SYNOPSIS: Ex-call-girl, Gloria Swenson connaît bien le milieu de la pègre pour avoir été la maîtresse de quelques gros bonnets. Solitaire, revenue de tout, elle préfère désormais la compagnie de son chat. Aujourd’hui, dans son immeuble délabré du Bronx, elle frappe chez sa voisine Jerry Dawn pour lui emprunter un peu de café. Mais la mère de famille, affolée, lui demande de prendre son garçon de 6 ans sous sa protection : son mari, comptable, a trahi la mafia en renseignant le FBI. Gloria rechigne mais se doit d’accepter : flanquée d’un orphelin, elle qui déteste les enfants et les contraintes, elle prend la fuite…
John Cassavetes, réalisateur de Gloria, est un pionnier du cinéma indépendant, dont le premier film Shadows (1961) est un emblème. Il affectionne les univers un peu enfumés, parfois glauques et en tout en cas en marge. Avec Gloria, un peu comme pour Meurtre d’un bookmaker chinois (1976), il connaîtra un succès plus commercial qu’à l’habitude. En 1980, Gloria obtient le Lion d’or au Festival de Venise, ex aequo avec Atlantic City (1980) de Louis Malle. Gena Rowlands, muse et épouse de Cassavetes, qui incarne Gloria a expliqué un jour que si elle devait emporter seulement un de ses films sur une île déserte, ce serait Gloria car c’est « un film qui me donnerait l’impression d’être forte« . Toujours aussi émouvant que déstabilisant de voir les tours du World Trade Center, c’est ici le cas dans un générique de début façon carte postale, avec d’autres symboles du clinquant New-Yorkais. Mais très vite, on va justement plonger dans les bas-fonds de la grosse pomme, dans le Bronx. Premier jeu de contraste de Cassavetes.
S’il existe une morale à Gloria, c’est de ne jamais se pointer chez les voisins pour demander du café. Clairement la vie de Gloria va rebasculer, elle qui justement après avoir fréquenté et fricoté avec le milieu, aujourd’hui nous dit qu’elle est bien car « J’ai ma vie, j’ai mon appartement, j’ai mon chat ». Sauf qu’une fois affublée de Phil (John Adames), le gamin à sauver, elle dira dès le début « C’est mon gosse« . Au-delà de la stratégie pour sortir de l’immeuble, ce sont les prémices de l’attachement, d’autant qu’elle a dû se contraindre à lâcher son chat. Cette femme qui, comme elle disait à la mère de Phil, « n’aime pas les gosses et surtout pas les tiens » va commencer à s’ancrer, à tisser un lien fort, indéfectible et filial de substitution. Lien dont on se doute qu’il va tenir sur un fil car la mafia fera tout pour le rompre, avec ses méthodes… Sauf qu’ils vont peut-être tomber sur un os, car c’est bien une Gloria qui n’a pas froid aux yeux qui sort à un moment : « J’ai mon revolver et ça m’affole pas de bruler la cervelle d’un mec, fais moi confiance. J’espère seulement que c’est quelqu’un que je connais« .
Gloria est donc particulièrement haletant, et notamment grâce à sa mise en scène brillantissime. La caméra court après Gloria et le petit Phil, dans la virtuosité d’une réalisation toute en nerfs et comme brutalement romantique. La scène où elle sort son flingue pour la première fois, et qu’ainsi elle choisit le gamin contre la mafia, donc en clair, elle va jouer sa vie pour lui, est un modèle, un absolu de grande scène de cinéma, avec une dramaturgie très puissante. Gloria, aux abois dans les rues de New York avec le gamin, c’est une héroïne urbaine, une flingueuse citadine. Avec une guitare tout le long qui poétise le film et une musique composée par rien d’autre que Bill Conti (qui a écrit entre autres le thème des Rocky) qui intensifie à merveille ce qui passe à l’écran. Mais la situation va vite devenir intenable, la mafia c’est Big Brother, l’ennemi est partout, tout va faire paranoïa et tension pour Gloria et Phil. Le moindre toc toc à la porte, le moindre klaxon, regard appuyé dans la rue… On passe du métro au taxi et on multiplie les hôtels, on se perd, se retrouve, on a peur mais ensemble. On court avec eux dans les rues new yorkaises. Le petit Phil est impressionné par cette amazone des bas quartiers, qu’il admire et apprend à aimer. Le récit est fort et très esthétique. Les couleurs délavées sont crades comme la ville. Quand Phil sort la tête à la fenêtre d’un hôtel bien miteux, et que le rouge sang du néon colore son doux visage enfantin, c’est comme le présage de la nuit des temps. Vertige de génie d’un cinéaste.
Phil nous est montré comme un petit homme avec ses chemises et son pantalon à pince. Sorti prématurément de l’innocence il grandit évidement trop vite. Il cause comme un bonhomme et veux jouer au dur, au grand, dans l’expression d’un visage qui se durcit au fil des heures. Il tient contre son cœur comme un doudou maléfique, le livre/preuve contre la mafia, héritage paternel, symbole de déchéance et du meurtre de toute sa famille. En tous les cas, quel duo Gloria et Phil, deux gueules. Qui sont magnifiées par les plans de cette caméra qui les suivrait au bout du monde, et nous avec. Le bout du monde devient Pittsburgh, là où ils veulent se réfugier… Il y a toujours de quoi se réfugier à Pittsburgh, toujours une Rebecca ou un Jack pour vous accueillir à leur table, mais c’est une autre histoire de « nous »… (This is us 2016-2022). Dans cette traque infernale et dont on craint qu’elle soit infinie ou ne s’achève en bain de sang vu l’âpreté de l’adversité, moment de grâce quand Phil, 6 ans dit à Gloria : « Tu peux pax continuer à tirer sur tous les gens qui frappent à la porte quand même « … Tout est dit. Le petit John Adames qui joue Phil Daw, s’éclate face caméra, et nous avec. Comme nombre d’enfants dans ces situations, il joue véritablement, et il joue tellement qu’il devient son personnage. Ce qui est un régal tant l’écriture de ce rôle joue le contraste entre les apparences du pt’it mec macho qu’il voudrait être, et le moi véritable d’un petit garçon au regard bouleversant de quête affective et filiale. Gena Rowlands est une Gloria qui écrase tout sur son passage, la mafia et tout le reste. Elle est dantesque et fulgurante de génie dans son interprétation. L’engagement est total, c’est une dame, une diva, qui iconise Gloria… C’est Gena Rowlands Mesdames Messieurs… Dans Gloria, avant le dénouement, dont pas un mot de sera dévoilé ici, chaque scène devient un film, et c’est ici que l’on reconnaît les grandes œuvres majeures du cinéma. A découvrir ou revisiter avec le même plaisir, celui d’avoir l’impression à chaque instant de vivre une immense intensité émotionnelle.
DÉTAIL DES SUPPLÉMENTS :
– Une femme d’influence (22’) : Gena Rowlands par Murielle Joudet
– Un enfant revient (38’) : à propos du film, par Murielle Joudet [sur le Blu-ray]
– Dix pas avant le peuple (32’) : Robert Guédiguian à propos de John Cassavetes [sur le Blu-ray]
+ Un livret inédit de 50 pages Gloria in excelsis ou Le Crépuscule du matin, écrit spécialement par Frédéric Albert Levy & Doug Headline
Titre Original: GLORIA
Réalisé par: John Cassevetes
Casting : Gena Rowlands, John Adames, Buck Henry …
Genre: Thriller, Drame
Sortie le: 31 décembre 1980
Sortie en : Blu-ray+DVD+Livret le 27 Juillet 2022
Distribué par: Wild Side Video
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