SYNOPSIS: Festival d’Avignon, été 2021. Une comédienne, un comédien, face à leur rôle, leur texte, juste avant les représentations.
Devant la caméra documentaire de Benoit Jacquot, Isabelle Huppert et Fabrice Luchini au travail. L’idée de « ne pas lâcher » les deux artistes au travail est venue pour Benoit Jacquot d’un film de Raymond Depardon qui montre Isabelle Huppert cinq minutes sans jamais couper, avant son entrée en scène à l’Odéon. C’est l’envie de montrer des moments forts de vérité chez deux grands, qui semblent déjà tellement aguerris et dans la maîtrise. Et de justement aller chercher les émotions les plus brutes, dans un moment si propice, chez des artistes que le réalisateur connait justement par cœur. Il y avait d’ailleurs un premier Par Cœur en 1998, ou le même cinéaste filmait déjà Fabrice Luchini lisant et disant, seul sur scène, La Fontaine, Céline, Flaubert. Benoit Jacquot trouve que montrer les artistes au travail, aussi bien les acteurs, que les peintres ou les cinéastes, qui sont donc dans l’expression d’eux-mêmes, est ce qu’i y a « de plus bouleversant au monde ». Sortir de la mécanique de l’enchaînement des rôles, pour attraper ce qui les habitent véritablement. Isabelle Huppert dans la voiture, d’autres innombrables scènes de films, ou même de vie nous reviennent alors. La voiture, quand on est passager, on peut y répéter, dormir, passer des coups de fil secrets, encore mieux qu’une loge ou qu’un confessionnal. Quand une caméra s’invite dans cet espace intime, avec une grande dame comme Isabelle, forcément c’est assez fascinant. L’actrice répète son texte par cœur, bute sur une phrase et le sens à lui donner : « Le malheur me paraît tellement invraisemblable que j’en viens même à ne plus savoir que penser, je m’y perds ». Elle est obnubilée, elle est au travail, c’est une grande professionnelle. On est un peu dans les yeux dans Isabelle Huppert, ou en tous cas, on entre dans sa tête, ses doutes, et l’on ressent assez fort sa sensibilité artistique, et donc forcément de femme, tout est lié. La caméra de Benoit Jacquot parvient à capter les « moments Huppert « avec grâce et discrétion.
On passe à Fabrice Luchini, et forcément c’est autre chose… Lui au travail, dans les répétitions, comme en représentation seul sur scène, ne bute pas sur les mots mais est en admiration devant cette assertion de Nietzche : « On a nécessairement la philosophie de sa personne, à supposer qu’on en soit une« . Luchini en fait des caisses, des tartines, et parfois, faut-il en convenir, Fabrice agace. Il a sans aucun doute, du haut de son interminable intelligence la qualité de s’en rendre compte. En tous les cas, face à cette phrase, dont il va s’éreinter à extraire toute la substantifique moelle, il va faire le numéro qu’on lui connaît, s’animer, s’allumer, s’éclairer.
C’est le spectacle permanent. Il semble, contrairement à Isabelle Huppert ne jamais oublier que la caméra est présente. Dans le point commun de deux immenses artistes au travail, c’est aussi un miroir des égos, et forcément une comparaison s’opère. Si l’une paraît très sensible et au naturel, c’est comme si l’autre demeurait une énigme et brouille lui-même délicieusement les pistes. Dans les deux situations, c’est comme une abondance dans la connaissance et la maîtrise de leur art, et c’est assez plaisant à regarder, entre discrétion et fulgurance.
Dans Par cœurs, on est face à deux monstres, deux incarnations, deux folies… Fabrice est autant épuisant qu’il semble entier, avec une exaltation totale, quand Isabelle intériorise, médite presque. Même s’il s’agit de leur spectacle respectif, et donc forcément de leurs choix artistiques, Isabelle Huppert se fond dans un collectif là ou Fabrice Luchini prend seul toute la place sur la scène, ce qui est très certainement très en phase avec ce que semble vouloir nous dire le cinéaste. Le documentaire est forcément clivant, tant le contraste est majeur entre les deux artistes. Si la finalité de Par cœurs n’est pas très innovante, le procédé, la mise en scène apporte une touche d’inédit pas désagréable, mais difficile à regarder si l’on n’est pas déjà un peu acquis à la cause des deux artistes, ainsi passés au révélateur.
Titre Original: PAR CŒURS
Réalisé par: Benoit Jacquot
Casting : Isabelle Huppert, Fabrice Luchini …
Genre: Documentaire
Sortie le: 28 Décembre 2022
Distribué par: Les Films du Losange
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020