Critiques Cinéma

L’ORIGINE DU MAL (Critique)

SYNOPSIS: Dans une luxueuse villa en bord de mer, une jeune femme modeste retrouve une étrange famille : un père inconnu et très riche, son épouse fantasque, sa fille, une femme d’affaires ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Quelqu’un ment. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…

D’entrée, évacuons le sujet qui fâche, hélas imparable pour tout cinéphile aventurier et fétichiste. De son affiche à son synopsis en passant par sa bande-annonce, il était déjà évident, avant même de découvrir la bête sur grand écran, que le nouveau film de Sébastien Marnier allait faire clignoter le nom de Claude Chabrol un photogramme sur deux. Il ne faudra pas plus de deux heures pour que l’impression se confirme, les signes de correspondances ne cessant de s’accumuler à la queue leu leu. Sur cette démarche visant à pénétrer une sorte de vivarium bourgeois et feutré où les crotales et les vipères manipulent le faux-semblant (et l’hypocrisie) avec un doigté rare, on se sent clairement en terrain connu. Sur ce jeu de la satire qui lézarde les conventions sociales une à une au fil d’une intrigue où l’ombre d’un doute se faufile en boucle et où le crime est toujours presque parfait, c’est la même chose, sans oublier le jaugeage constant des rapports de classe pour pimenter les rapports humains. Sur le tout dernier plan du film, on aura là aussi tôt d’y voir un quasi décalque de celui, mémorable, qui clôturait La Cérémonie. Alors, kif-kif ? Ce n’est pas aussi simple que ça.



Il faut déjà se remettre en tête les deux précédents films de Marnier (Irréprochable et L’Heure de la sortie), afin de cibler en quoi leur fil directeur commun (une obsession d’ordre mental qui ne cesse d’envenimer le quotidien) pouvait se caler à merveille dans un cadre éminemment chabrolien. Et en partant de là, le goût de l’opacité narrative dont Marnier fait usage du premier au dernier plan aide à faire la différence.Il faut avouer d’entrée que L’Origine du mal fait partie de ces films à tiroirs dont il vaut mieux manipuler l’ouverture avec prudence pour un public qui n’en connaîtrait pas encore le vrai contenu. L’exercice est même d’autant plus délicat que le cinéphile aguerri aux us et coutumes du thriller psychologique (dont aux infos qui chuchotent une idée ou qui la laissent un peu trop longtemps en suspens) aura tôt fait de percer le pot aux roses – ici révélé à mi-parcours. Il suffit ici à Marnier de miser toutes ses billes sur l’ellipse qui cache la vérité, sur les effets trompeurs d’un cadrage où les échelles de plan font d’abord mine d’inverser les natures réelles des personnages, sur l’incertitude des caractères et des identités (toujours se méfier quand l’identité, voire l’utilité, d’un personnage reste trop longtemps floue) et sur l’impossibilité à positionner le curseur éthique dans un contexte de haine viscérale (on pourrait imaginer mille scénarios différents de Cluedo avec une famille bourgeoise comme celle-ci !). Reste que ce qui épate ici, c’est le degré de maîtrise.


On saluera d’abord un travail fou sur la structure de l’intrigue, ici gigogne à gogo, et sur la narration, ici éminemment vicieuse à force de disséminer ses indices de façon progressive, histoire de mieux nous la mettre à l’envers au moment le plus inattendu. La progression narrative épouse à merveille une linéarité constamment chahutée par les ruptures de ton (ici gérées avec parcimonie), la drôlerie devient affaire de malaise (et vice versa), la boussole de l’empathie se dérègle jusqu’à activer la suspicion la plus folle, et le casting, emmené par une Laure Calamy décidément abonnée à vie au concert de louanges, joue bien son jeu (donc le cache bien) en laissant son schéma interne dans un brouillard psy que la scène finale ne fera d’ailleurs même pas l’effort d’atténuer. A ce titre, le titre du film a lui aussi valeur d’énigme : la nature de cette « origine » est si peu claire (est-ce un personnage ? un acte ? autre chose ?) qu’elle frise la vue de l’esprit. Et pour enfoncer le clou, ces bibelots variés, ces animaux empaillés et ces plantes carnivores qui peuplent cette luxueuse demeure – et qui accompagnent ici le générique de fin – ont-ils une fonction omnisciente ou une simple valeur symbolique dans cette histoire ? Là encore, rien n’est moins sûr.



La maîtrise se répercute aussi sur le cadre et l’image, Marnier mettant ici un point d’honneur à utiliser le pouvoir de la mise en scène pour amplifier son récit et son propos. Là encore, notre cinéphilie nous enjoint à citer le nom de Brian De Palma. Pas seulement par cette utilisation intelligente du split-screen (qui suggère l’incompatibilité, souvent plus que discutable, de personnages malgré tout réunis par la force des choses), pas seulement pour ce plan-séquence d’ouverture dans des vestiaires féminins qui fait mine de photocopier l’ouverture de Carrie, pas seulement non plus pour ce questionnement implicite de la notion de « vérité », mais surtout pour cette stratégie visant à opérer une mise en abime de la notion de « mise en scène », au travers d’un film qui ment à propos de personnages qui (se) mentent. Rien de plus efficace pour exhiber une fausse réalité tordue à loisir par un désir brûlant que la narration passe d’abord sous silence. On n’ira pas jusqu’à dire que le degré de réussite est le même que chez De Palma, mais en tant que travail d’élève, Marnier connait si bien « l’origine du talent » qu’il chope la mention « très bien » sans aucune difficulté. Et on l’en félicite.

Titre original: L’ORIGINE DU MAL

Réalisé par: Sébastien Marnier

Casting: Laure Calamy, Doria Tillier, Dominique Blanc …

Genre:  Drame, Thriller

Sortie le: 05 Octobre 2022

Distribué par : The Jokers / Les Bookmakers

TRÈS BIEN

Laisser un commentaire