Critiques Cinéma

RIFKIN’S FESTIVAL (Critique)

SYNOPSIS : Un couple d’Américains se rend au Festival du Film de Saint-Sébastien et tombe sous le charme de l’événement, de l’Espagne et de la magie qui émane des films. L’épouse a une liaison avec un brillant réalisateur français tandis que son mari tombe amoureux d’une belle Espagnole. 

Avec Rifkin’s Festival, à 86 ans, Woody Allen sort son 50ème film. Autant le dire d’emblée, il serait regrettable que celui-ci soit son film testamentaire car s’il se regarde sans déplaisir, il reprend ici tout ce que l’on sait déjà du cinéaste et n’apporte pas de singulière plus-value. Il a toujours eu à cœur en effet de tenter de rendre drolatique ce qui ne l’est pas vraiment, à savoir notre condition passagère.  L’œuvre du cinéaste est dantesque, faite de bons mots,  -« Je ne peux pas écouter du Wagner, ça me donne envie d’envahir la Pologne  » entendu dans Meurtre mystérieux à Manhattan. (1993)-, et traversée par différents courants, avec une forme d’efficacité burlesque en constante. L’intellectuel new yorkais autodidacte, dans son cinéma parle beaucoup de lui, donc de nous et du monde. Il y a dans Rifkin’s Festival sa déclaration d’amour au cinéma en général et à la nouvelle vague en particulier. Intéressante sur le papier, mais au final insuffisamment creusée, autrement que sur le volet de la nostalgie. D’autant qu’entre la caricaturale superficialité de ce qu’incarne Philippe, le pédant réalisateur français, incarné subtilement par Louis Garrel et le « bon vieux temps » des Godard, Bergman ou Truffaut, on a envie de dire à Woody qu’il existe un peu autre chose quand même et du très bon… Comme Annie Hall (1977) Manhattan (1979) ou aussi Match Point (2005) d’un certain…. Woody Allen par exemple !!!  A l’inverse de ces œuvres, Rifkin’s festival est souvent très bavard. C’est un Woody Allen nous direz-vous. Ce qui donc ne pose pas de problème d’habitude, tant les dialogues sont véritablement pensés, et avec une finesse du trait archétypale et qui se veut anthropologique notamment évidemment des relations amoureuses, variation favorite du cinéaste. Sauf qu’en l’espèce, dans Rifkin’s Festival, ce qui est embêtant est le caractère hautement rébarbatif du bavardage en question, qui à force devient pénible.  On a bien compris que Mort Rifkin (Wallace Shawn) se sentait perdu, désabusé, écœuré de la médiocrité humaine, que le temps arrêté du festival du film de San Sebastien allait mettre en exergue. 

C’est un peu à l’image des scènes en noirs et blancs, incarnés par les rêveries hallucinatoires de Rifkin. En terme de mise en scène, l’idée est amusante, c’est ingénieux et clairement créatif. Sauf qu’au-delà du formel, l’objectif premier n’est sans doute pas atteint, car le récit ne décolle jamais dans ces moments, alors qu’on s’attend à du verre brisé et à « La porte de mon cœur grondera, sautera car la poudre et la foudre, c’est fait pour que les rats envahissent le monde. » (Tu verras, 1978 Claude Nougaro) et en fait on reste au quai des sempiternelles turpitudes de Rifkin et de son créateur. Ça cause, c’est marrant, mais il ne se passe pas grand-chose, même dans l’immobilité.  On effleure par moment la tension et l’électricité d’un Vicky Cristina Barcelona (2008) du même auteur, qui laissait là s’exprimer des émotions qui se fêlaient, mais comme au final, cette atmosphère sensuelle et joueuse n’est qu’ébauchée, on est même un peu frustré, et on se dit que Woody Allen, un brin paresseux sur ce coup-là avec un vaudeville jazzy pépère, se repose sur son évident talent. Et qu’il en est pourvu, car là où Rifkin’s festival devient bien plus captivant, est quand Woody Allen, autobiographique dans les interrogations que porte pour lui Rifkin, questionne le sens de la vie, les non choix, ceux qui n’en sont pas, et le ballet perpétuel du non-dit, alors que nous ne sommes que de passage. La remise en cause entre être et avoir été, sur la difficulté à se faire une place quand on trouve tout le monde un peu con… A part être son antithèse physique, à ce jeu-là, dans une forme de jetlag psychoaffectif, il ressemble un peu à Charlotte (Scarlett Johansson) dans Lost In translation (2003), avec en commun de trouver un peu tout superficiel. Et comme la férocité est souvent jubilatoire, dans les moments où il vanne son « anti lui » autant beau gosse que navrant de superficialité, Philippe, réalisateur, comme d’ailleurs Kelly, actrice (Anna Faris) pour Charlotte dans Lost In Translation, le film décolle davantage.  

Il pose des questions pertinentes, assez existentielles, notamment quand Rifkin évoque la qualité de s’extraire de son quotidien, de son assignation, pour ne plus se cantonner à être dans le devoir, mais se demander ce que l’on veut vraiment. On pensera ici à l’inusable « Qu’est-ce que je ferais si j’étais moins con ? » beuglé par Daroussin dans Le cœur des hommes (2003). Là, Woody fait du Allen, et là, on aime bien. Et puis, il existe ce joli conte amoureux entre Rifkin et Jo (Elena Anaya), qui dans une parenthèse romantique, une bulle de fait éphémère, un moment suspendu, vient d’autant plus interroger avec délice le spectateur sur notre envie parfois de renverser la table pour ne pas se nourrir de regrets. En tous les cas, cette gentillette parade amoureuse est plus profonde qu’elle en a l’air, et au-delà de la formidable et parfois un tantinet insincère car excessive carte postale des décors de San Sebastien, qu’elle lui fait découvrir et nous avec, se joue entre eux comme un inexorable impossible, assez poignant. Wallace Shawn joue sa partition habituelle et incarne comme il se doit la désespérance singulièrement désabusée de son personnage Rifkin. Là où il prend en profondeur, c’est invariablement les moments avec Jo, où il se révèle très touchant en amoureux transi, passionné mais réaliste. Sa composition de l’impossible est alors d’une grande justesse.  

Gina Gershon qui joue Sue, la femme de Rifkin est aussi très touchante à sa façon, dans l’ennui qui est le sien, prête à combler ce vide par celui qu’incarne Philippe, dont on devine qu’elle devine sa médiocrité sous les atours chatoyants… Elle est dans ce registre assez émouvante. Elena Anaya elle aussi livre une belle prestation en femme qui se morfond dans ses mauvais choix. Tout comme il est plaisant de voir Louis Garrel en bellâtre benêt et prétentieux, alors que tout le monde l’adule pour de mauvaises raisons. Il est précis et assume la caricature de son personnage. On notera le régal de folie de Sergi Lopez dans le rôle de Paco, insupportable d’égo et l’apparition lunaire toujours chirurgicale de Christoph Waltz dans le rôle de … la mort.  Au final, Rifkin’s Festival, s’il tourne parfois un peu trop sur lui-même, et flirte avec une caricature par moment édifiante, arrive parfois quand même à décoller et nous sert une variation pas inutile sur les turpitudes existentielles, et le moment de cinéma, dans la veine très classique de son auteur, est donc au final somme toute appréciable. 

Titre Original: RIFKIN’S FESTIVAL

Réalisé par: Woody Allen

Casting: Wallace Shawn, Elena Anaya, Gina Gershon …

Genre: Comédie, Romance

Sortie le:  13 Juillet 2022

Distribué par: Apollo Films

BIEN

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