SYNOPSIS: D’un souvenir fantasmé de la Seconde Guerre Mondiale au Berlin contemporain, Evolution suit trois générations d’une famille marquée par l’Histoire. La douleur d’Eva, l’enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas. Jusqu’à ce que celui-ci brise, d’un geste d’amour, la mécanique du traumatisme.
Evolution de Kornél Mundruczó a été présenté en séance spéciale dans la sélection Cannes Première au Festival de Cannes 2021. Produit par Martin Scorsese, le film comprend une dimension autobiographique certaine car ses deux premiers chapitres, concernant Eva, puis Léna, s’inspirent de la vie de la mère de Kata Wéber, scénariste de Evolution. Après Pieces of a Woman (2021) et White God (2014) récompensé la même année à Cannes du prix un certain regard), le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó nous propose ici 3 plans-séquence d’une lumineuse mis en scène, qui vient parler avec une grande sensibilité et subtilité du devoir de mémoire en général, et du drame de l’intime pour une famille en particulier. C’est intelligent et bouleversant à la fois. Le film est extrait d’une pièce de théâtre du même duo de réalisateur scénariste. La forme est d’une grande singularité avec ce séquençage qui vaut à la première partie donc une seule prise. « Jusqu’au moment où les personnages sortent à l’air libre. Le concept était très simple : nous voulions retranscrire à l’écran l’essence poétique et surréaliste du traumatisme, ainsi que la peur, indélébile, qui nous hante. C’est ce qui nous relie à la seconde partie ». La séquence d’ouverture est en effet glaçante et infiniment marquante, et ne sera pas commentée ici car elle se découvre, elle se prend en pleine figure. Puis, c’est la sortie d’Eva des camps, c’est spectaculaire, presque poétique, mais ne peut laisser indemne, ce que l’on devine à travers ses pleurs d’enfants. Les traumas s’ancrent, et il ne faut jamais sous-estimer ce que ne comprendrait soi-disant pas un enfant. Preuve en est, des décennies après, quand sa fille Léna lui reprochera : « Tu m’as transmis ta méfiance de tout le monde ». Eva n’aura pas su aimer, elle aura essayé.
On comprendra mieux quand, née à Auschwitz, elle décrira ses premières nuits. Ses premières nuits de vie. Les premiers moments de mort, oui. Son récit est bouleversant. Le sacrifice permanent de sa mère. Eva ne fut pas un enfant, mais une bête sauvage dans les premiers moments d’une vie, où l’on doit au contraire être sacralisée, rassuré, prise, aimée. Elle aura été tout de suite martyrisée, et niée dans son existence de petite déesse qui apporte la lumière. Elle n’aura connu au début que l’ombre, la haine, la folie. La question est aussi de savoir si Dieu a tenu la main à tous les enfants et les autres dans les chambres à Gaz. Eva pense que oui, pour Léna, c’est non. Vient le tour de Jonas, le petit-fils, qui démontrera à travers ces trois générations son extraction à lui du terrible impact de la Shoah, malgré ses conséquences viscérales et quasi génétiques. Il y a le chaos, et comment celui-ci se transmet, se partage, se propage même, avec un héritage d’une lourdeur abyssale, qu’il faut porter, comprendre et assumer. C’est ici toute la virtuosité du film produit par Scorsese, qui nous montre avec cruauté, sans concession, et dans un souci remarquable d’authenticité la vie entravée de toute une famille. L’authenticité est ici puissante et génère une force qui se voit, qui se vit. Nous sommes avec eux, témoins, amis, réconforts, nous sommes eux.
Sauf qu’avec ce troisième volet consacré donc à Jonas, c’est l’ouverture, la mise en scène prend l’air, s’envole, dans les rêveries et tourments du tout jeune adolescent. Il aura fallu trois générations pour comme désancrer et briser la chaîne du malheur. Le geste cinématographique de Kornél Mundruczó est d’un tel relief, d’un particularisme si fort que l’on est fasciné par la proposition de son audace filmique, en étant potentiellement moins attentif aux prestations des acteurs. Pour autant, Lili Monori, qui incarne Eva devenue vieille, campe avec force et énergie cette femme assez bouleversante qui ne peut pas être autre chose que ce qu’elle est devenue, tant son existence tient sur un hasard, et témoigne en même temps de l’histoire du monde. Sa performance dans la deuxième partie est somme toute assez éblouissante. Tout comme Annamária Láng dans le rôle de sa fille Léna est touchante dans cette envie de l’oubli, ce besoin de résilience.
Goya Rego et Padmé Hamdemir portent eux l’espoir de l’oubli, dans ce qui est pourtant une marginalité, sans lien avec la judéité de Jonas, qu’ils semblent cultiver, et dans laquelle les deux jeunes comédiens se retrouvent avec crédibilité. Evolution, c’est un cinéma âpre sans être long, et exigeant sans être obscur. C’est une certaine façon de filmer la complexité, au service d’un message pacificateur et qui ne peut s’achever autrement que sur une salutaire note d’espoir.
Titre original: EVOLUTION
Réalisé par: Kornél Mundruczó
Casting: Lili Monori, Annamária Láng, Goya Rego…
Genre: Drame
Sortie le: 18 Mai 2022
Sortie en DVD le: 04 Octobre 2022
Distribué par : Blaq Out
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