Critiques Cinéma

LE SIXIEME ENFANT (Critique)

Franck, ferrailleur, et Meriem ont cinq enfants, un sixième en route, et de sérieux problèmes d’argent. Julien et Anna sont avocats et n’arrivent pas à avoir d’enfant. C’est l’histoire d’un impensable arrangement.

Léopold Legrand, le réalisateur parle de son film avec une belle émotion. Il s’agit non pas d’une œuvre autobiographique, mais d’une approche, d’un vrai point de vue d’auteur, notamment quand il rend hommage à ses deux mamans. C’est un grand exercice de virtuosité et de maîtrise pour un premier long métrage, d’autant plus sur un sujet si complexe et potentiellement un peu chausse-trappe. Grand vainqueur du Festival d’Angoulême, avec quatre prix dont celui du public, il émane du Sixième enfant une immense sincérité, avec une écriture tout autant esthétique qu’engagée qui en fait un vrai joli moment de cinéma. Un moment de multiples croisements. On se situe ici dans un thriller du cœur. Il est déployé le drame de l’intime, sur un mode haletant quasi policier, à hauteur des multiples dilemmes et de certitudes craquelées des protagonistes, et le tout sur un sujet hautement social. C’est aussi une immersion sans caricature, mais avec finesse et justesse dans l’univers clos et atypique des gens du voyage, fort de valeurs et de croyances. L’enjeu pour le cinéaste était de ne pas être dans le discours, ni dans le jugement. Il raconte une histoire de rencontres, là aussi c’est du croisement, et quel quatuor !! Tout de suite, ils nous scotchent d’authenticité, et le cœur se serre, se contracte, et restera en tension, en sensations, avant la lumière finale et le rideau qui tombe sur l’écran C’est un peu les 4 fantastiques, Sara Giraudeau, Judith Chemla, Benjamin Lavernhe et Damien Bonnard. L’alchimie est totale, parfaite. Il y a ce qui va se jouer entre ces deux hommes, puis surtout entre ses deux femmes, mères, épouses, qui vont devenir sœurs, belles et fortes. Et ce que femme veut… C’est aussi évidemment la rencontre de deux univers, mais là aussi une des autres intelligences du Sixième enfant est de ne pas en faire trop, qui sans stéréotypie, vient en permanence nous montrer ce qui va les fédérer, les lier, et pas jouer facilement sur les contrastes sociaux. Ce qui va primer c’est l’enfant… Et une fois que cette envie d’enfant s’installe, chez Anna (Sara Giraudeau), le désir maternel est impressionnant de force, de puissance. La femme est alors comme habitée et possédée, c’est juste beau à voir dans une salle obscure. A partir du moment où cet enfant existe dans le ventre de Meriem (Judith Chemla), il est dans les cœurs, les tripes et les entrailles d’Anna. Son monde s’arrête, le monde s’arrête. Et le réalisateur et les deux actrices vont nous transmettre cette foi, cet amour naissant dans une communion vertueuse et virtuose tout à la fois. C’est le cœur et le drame du film, l’émotion est là, on est touchés et c’est ce qu’on voulait. Le courage porte toujours le nom de la mère. Ici, il sera double, c’est aussi sûrement ce que voulait le réalisateur, et c’est réussi.

Morceau volé, entre Julien (Benjamin Lavernhe) et sa femme Anna, rappelons-le, tous deux avocats :
Lui : Admettons qu’on s’en foute de la loi, il reste la morale quand même.
Elle : Depuis quand ça fait de la morale un avocat.

Ça y est, Anna va mettre à mal tous ses principes et dans le même temps, nous, on va être avec eux, mais toujours dans une forme de suspension du jugement, qui là aussi est comme un geste cinématographique d’orfèvrerie. Au-delà d’un sujet différent, c’est un peu comme dans le très prenant La vraie famille (2022) de Fabien Gorgeart. Le traitement est intelligent, jamais moralisateur, on comprend les intentions de chacun des protagonistes, c’est du vrai cinéma d’humanité, de générosité, de sincérité. Du coup, on ne prend pas explicitement partie, même si c’est bien la justice des hommes qui est sacrément questionnée en face de l’injustice naturelle. Trop d’enfants d’un côté, pas assez de l’autre. Ce n’est pas la binarité de l’amour contre la loi. Ils effleurent à un moment dans le film une solution intermédiaire et légale, qui semblait juste. Le proverbe africain dit bien qu’il faut tout un village pour élever un enfant. La mise en scène est assez épurée, car elle colle à une réalité, pour un film qui veut dire les choses, sans jamais être dans la démonstration. On est juste dans le vrai. La musique de Louis Sclavis s’impose avec une belle progressivité, dans un lyrisme qui accompagne mais jamais n’écrase ou viendrait comme en pathos. Là aussi, une belle justesse.

Il a y donc nos 4 héros, qui brillent ici de leurs engagements respectifs. Sara Giraudeau, en louve rageuse, prête à tout, qui va sortir les billets, un peu comme une marraine à la française, mais là aussi dans des intentions pures. L’actrice va réellement incarner cette détermination. Elle est douce et terriblement dure à la fois dans cette obstination amoureuse, proche d’une folie qui ne dit pas son nom. Benjamin Lavernhe va ici incarner la loi. Il va être très beau et juste dans la sidération qui est la sienne face à cette femme, la sienne, qu’il ne comprend plus, qu’il ne peut pas maîtriser. Tout ce que fait cet acteur en ce moment regorge de très nombreux talents. Damien Bonnard… Toujours un plaisir de retrouver cette force, cette intranquillité qui ne le quitte pas. Il joue ici sur la gamme du tourment, un mec qui nous touche et souvent nous bouleverse dans une générosité du quotidien, qui semble aller comme un gant à ce très grand acteur. Enfin, la petite mention pour Judith Chemla. Son authenticité est totale, elle est transformée, et habitée par un personnage, dont on devine de suite qu’elle souhaite le défendre. Elle est touchée par ce qu’elle joue et forcément elle nous le transmet. Entre grâce et émotion, la sensibilité de cette actrice nous touche en plein cœur.

Le sixième enfant, bijou d’émotion est un grand premier film. Un bel événement de salles de cette rentrée, qu’il faut s’empresser de voir, tant les 1H32 passent comme un souffle. Un film que l’on voit, que l’on défend, que l’on ressent. De l’émotion comme s’il en pleuvait, il ne faut surtout pas hésiter.

Titre original: LE SIXIÈME ENFANT

Réalisé par: Léopold Legrand

Casting: Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, Damien Bonnard …

Genre: Drame

Sortie le: 28 Septembre 2022

Distribué par : Pyramide distribution

EXCELLENT

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s