de sa fille, et un peu perdu. Elle est curieuse, pleine de vie et toujours collée à son caméscope. Ces souvenirs remontent à la surface de Sophie quelques années plus tard, qui se rend doucement compte qu’elle ignorait beaucoup de son père.
Sous la forme d’un portrait estival tendre et généreux qui s’applique derrière le relief apporté par le grain de la jolie photographie sur pellicule de Gregory Oke, Aftersun raconte une tranche de vie qui, si elle paraît en apparence banale, fait l’état d’une fragilité cachée derrière les apparences. En regardant ses vieux enregistrements sur caméscope, Sophie adulte découvre que dans l’ombre de ses souvenirs, son père était un homme confus par ses émotions tout en tentant d’épargner le plus possible leurs conséquences à sa fille. Paul Mescal et Frankie Corio (tous les deux extraordinairement touchants) construisent avec une très grande justesse cette relation qui s’effrite sous le poids des non-dits et des secrets de famille. Calum se découvre alors dans les angles morts, sa figure de père infaillible s’effaçant dans les flashs stroboscopiques d’une boîte de nuit.
Avec ce joli Aftersun, Charlotte Wells pioche dans ses propres souvenirs pour bâtir ses personnages, errant à travers ce club de vacances. En dessinant ces vignettes intimistes centrées sur la petite Sophie (le passage chez le vendeur de tapis, la partie de billard avec les adolescents ou la sublime séquence du karaoké sur la scène), la metteuse en scène élabore une mise en relief totale de ses protagonistes, qui se déploient alors dans toute leur complexité et leurs fêlures personnelles sous le soleil turc. Aftersun ressemble donc moins à un album de famille qui aurait pris vie qu’à une remise en contexte introspective de ces souvenirs renaissant sous un nouveau point de vue à travers l’écran de télévision de Sophie adulte.
Par cette idée qui fait écho au principe même du cinéma (le point de vue choisi remet toujours en perspective les évènements dépeints), Wells déploie avec une sobriété épatante et beaucoup de modestie une proposition pleine de charme et de nuances autour de deux personnages brillants par leurs interprètes. Frankie Corio est éblouissante par sa maîtrise, volant chaque scène par sa présence et son intelligence. Paul Mescal (que l’on connaît pour avoir donné corps et âme à Connell dans la sublime adaptation sérielle de Normal People) déploie sa palette de jeu et son humanité profonde en montant un personnage en filigrane du récit. Il est là à chaque instant, mais n’existe que dans les silences, dans la solitude et dans tout ce qui ne se dit pas avec des mots. Car Aftersun est affaire d’absence, et Charlotte Wells en signe une chronique simple, à échelle de souvenirs et de blessures, qui trouve son paroxysme émotionnel dans les détails plus que dans son déroulé.
Titre original: AFTERSUN
Réalisé par: Charlotte Wells
Casting: Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall…
Genre: Drame
Sortie le: 1er Février 2023
Distribué par : Condor Distribution/MUBI
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020