Tout en douceur, mais avec cette sensibilité si profonde qui caractérise son film Plus que jamais, Emily Atef sa réalisatrice a pris le temps d’un très bel échange, à propos de son film, lumineux, d’une infinie puissance poétique, et qui donne envie de vivre et d’aimer. Une grande cinéaste, un film sublime, une belle rencontre :

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Emily, votre parcours, en quelques mots ?
E.A : Je suis Franco-Iranienne. Mon papa est d’Iran, ma mère du Jura. Il se sont rencontrés dans les années 60, à Berlin Ouest et je suis née là-bas. Quand j’avais 8 ans, on est partis vivre à Los Angeles. Après, ado, vers 13-14 ans, dans le Jura, un choc du coup ! Après le bac, 5 ans à Paris, ensuite, je suis allée à Londres, pendant 4 ans et demi et c’est là où j’ai senti que je voulais raconter des histoires, par la voix du cinéma et que j’ai commencé à écrire. J’étais comédienne de théâtre, après une école à Paris. Ensuite, j’ai travaillé au théâtre à Londres, mais ça ne m’a jamais vraiment plu et donc j’ai commencé à faire des films avec des collègues et après, en 2001, j’ai été acceptée dans une école de cinéma à Berlin, et je suis partie. Et ça fait 20 ans que j’y suis là maintenant, et j’ai donc commencé à faire des films.
Vous aviez dit que Plus que jamais germait en vous depuis plus de 10 ans, c’est ça ?
E.A : Oui, j’ai eu l’idée du film en 2010. On a tourné en 2021, donc 11 ans même !! Très longtemps, jamais je n’ai germé un film comme celui-ci et j’espère que plus jamais, je n’en germerai aussi longtemps. Entre temps, j’ai fait des films bien sûr et quand je vois maintenant avec la distance, il me fallait cette maturité, pour vraiment le raconter. Maturité en tant qu’être humain, en tant que femme, et aussi en tant que cinéaste. Ça aurait été un film complètement différent si je l’avais fait en 2011. Maintenant, je suis très heureuse car la vie est faite comme ça, avec des financements qui étaient là, puis non, après, le scénario qui est prêt et en fin de compte en 10 ans, il n’était pas encore prêt. Et finalement, les acteurs que j’ai eus, l’équipe technique, je n’aurai pas eu cette qualité là en 2010-2011. J’avais besoin de maturer, d’apprendre encore plus. J’ai aussi perdu des êtres très chèr-e-s durant ces 10 ans, donc ça m’a aussi fait voir la perte de quelqu’un différemment, et encore approfondir le travail, le scénario.
Vous avez défini Plus que jamais davantage comme un film sur la vie que sur la mort, aussi car c’est une ode à la chance d’être vivant, d’être sur terre ?
E.A : Disons que personne ne meurt dans le film, ce n’est pas sur un deuil de quelqu’un. C’est un film sur la vie, certes, une étape de vie que l’on va tous passer : la fin. Mais on est bien vivants. Même si parfois les vivants pensent que les malades ou les mourants ne sont déjà plus là, mais c’est faux, ce sont des êtres avec des désirs érotiques et une envie de vie, une envie qu’on ne leur mente pas et parfois c’est un moment très précieux, cette dernière étape de vie, ou c’est une recherche sur ce que je veux vraiment, sur comment je veux la vivre. Et c’est ça qui m’intéressait. En tant qu’enfant déjà, ça m’intéressait, quand je voyais les animaux qui vivaient autour de nous, certains partir comme ça à un certain âge, juste partir et plus revenir. On se dit pourquoi ils ne sont pas morts devant nous, leur famille. C’est aussi ça qu’on m’a expliqué, certains animaux quand ils sentent que c’est leur moment, ils quittent la meute, pour partir seul, tranquille, en dignité, pour ne pas mettre la meute en danger et ça m’a beaucoup parlé. Plus je grandissais, plus je me rendais compte qu’on n’en parle jamais. Chaque humain a le droit de choisir comment il veut vivre ses derniers moments, ou comment il veut partir. Mais très souvent, on ne leur demande pas aux malades et aux mourants comment ils veulent vivre ce moment, s’ils veulent qu’on soit là avec eux.

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Lorsque vous avez lu l’histoire du film à Vicky Krieps, elle a pleuré, n’a pas eu besoin de lire le scénario pour vous dire oui, vous pouvez nous raconter ce moment fort entre vous deux ?
E .A : Très fort, car elle ne savait rien du film. Je lui ai juste dis « j’aimerai te parler d’un film« . On a été dans ce café, dans ma rue et on avait une heure comme ça où je pensais raconter un tout petit peu, et qu’on en parle etc… Et en fait, j’ai commencé à raconter tout le film, de la première scène à la dernière et elle écoutait, elle pleurait, elle écoutait et à la fin elle a dit : « Je n’ai pas besoin de lire, je le fais « . D’ailleurs, je ne sais même pas si elle l’a lu !! C’était très très fort, et Waouh, je sentais que j’avais vraiment trouvé mon Hélène, et après c’est elle qui m’a mis sur la voie de Gaspard Ulliel. Je n’avais pas pensé à lui tout de suite. C’était un moment où je faisais beaucoup de castings en France avec beaucoup d’acteurs de cette génération. Et elle me disait je pense qu’il serait très très bien pour ce personnage. J’ai réfléchi, j’ai montré mon dernier film à Gaspard et le scénario, et je l’ai rencontré à Paris, il a été touché, il trouvait ça intéressant. Après, il était dessus, on était en 2018 et on a tourné trois ans après, avec le COVID entre temps, et des difficultés pour le financement, et il est toujours resté, pourtant il avait beaucoup de demandes. Et ce n’était pas le rôle principal, car c’est quand même le rôle d’Hélène, même si l’histoire d’amour est extrêmement importante dans le film. Pour moi, c’est important que l’on comprenne les deux personnages. Le vivant et celle qui va partir. C’était formidable de les avoir tous les deux.
« Les vivants ne comprennent rien aux mourants » dans le film est presque comme une devise. Ce qui est fort est que l’on comprend le besoin de partir d’Hélène, et l’envie qu’elle reste de Mathieu, et puis finalement, on va nous aussi cheminer avec Mathieu vers un formidable geste d’amour. Vous vouliez comme suspendre le jugement et que l’on comprenne les deux points de vue ?
E.A : C’est ça. C’était important pour moi, car le personnage de Mathieu, c’est vraiment nous, c’est les vivants, c’est le public. Et on le comprend, et tout ce qu’il fait, qu’il soit si maladroit, qu’il ne lui pose même pas la question, qu’il ne comprend pas, qu’il l’étouffe avec son amour et qu’il veuille la diriger car il a peur de la perdre, ce qui est très très humain, mais c’est égoïste car il ne veut pas qu’elle parte et en plus, on ne sait pas si elle partira ou pas avec cette greffe. Mais peu importe, ce qui compte, c’est ce qu’elle veut, elle. A la fin, il le comprend, il fait le plus grand geste d’amour qui existe, le plus grand. Ça devient le héros du film Mathieu.
Ce qui est fort aussi c’est que Plus que jamais est exigeant, sans jamais être âpre, mais aussi bouleversant sans jamais être facile. Vous croisez romantisme et complexité. C’est presque un mélo d’auteur ?
E.A : Oui, je pense que c’est un mélo assumé, mais d’auteur. Je n’avais pas envie de sortir les violons pour encore jeter le public dans quelque chose qui allait leur déchirer le cœur. C’est une histoire d’émancipation, qui va vers la lumière. C’est déjà déchirant une jeune femme qui doit partir à cet âge-là. Mais chacun est sur cette terre pour un certain moment, et on ne sait pas comment ça va être après. Je voulais qu’on la comprenne et qu’à la fin, on se dise Waouh elle a réussi à faire valoir son choix. Et c’est en étant le plus proche d’elle et pas en utilisant des choses extérieures comme la musique, car je voulais quand même une pudeur. Je voulais être dans le vrai, tout en ayant aussi de la poésie.
« Quand on aime il faut partir », disait Blaise Cendrars. Ce qu’elle va faire dans les fjords Norvégiens et ce décor naturel devient un personnage vivant du film, l’infiniment grand qui nous rend infiniment petit. Vous pouvez nous raconter les conditions de tournage là-bas ? La poésie de l’endroit ?
E.A : Je suis allée très souvent en Norvège et toute mon équipe française avec juste sept personnes et les trois acteurs, en partant, ils disaient « Oui oui la Norvège« , car je leur disais sans arrêt que c’était incroyable, à couper le souffle etc… Et c’était drôle car voir les Français arriver sur le bateau d’Oslo pour arriver à trouver les Fjords, mais ils étaient époustouflés… Ils disaient « Oh my god »… « Maintenant on comprend. Avant ce n’’était que des photos sur internet« . Mais c’est tellement majestueux, et rude, et vrai, c’est la vie, c’est existentiel la nature là-bas. Et nous en tant qu’humains, on n’est pas grand-chose et ça nous rend très humbles. Ça rend les choses plus simples.
La bande originale de Jon Balke, sans surabondance, apporte douceur et évasion entre piano et violoncelle notamment, vous pouvez nous raconter l’importance que vous accordez à la musique dans Plus que jamais ?
E.A : C’était un travail vraiment pas facile du tout, avec Jon Balke qui est un grand jazzman norvégien et il compose aussi pour les autres. J’avais déjà des contacts avec des compositeurs de film, mais je trouvais justement que c’était trop mielleux, trop émotionnel et je ne voulais pas appuyer là-dessus. Donc avec lui, que j’ai rencontré grâce à un ami, le travail était difficile au départ, car il n’avait jamais fait de musique pour un film de fiction et c’était drôle car c’était trop libre ce qu’il envoyait. On ne comprenait pas la musique. Et même si je ne voulais pas appuyer, il fallait quand même que la musique fasse aussi partie de cette nature, de cette émotion, mais pas justement dans les moments les plus émotifs, genre quand ils font l’amour : là ça serait horrible pour moi, de la musique. Là c’était la musique de leur souffle et leur silence. Il nous fallu du temps, pour que lui comprenne ce que je voulais et pour moi pour l’amener là-bas, et c’était super intéressant et je suis très très contente de ce qu’il a fait. Mais c’était drôle de travailler avec quelqu’un qui vraiment a un regard complètement différent.
Il y a aussi votre façon de filmer les corps, pour montrer l’alchimie entre eux deux, avec des scènes d’amour qui ne sont pas comme souvent au cinéma, cachées, entre le début de la relation et le réveil au petit matin, c’était une véritable intention de votre part ?
E.A : Oui, il y a deux scènes d’amour. Celle qui ne marche pas du tout au début, car elle, elle a envie de faire l’amour avec son mari, mais elle, elle ne peut pas, tellement il est coupé par sa peur qu’elle n’aille pas bien. Et il ne fait que l’humilier, et c’est pire. Voilà, comme si les personnes malades n’avaient pas le droit d’avoir des désirs érotiques. On les voit presque déjà comme s’ils étaient déjà morts, ça doit être très frustrant. C’était en juxtaposition, on sent qu’ils s’aiment mais ils sont sur deux longueurs d’ondes différentes, sur deux chemins complètement différents. Et à la fin du film, sans presque une parole, « Bon tu veux mourir avec moi ?« , c’est un quasi suicide mais bon la mort ne veut pas d’elle, et c’est là où il comprend, il faut que je la lâche, il faut que je la laisse. Cette scène d’amour est tellement importante. Pour moi, c’est l’apothéose de l’amour parce que les deux sont tellement sur la même longueur d’ondes. Une spectatrice m’a dit la semaine dernière : « Ils respirent le même souffle dans cette scène« . C’était super beau. Il lui donne le temps, il est avec elle, il lui donne le temps quand elle a besoin de reprendre son souffle et pour reprendre son désir sensuel. Il lui laisse le temps. Pour moi ce qui était important c’était la longueur, car je me mettais à sa place, et si on te dit, c’est la dernière fois peut-être qu’on fait l’amour avec celui qu’on aime. Alors, on va apprécier chaque moment, prendre le temps. J’ai eu beaucoup de chance avec ces acteurs, qu’ils m’aient fait confiance et qu’ils m’aient donné ça.
Vicky Krieps dit qu’elle a joué instinctivement, vous pouvez nous raconter sa façon de faire pour s’approcher autant d’un impressionnant lâcher prise, d’une vérité ? C’est quoi son pouvoir magique ?
E.A : Oui, son pouvoir magique c’est que j’ai essayé de la nourrir beaucoup avant, mais comme on se voyait aussi beaucoup, elle résistait parce qu’après, j’ai compris que c’était lourd de jouer Hélène, donc c’est vraiment quelques semaines avant le tournage, où elle s’est imprégnée du personnage. On a regardé beaucoup de films, elle a aussi parlé avec une femme qui a cette maladie. Une fois que la caméra commençait, elle était vraiment Hélène. Qu’elle soit devant la caméra ou pas. Parfois on était sur son partenaire, et elle était Hélène, elle s’en foutait que la caméra soit allumée ou pas. Elle a porté Hélène là où je n’aurai même pas imaginé. C’était très intense pendant le tournage, elle était très accessible et elle était vraiment « dans » Hélène. Et le fait que l’on soit en Norvège, en quarantaine, que l’on soit si peu car on était que sept membres de l’équipe et les trois acteurs, on était beaucoup ensemble, on n’était que dehors, et il n’y avait que de la lumière et c’était parfait, parfait… et aussi très joyeux d’ailleurs.

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A l’inverse, tout en étant lui aussi bouleversant d’authenticité, Gaspard Ulliel venait avec des notes, et travaillait sur un mode très préparé, c’est ça ?
E.A : Oui, pour moi c’était plus facile, car depuis 2018, il était dessus. Chaque fois que l’on se voyait, on en parlait ensemble, on parlait du scénario, on parlait du personnage, c’est lui qui a donné le nom, qui a baptisé le personnage Mathieu. J’avais un autre nom. Lui, il adorait quand je lui envoyais des films. Et on en reparlait, on essayait de trouver, on changeait, parce que j’écris toujours mes scénarios en anglais, j’avais écrit avec un co-scénariste avant de le reprendre toute seule. J’ai écrit les dialogues en français, et il les reprenait aussi, on en reparlait, on changeait les dialogues et il était en amont beaucoup plus dans déjà la réflexion et dans la préparation que Vicky, pour qui je crois que c’était trop lourd d’être comme ça dans la préparation. Déjà pour elle, c’était l’avoir en elle Hélène. Pour Gaspard, pour lui, c’était une sécurité, ou tout simplement une envie de se l’approprier avant. Mais de toute manière c’est magnifique car il n’y a pas une façon parfaite de le faire, chaque acteur est différent et c’est mon métier de les trouver, de comprendre comment ils fonctionnent le mieux, pour réussir à me donner ce dont j’ai besoin.
Vous avez dit que vous espériez que le film puisse donner envie aux spectateurs de discuter, sur le choix de chacun dans la façon de partir, c’est vraiment aussi le message du film ?
E.A : Voilà, ça c’est vraiment mon rêve. Déjà, quand je le vois au cinéma, que les spectateurs ne sortent pas sonnés et lourds, mais qu’ils sortent émus bien sûr, mais motivés, en voulant parler, en voulant boire un coup et vraiment discuter avec son partenaire, avec ses enfants, surtout avec les gens malades autour de soi, et en amont, même si je pense que l’on ne saura que sur le moment ce que l’on veut vraiment. Mais qu’on en discute et je trouve que c’est un respect de demander à la personne comment elle veut vivre ce moment car ils sont faibles, ou ils n’osent peut-être pas, car nous en tant que vivants, on est tellement forts avec notre amour, qu’on ne les laisse pas parler parce qu’on a peur. Je trouve que c’est un droit humain, on meurt seul en fin de compte, et si on aime, il faut vraiment, même si ça nous fait peur, il faut qu’on accepte le choix de l’autre.
D’autres projets en ce moment, à terme ?
E.A : Oui, j’ai tourné cet été un nouveau film de cinéma allemand, c’est ma première adaptation de roman. D’ailleurs, je l’ai adapté avec la romancière, donc c’était merveilleux. C’était son premier roman, qui a été traduit en Français chez Flammarion, et qui s’appelle Un jour nous nous raconterons tout de Daniela Krien. C’est une histoire d’amour fou, avec une jeune fille de 19 ans et un gars de 40 ans. Le premier été après la tombée du mur, mais à la campagne de l’est. Souvent, à la tombée du mur, on voit les villes, mais très rarement les campagnes, notamment de l’Est, où ils ont perdu un pays et gagné un autre. C’est une histoire assez érotique, assez terrienne, une très belle histoire d’amour aussi, mais tragique, et vraiment on a tourné avec une nature qui est encore très importante. Je suis en train de le finir, de le monter. Si tout va bien, il sortira l’année prochaine : Un jour, nous nous raconterons tout.
Quelque chose que l’on n’a pas dit qui vous paraît important, un message que vous voulez faire passer ?
E.A : J’ai fait tellement d’avant-premières, j’ai tellement voyagé avec le film, j’ai vu le public tellement touché, et même pour les débats, ils sont tous restés assis. Ce qu’il faut que l’on réussisse, c’est que les gens n’aient pas peur. J’ai un ami qui m’a dit, si ce n’était pas toi, jamais je ne serais allé voir ça, parce que j’ai tellement peur, je ne veux pas penser à ça. Si on sait que ceux qu’on aime sont heureux durant cette étape, ça donne envie de vivre.. Si on sait que nous-mêmes, quand on sera à cette étape, on a le droit de s’exprimer, et bien ça donne envie. Finalement je crois que c’est un film lumineux qui donne envie d’aimer.
Propos recueillis par JM Aubert
Merci à Monica Donati, Pierre Galluffo et Etienne Ollagnier qui ont permis à cette interview de se faire
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