Critiques Cinéma

DÉLIVRANCE (Critique)

SYNOPSIS: Quatre Américains de classe moyenne, Ed Gentry, Lewis Medlock, Bobby Trippe et Drew Ballinger décident de consacrer leur week-end à la descente en canöe d’une impétueuse rivière située au nord de la Géorgie. Ils envisagent cette expédition comme un dernier hommage à une nature sauvage et condamnée par la construction d’un futur barrage. Mais les dangers qu’ils affronteront ne proviendront pas uniquement des flots tumultueux de la rivière… 

Délivrance de John Boorman est en fait une adaptation du roman éponyme de James Dickey, publié en 1970. L’auteur rédigera lui-même le scénario. Le film à sa sortie en 1972 s’il a reçu un accueil critique globalement très favorable, a forcément marqué les esprits, voir choqué l’opinion, y compris en lien avec cette scène de viol, plus avilissante que jamais. Boorman disant dans ses mémoires en 2003 à propos de cette scène et de Ned Beatty, l’acteur qui l’a subie : « Trente ans plus tard, des gens accostent toujours Ned dans la rue et lui disent : « vas-y, gueule comme un cochon ! »« . Confession glaçante, qui finalement accrédite la thèse de la bêtise et cruauté humaine que le cinéaste développe précisément ici. Délivrance, Tout de suite, c’est des plans sur des gueules, qui génèrent une hypnose massive et qui mettent en place comme un malaise, quelque chose de pas rassurant. Le morceau devenu anthologique d’Arthur Smith (datant de 1955) au Banjo du gamin (Billy Redden) en duo avec Drew (Ronny Cox) devrait nous emballer, être réjouissant et incarner la réunion de deux mondes, mais la mise en scène, les cadres, l’accélération continue du morceau, rendent la scène hyper angoissante, et s’avéra être un macabre présage. On devine volontiers que la condescendance au bas mot, voire les moqueries pour les aspects consanguins des autochtones vont se payer au centuple… Lewis (Burt Reynolds) enchaîne : « Non, cette rivière elle est invincible, invincible, croyez-moi« . Terrible prémonition, même si l’ennemi le plus dangereux ne sera pas celui qu’il imagine. Pour autant, Lewis semble vouloir triompher de tout, tout le temps : la rivière, les poissons, allégorie de sa lutte contre les modes de vie routiniers, le système, la vie en général. Il émane de ce personnage solaire, d’une éclatante et fulgurante beauté une intrépidité irraisonnée, il est un peu et beaucoup trop tête brulée.


Les quatre donnent le sentiment de vouloir fuir l’espace d’un instant. Ils le disent d’ailleurs: «  Personne ne viendra nous chercher ici« . Parallèlement, ils ne ressemblent pas vraiment à des potes, ils ne paraissent pas liés réellement. Comme si seul le passé était en partage. Car autant si Délivrance interroge clairement le rapport de l’homme à la nature, c’est aussi une approche assez anthropologique de l’authenticité du lien. Très rapidement, au début de leur excursion, la nature va prendre le dessus, à l’image de cette biche qui se dérobe sous les yeux et les tremblements de Ed (Jon Voight) qui tient l’arc en tremblant. Très rapidement aussi, Boorman joue avec nous en nous mettant dans l’optique de choisir un camp entre homme et nature. Si les premiers sont assez antipathiques, et la seconde potentiellement hostile, le choix semble s’imposer. Mais finalement, l’homme est un loup pour l’homme et l’ennemi sera ailleurs. Car les habitants qui semblaient bien flippants vont allier la chanson à l’air… Rarement un contraste aura été aussi intense entre la violence de l’agression qu’ils vont subir et le calme majestueux de la forêt, le chant des oiseaux… C’est terriblement horrifique, mais c’est du grand cinéma. Le drame, le tournant que l’on pressentait sans l’identifier est arrivé. Très rare à l’écran, le viol d’un homme. Et ces quatre-là, face au secret de la vengeance meurtrière, légitime défense ou pas, comment dans cette si friable et fragile amitié vont-ils gérer la suite? La survie encore et toujours. Avec des moments inoubliables comme quand Lewis demande devant le cadavre encore chaud dont il est responsable : « L’un de vous a-t-il des notions de droit ?  ».


Lewis, façon John Rambo mais en terre Georgienne et sans ennemi authentifié initialement, dans la déchéance qui va être la sienne, symbolise le déclin des quatre, mais aussi celui d’une Amérique plus si triomphante… Sorte de mix entre Le Projet Blair Witch (1999) (qui s’en est clairement inspiré) et un Scout Toujours (1985) qui aurait vraiment mal tourné, Délivrance est dérangeant, inquiétant, terrifiant. La mise en scène se nourrit d’images naturelles et environnementales somptueuses, uniquement interrompues par la folie des hommes et leur aspirations viriles et presque coloniales. Ned Beatty, pour son premier grand rôle au cinéma, (mais le seul qui savait pagayer avant le tournage !!) incarne parfaitement l’américain très moyen dans le rôle de Bobby, qui va vivre une terrible agression, une sordide humiliation, comme si un pays tout entier le subissait avec lui, c’est toute cette médiocrité ordinaire qui est ici attaquée de la sorte. On l’a écrit, Burt Reynolds est fascinant d’orgueil. L’acteur apporte à Lewis sa prodigieuse lumière, qu’il saura éteindre doucement, dépassé par ce qu’il pensait maitriser…


Jon Voight avec le personnage de Ed, l’intermédiaire en sorte… le plus humain car ni prétentieux, ni trouillard prendra une très belle luminosité et enfile le costume de l’anti-héros avec classe et presque élégance malgré la crasse partout autour. Au final, Délivrance, hautement métaphorique, met en exergue une incroyable dichotomie entre la nature et l’homme, montrant celui-ci dans ses instincts les plus vils. Avec une crudité extrême, Délivrance se classe largement dans un statut panthéon et patrimoine, et à ce titre, nous ne pouvons que lui souhaiter un très bel anniversaire, dans une intacte vitalité.

Titre Original: DELIVRANCE

Réalisé par: John Boorman

Casting: Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty…

Genre: Aventure, Thriller, Drame

Sortie le: 1er Octobre 1972

Distribué par: Warner Bros. France

EXCELLENT

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