Critiques Cinéma

EL (Critique)


SYNOPSIS : Francisco Galvan De Montemayor, riche propriétaire foncier et catholique fervent, tombe sous le charme d’une fidèle, Gloria Milalta. Le fait qu’elle soit déjà fiancée à Raul, un ingénieur, n’entrave en rien les projets de Francisco. Au cours d’une réception, il parvient à séduire Gloria. Il ne lui faut guère plus de temps pour la convaincre de l’épouser. Mais très vite, il révèle sa jalousie maladive et s’enfonce dans la paranoïa , sombrant peu à peu dans la folie…

EL, (lui en espagnol), avant d’être un film de Luis Buñuel est d’abord un livre de Mercedes Pinto publié en 1926, et qui en effet se place du côté de la narratrice, comme étant victime de la paranoïa maladive de son époux. Selon Luis Buñuel lui-même, EL est le film qu’il préfère dans sa propre filmographie. Une autre référence est particulièrement éloquente lorsque l’on sait que Jacques Lacan utilise le film comme modèle pour présenter la paranoïa à ses étudiants. Au-delà de son intérêt cinématographique certain dans le cadre de sa restauration, soutenue par deux admirateurs en chef, Martin Scorsese et Guillermo Del Toro, il est à souligner l’évidente portée scientifique de EL. Réalisé en 1953, dans le faste de la période mexicaine du réalisateur, EL, révèle l’étendue de sa noirceur au fur et à mesure que la folie de son personnage principal se dévoile.  Tout commencera par un amour passionnel, c’est un peu l’histoire de la vie. Francisco (Arturo De Cordova) revient sur les lieux de la rencontre avec Gloria (Delia Garces), dans l’espoir de la recroiser, un peu comme un assassin sur les lieux de son crime. Il sait que chaque seconde va compter, car il a compris en un regard que cette femme serait celle se sa vie. Il est comme poussé par une force occulte, mystique, et irrémédiablement attiré, tant le feu brule en lui, mais le consumant avec délice. Alors, plus rien d’autre ne compte, le temps se fige dès qu’elle apparaît, comme si Francisco n’avait jamais réellement existé auparavant. « L’amour survint brusquement lorsque deux personnes comprennent qu’elles sont inséparables » dira notre héros, mais à travers lui sans doute aussi Luis Buñuel. Autour d’un diner fastueux organisé par Francisco, interrogé à son tour sur le sentiment amoureux, un homme d’église glissera malicieusement : « Mon opinion sur l’amour… est que cette dinde est excellente !! ». Les dialogues sont fins et intelligents, la narration aussi haletante et forte que la passion incandescente initiale entre Francisco et Gloria. Sauf que cet amour un peu trop fou, cachait en fait une terrible tyrannie. Alors tout change et EL devient comme un film d’amour horrifique. La jalouse maladie, la pathologique possessivité deviennent sans issue. C’est une profonde aliénation du cœur, telle une pulsion de mort. L’auteur de ce crime émotionnel ne peut viscéralement s’empêcher de penser que l’autre lui ment et que toujours elle voudra d’autres bras.


Quand justement Francisco guide Gloria par le bras, on dirait davantage un geôlier et sa détenue qu’un couple d’amoureux tout étourdi par la longue nuit. Le déni est comme un facteur aggravant de sa folie du quotidien pour Francisco. C’est un code d’honneur, donc il ne veut ni ne peut changer. C’est une condamnation à l’enfer pour Gloria. C’est un rêve d’amour fou qui se fracasse sur les parois de la prison dorée de la royale maison de son gardien de l’enfer de mari, Francisco. On se dira même à un moment qu’il ne peut que finir par la tuer. Symboliquement au mieux…


On parlerait aujourd’hui, presque 70 ans après, d’une perversion narcissique. Au-delà des mots et des tendances psychanalytiques, c’est à n’en point douter une névrose totale et terriblement destructrice., une fracture béante. Le décryptage de la maladie est chirurgical et traverse l’écran. La façon, notamment de filmer Francisco, avec une caméra qui tourne autour de lui, dans ses folles émotions, est assez vertigineuse. En recontextualisant, c’est tout le prodige de Buñuel qui s’exprime ici. La scène de fin dans l’église est incroyable d’intensité et de virtuosité et vient comme en démonstration du danger de la folie amoureuse. Arturo De Cordova réalise un grand numéro dans le rôle de Francisco. Il incarne avec fièvre la paranoïa, en jouant également d’une souffrance si extrême qu’elle semble comme authentique. Il est impressionnant et réussit précisément à rendre son personnage autant effrayant dans sa folie qu’attachant dans sa maladie, passant dans la même seconde avec un naturel bluffant, de la violence à la douceur.


Delia Garces joue une Gloria éperdument amoureuse au début. Elle va tenter d’y croire passionnément, avant de baisser les bras, mais toujours dans une telle difficulté à se révolter. Elle incarne la victime totale, sous emprise, avec malheureusement une immense résonance aujourd’hui. EL est un grand film de cinéma, avec un message intemporel et dont la double véracité autant du propos que de la mise en scène, en fait un objet rare et donc sacrément précieux.

Titre original: EL

Réalisé par: Luis Buñuel

Casting: Arturo de Cordova, Delia Garces, Luis Beristain …

Genre: Drame, Romance

Sortie le:  02 Juin 1954

Reprise le : 02 Novembre 2022

Distribué par : Les Films du Camelia

EXCELLENT

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