ENTRETIENS

Europa Maudits Metropolis (Entretien avec la réalisatrice Claudia Collao) « C’est une matière vivante Métropolis »

Rencontre en toute simplicité avec Claudia Collao, au Festival Lumière de Lyon, qui nous parle de son documentaire Europa Maudits Métropolis.

Chef-d’œuvre visionnaire et précurseur devenu emblème du cinéma de science-fiction, Métropolis de Fritz Lang fut aussi un gouffre financier, un creuset de drames humains, un objet de querelles de pouvoir, le miroir déformé d’une Allemagne en train de basculer. Ce projet colossal qui devait sauver le plus grand studio allemand, l’UFA, le précipitera dans les bras d’un parti nazi en plein essor, qui voit dans Métropolis le reflet de son idéologie. Élevé au rang de mythe, manifeste fou et amoureux d’un couple, Fritz Lang et Thea Von Harbou, dont l’œuvre et la passion succomberont aux bouleversements de l’Histoire, Métropolis est avant tout l’aboutissement d’un rêve qui aura viré au cauchemar.

Claudia, votre parcours en quelques mots ??

C.C : J’ai commencé à réaliser des films en 2000 et quelques, quand j’avais 25/26 ans, pas forcément des films sur le cinéma de patrimoine, mais mon parcours comme assistante, chargée de prod, comme femme réalisatrice, productrice, chose qui était rare dans les années 90/2000 a fait que petit à petit, je suis allée vers le cinéma de patrimoine, puis le documentaire de patrimoine. Depuis 2015, je vis ça, je réalise des films sur l’histoire du cinéma. Je pense que c’est en accord avec ce que j’aime raconter. C’est des histoires un peu décalées de personnes qui se confrontent à la grande histoire, c’est toujours ça, un chef-d’œuvre, c’est réussir à capter un moment très précis, où l’histoire devient plus grande que soi.

Une passion pour les films maudits. Après la collection Hollywood Maudits, c’est Europa Maudits, c’est aussi pour vous une façon de réhabiliter des œuvres inachevées, incomprise, rejetées ?

 C.C : Oui et puis dramatiquement parlant c’est formidable. En fait, j’imagine chaque film comme une série avec des cliffhangers, des rebondissements… Quand le film est maudit, il y en a plein. Le conquérant (1956) ou Howard Hughes milliardaire, bizarre, phobique des microbes, rachète la RKO, décide de faire un film épique avec John Wayne en Gengis Khan, et comme il veut en tout en décors naturels, il met ça à 30 kilomètres des effets de la bombe H et ça ne lui pose aucun problème, bon ben voilà, les nœuds dramatiques ils sont là, on devine qu’il y a tellement de rebondissements, que faut les distiller petit à petit, pour ne pas perdre le spectateur

D’ailleurs pour Métropolis, le documentaire est un peu monté comme un thriller en fait ?

C.C : Oui, ça en est un !! Une fois que les rushes sont faits, la monteuse me demande de résumer l’histoire, et quand je le fais, là je vois sa tête « Ha ouais… ha ouais »… « et ? et ? » (Rires..)

Vous qui êtes en quelque sorte une spécialiste des films maudits, ça serait quoi pour vous le film le plus emblématique en termes de malédiction ?

C.C : Y’en a pas mal hein… Je pense que Cléopâtre (1963) est bien. Avec un enjeu économique tellement fort. Il y a La porte du paradis (1980) en matière de films maudits qui est pas mal, en plus contemporain. Mais pour avoir réalisé le documentaire sur le Michael Cimino, les gens ne veulent pas en parler, c’est comme s’ils avaient enterré un cadavre sur le plateau.

 Et les critères d’un film maudit ? Très certainement multiples ?

 C.C : Avec la production, on a plusieurs critères, il faut que le film ait couté sa carrière au réalisateur, que ça ait coulé le studio, et que ça n’ait pas eu de succès commercial. Et pour Métropolis, on s’est posé la question de savoir si c’est assez maudit, et quelque part oui.

La tyrannie et même le sadisme de Fritz Lang que vous décryptez dans le doc et qui est passionnante à regarder, est selon vous la principale raison du naufrage de Métropolis ? S’il s’était comporté autrement, la malédiction aurait été moindre vous pensez ?

C.C : Je ne suis pas sûr, c’est ça qui est dingue. Ça fait partie du tout. C’est une question qui reste un peu en suspens mais il a vraiment des contradictions profondes chez Lang à ce moment-là. Il y a comme une bascule. Est-ce que s’il avait choisi une autre épouse que Thea Von Harbou, le film n’aurait pas été moins maudit, peut-être. Mais en fait, à chaque fois, il y a un grain en plus, qui fait que ça bascule à un moment.

Pourtant, sur le tournage, son épouse justement, elle vient compenser un peu, elle vient mettre des pansements sur ce que vous appelez les excès mégalomaniaques de Lang ?

C.C : Oui, la façon dont sont traités les enfants sur le tournage, c’est horrible. Heureusement qu’elle était là pour aider, pour gérer le plateau. Et puis, ce que raconte le film aussi. Peut-être qu’ils ne racontaient pas la même histoire en l’écrivant. Bien entendu je ne rentre pas là-dedans, car le film est écrit au moment où ils tournent, mais il y a de ça quand même. Ont-ils vraiment écrit le même film ? On ne sait pas.

La critique si mauvaise dans un premier temps de Métropolis, vous l’expliquez comment ? Car le plus cher de tous les temps, la démesure, son insupportable caractère sur le tournage, Ou purement artistiquement ? Buñuel lui, l’avait tout de suite défendu il me semble, parlant d’une révolution architecturale.

C.C : Ce que je me dis, c’est que les gens qui ont été à l’avant-première, et qui ont fait un triomphe le fameux soir, et les gens qui sont allés en salle, ils sont pas vu le même film et c’est cette version là qu’on a vu jusqu’en 2009, soit pas tout à fait complète, mais est-ce que le film n’était pas en avance sur son temps, est-ce que les allemands et le public international avaient envie de voir un monde futuriste pas franchement super positif…Peut-être aussi qu’il y avait un problème de décalage dans ce que ça anticipait.

Les choix des images d’archives ? Votre méthode ?

C.C : Il n’y en a pas (rires..) On construit le film avec le propos, et après, on met dessus des moments clés du film. Soit l’intervenant parle directement et c’est facile, soit on prend les images chocs qu’on met dessus.

Ce qui est passionnant c’est aussi l’histoire des amoureux maudits avec ce film entre eux, puis ses terribles choix à elle par la suite… pour vous c’est aussi une dimension dramatique qui fait de Métropolis un film maudit ?

C.C : Oui, c’est ça. Elle, sans Fritz Lang, ça n’a pas fonctionné par la suite. Et lui inversement, aux Etats-Unis, il a eu beaucoup de mal à rentrer dans le moule en fait. Je réalise en ce moment une collection sur les remakes, et donc je recroise la route de Fritz Lang, qui fait des remakes de Renoir, et il a du mal déjà à se fondre dans le moule Hollywoodien et l’exigence qu’on les studios, la place du producteur… Bon il y arrive, mais ça lui coûte beaucoup.

En 1975, Lang disait : « Quand je le faisais, je l’aimais. Après, je l’ai détesté ». Comment vous définiriez cette analyse du rapport de Lang à son propre film ?

C.C : Je pense que ce que Truffaut disait est vrai : « Un film, c’est comme un enfant. Un film malade, on l’aime plus que le film qui va bien ». Je pense que c’est ça. C’est son grand film malade, c’est Métropolis, je pense qu’il n’a pas voulu le voir car ça lui a couté très très cher, et que quand même, quelque part, c’est son enfant malade oui.

Ainsi que la récupération nazie qui participe à cette terrible dramaturgie et confusion autour du film ? 

C.C : Pour Lang, qui est juif, qui est LE cinéaste allemand qui cartonne au moment de l’avènement nazie, c’est une contradiction terrible. On lui aurait fait miroiter de diriger la UFA, donc grand studio Allemand et qu’à ce moment là il déciderait de partir. Sauf qu’il y a plein de documents qui attestent qu’il avait prévu de s’en aller. Ce n’était pas une fuite. Il réalise ensuite Liliom (1934) à Paris avec le même producteur que Métropolis, qui lui aussi est déjà parti, et il transite par Paris avant de partir à Hollywood.

L’après-guerre fait de Métropolis un mythe… Avec la suppression d’1/3 du film… Avec aussi les changements de 1984… Vous diriez que tous ces montages, découpages, restauration, modernisation rendent un film qui n’a plus rien à voir avec le projet original notamment dans son message ? 

C.C : J’appréhendais de travailler sur Métropolis parce que tout le monde le connaît, tout le monde l’a vu, tout le monde connaît la femme robot. Il y a des choses qui sont attendues. La femme robot, elle est attendue. C’est pour ça qu’on la met dès le générique car déjà, voilà on a le visuel. Mais en fait je pense que c’est une matière vivante Métropolis. C’est un film qui n’arrête pas de changer. C’est la réappropriation du public qui le rend à chaque fois plus vivant. C’est ça qui est un peu fou et qui échappe totalement à l’histoire. Tous les gens qui étaient ados dans les années 80 sont partis voir ce truc comme un OVNI et ont redécouvert le film sous un nouveau jour.

Métropolis, c’est aussi un parcours rocambolesque avec la version complète qui a disparu depuis 1927 et finalement les bobines 16 MM que l’on redécouvre en 2009 !! Une histoire de 70 ans !! Vous connaissez des précédents ?

C.C : Non. Je connaissais cette histoire depuis 2009 parce que c’est l’année où j’ai eu ma fille aînée. J’étais à la clinique, j’avais Le Monde et c’était écrit : « Deux argentins retrouvent Métropolis« . Je me demandais ce qu’il se passait. J’étais déjà passionnée de cinéma et c’est un copain allemand qui m’avait envoyé ça à la clinique, avec un pyjama et Le Monde et me disant : « Tiens ça pourrait t’intéresser » (Rires..). Là pour Europa Maudits, OCS et la production me disent, oui là c’est assez maudit. Bien qu’il y ait justement cette résolution à la fin. Ce qui est génial maintenant, c’est qu’avec l’expérience que j’aie, ce que je préfère quand je prépare le film, c’est commencer à rassembler les intervenants, et ce qui est assez magique, c’est que quand on parle à quelqu’un de son travail, c’est comme parler à un mécanicien de chez Ferrari. Il y a toujours un intervenant qui amène un autre, qui en amène un autre etc… et on refait le parcours du film avec les gens.

Quelle émotion vous parcoure le plus devant Métropolis ?

C.C : C’est compliqué. C’est l’impression d’avoir été au pied de Notre Dame et de faire « Bon, ben faut raconter l’histoire de Notre-Dame « . Métropolis je l’appréhendais oui. Je me disais on m’attend au tournant, des documentaires sur Métropolis, y’en a eu plein, tout le monde a son point de vue. Je me suis dit olalalala. Et puis finalement, en étant sincère, en racontant juste la vie du film, en se disant que le film c’est la star.

Métropolis, c’est l’image plus que le message, un peu comme le disait Buñuel quand il parlait de révolution architecturale ?

C.C : Ça a changé les choses, mais qui a échappé aux créateurs respectifs. C’est un film qui a hanté les carrières des deux et même du producteur. Souvent on oublie la place des producteurs, qui ont un rôle éditorial assez important dans toute cette grosse machine. Métropolis et un film maudit dans le sens où il est tellement gros, énorme, qu’il change la carrière des gens. On fait un Métropolis et après, il faut vivre avec.

Des nouveaux projets ?

Là, je suis en montage d’un 4×52 minutes sur l’histoire des remakes, toujours pour OCS. J’ai tourné cet été à Hollywood, ça le fait de le dire (Rires..). Et aussi East Coast à New-York. Donc l’histoire des remakes avec 4 épisodes. Le premier, c’est le rapport qu’ont Hollywood et l’Europe pour réécrire des histoires. Le deuxième, c’est comment un réalisateur peut écrire 14 fois la même histoire et « s’auto-remaker ». Le troisième, c’est comment un remake devient une franchise, donc on aborde les Batman, et autre Tarzan et autres histoires qui se déclinent jusqu’à maintenant. Et le tout dernier, c’est quand il y a eu tellement de remakes qu’en fait, ce n’est plus un remake. Avec des historiens américains, français et des scénaristes hollywoodiens qui racontent comment on travaille avec des européens, comment on travaille dans un studio, comment on est démarchés pour écrire un remake. Il y a de très belles rencontres.

Pour finir, Il y a quelque chose que l’on n’aurait pas dit ?

On a bien fait le tour… Si, peut-être que la production, Lucien TV, m’a dit « On ne peut pas t’envoyer aux endroits prévus du fait du confinement  » par contre, on va réinjecter tout cet argent là pour que tu ais tous les intervenants internationaux que tu veux et là c’était open bar…

Première diffusion le 19/11 sur OCS

Propos recueillis par JM Aubert

Merci à Ludovic Gottigny qui a permis à cette interview de se faire.

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