SYNOPSIS: Liés par une forte amitié, deux revoltés en cavale veulent vivre à fond leurs aventures. Cette fuite sera ponctuée de provocations et d’agressions mais également de rencontres, tendres instants de bonheur éphémères.
Deuxième film de fiction de Bertrand Blier, après Si j’étais un espion (1967), Les valseuses est une adaptation du roman éponyme sorti en 1972 et écrit par…. Bertrand Blier. Il fit clairement scandale de part notamment certes la multiplication des scènes de sexe, et pas qu’hétérosexuelles, mais au-delà, il vient surtout mettre la France face à un miroir grossissant, parle de libération de mœurs, et illustre un véritable affrontement idéologique du pays. Blier en rajoute et provoque à fond. L’accueil par la critique sera assez glacial le qualifiant globalement de nauséabond, mais si certains plus rares, percevaient déjà l’avant-gardisme, et les talents fou émergeant d’un cinéaste et de ses acteurs et se réjouissaient de « ces Pieds Nickelés salaces, qui nous mettent l’allégresse au cœur ». *1 Le public ne s’y trompe pas. C’est un énorme succès avec 5.7 Millions d’entrées. Quoi que l’on puisse en penser, c’est clairement un film patrimoine du cinéma Français. C’est une vision, une révolution. Première seconde du film, deux gamins… Depardieu le roi poussé par Dewaere le bouffon dans un caddie… Ça ne pouvait pas être le contraire… Pour un jeu d’enfants anodin. Sauf que ces deux sales gosses là sont incontrôlables, pourchassés par les braves gens. Deux zonards, deux voyous, deux obsédés, deux malades d’amour, deux carencés traumatiques. Depardieu en blouson noir, c’est comme une seconde peau… Dewaere en suiviste, déjà un brin christique. Dans la voiture volée : « On n’est pas bien là ? Hein ? Tu les sens les coussins d’huile ? Sous ton cul « . De la vulgarité ordinaire ? Non, de la poésie cinématographique. Miou-Miou entre comme un ange… Ça tombe bien, elle va faire face à dieu et au diable… Un ange en manteau de vison rose… Délicieuse Barbe à papa, Poésie des mots et de l’image.

© 2011 Kino Lorber, Inc
Extraordinaire moment où tenus en joue par le propriétaire de la voiture qu’à un moment, ils ont « empruntée » »les deux loubards font l’objet de la curiosité de tout le voisinage, au balcon, qui se régale, se délecte, et sans euphémisme collabore, la vindicte à la bouche mais bien planqués dans les immeubles, le sourire baveux au lèvres. Réponse d’anthologie de Depardieu à cette formidable allégorie des lâchetés hexagonales, qui font partie de l’histoire de France absente des manuels : » Pas d’erreur possible, on est bien en France« . Au-delà de la provocation autant savoureuse qu’ultime de Blier, tout le film est un peu là. Ces deux France qui se font face. Blier nous met pour le moment dans le camp officiel des méchants, le meilleur. Une balle perdue près des valseuses pour Dewaere, Dieu n’a pas de sexe, c’est pas grave… Dewaere se fait opérer les jambes écartées dans un étrier, avec les chaussettes trouées, misère testiculaire et pédieuse. Toujours chassés, en ville par les flingues, à la campagne par les fourches. Ces deux là n’ont leur place nulle part. Ils font n’importe quoi, et nous on se marre. C’est bête mais c’est beau. On est dans le train, mais là on se marre plus du tout. La sublime Brigitte Fossey passe par là…Mère nourricière, symbole absolu de pureté, elle est ici et maintenant la mère de tous les hommes. Elle donne le sein à son bébé, personne dans le wagon. Depardieu veut la payer… « Moi ce que j’aimerai bien, c’est qu’tu donnes la tétée à mon pote, c’est un grand amateur de lait et en plus, il est né de mère inconnue, j’suis sur que ça lui ferait plaisir« . La tétée, l’agression, ces mecs là n’ont rien réglé, ma mère m’a abandonné, alors je viole toutes les mères. On explique, mais jamais on excuse. La carence, le trauma, la violence.

© 2011 Kino Lorber, Inc
Une scène qui pue le viol, le chantage, la domination masculine abominable. Les deux voyous ne sont plus sympas du tout, ce sont des agresseurs, des salauds, des mâles, c’est le mal. Ils ne violeront pas, mais c’est pareil C’est malsain, abominable, presque insoutenable. Il y a bascule, on sort du manichéisme, ça serait trop simple de s’ériger du coté des voyous, sous prétexte que les braves gens ne le sont pas vraiment. Blier nous fait voyager sur le terrain vague de la complexité. Ils retrouvent Miou-Miou, consentante, demandeuse, le trio amoureux érotique s’installe. Face à la frigidité de la belle, Depardieu interroge : « J’te fais pas mal ? Non, j’te demande ça car d’habitude, y’en a qui suffoquent« . « Excuse-nous Marie Ange, on est pas très fleurs bleus, tu prends jamais ton pied ? ». La scène du train a quand même tout changé… Pour assouvir leur folie sexuelle, ils font la sortie de la prison. Jeanne Moreau, en sort tout juste. Pas d’argent, pas de vêtements, pas d’adresse où aller. Depardieu brandit ses billets, son flingue, son sexe, c’est un gosse. Le problème c’est que le pognon l’arme et le phallus sont des vrais, ceux d’un adulte. Cette fois ci, Jeanne Moreau, ils vont la traiter comme une reine, des fringues et un grand restaurant de bord de mer pour le premier jour de liberté depuis 10 ans. Solidarité de taulards. Moreau est bouleversante dans son envie de vivre à nouveau, mais pas longtemps. Sa présence aura d’ailleurs rassuré les producteurs, qui avaient sans doute de quoi être inquiets par nombre d’autres choses !! Quelques péripéties plus tard, entre sexe, vols, déniaisement orgasmique de Miou-Miou, le duo maléfique réussira plus ou moins à se calmer. On croisera l’air de rien dans des rôles de drôles de figurants les copains Jugnot et Lhermitte, tout jeunots, et ça c’est quand même rigolo. Et puis il y a Isabelle Huppert, dans le rôle de… Jacqueline, jeunette en t-shirt Mickey mais avec la voix qu’on lui connaît. « Mais on s’en fouuuuu de ta DS« , dit-elle à son père. Elle complètera par « Ingénieur de mon cul« . A sa demande, ils l’embarquent. On part toujours avec Isabelle Huppert de toute façon. Corps d’ado, voix d’adulte, lunaire, Huppert…. Evidemment, dans cette ode libertaire, ça baisera à nouveau, cette fois ci au moins, tout le monde est d’accord. La mise en scène avec ces petites musiques jazzy toute doucerettes de Stéphane Grappelli viennent tout en contraste de la violence notamment morale qui se joue en quasi permanence à l’écran. Les différents plans permettent notamment à Depardieu et Dewaere de sublimer leur art, et c’est un régal. Le trio continue « Et maintenant où on va ? » demande Dewaere. Réponse culte de la bête Depardiesque du cinéma Français : « On n’est pas bien ? paisibles, à la fraîche, décontractés du gland, et on bandera quand on aura envie de bander« . Tout est dit. Fermer le ban, c’est le cas de le dire. Blier voulait des acteurs quasi inconnus pour son trio, et ce fut le cas à l’époque de Depardieu, Dewaere et Miou-Miou, qui vont accéder tous trois à la notoriété que l’on sait maintenant par ce film patrimoine. Depardieu fait plus que du Depardieu ici… Il est sans doute comme sublimé par la présence de son acolyte. La complémentarité sera totale. Ici, Gérard ne joue pas vraiment. Il est ce voyou bestial mais cérébral, cette brute insupportable mais au verbe parfois délicat. Il aura insisté énormément auprès de Blier pour en être. Bien lui en a pris, tant ce rôle sera déterminant pour la suite. Sa performance hors norme dans Les Valseuses sera à la hauteur du scandale provoqué par la sortie du film.
Miou-Miou est incroyable entre les deux, au propre comme au figuré. Le caractère ingénu de sa recherche de plaisir, l’affection amoureuse qu’elle porte aux deux affreux, sa candeur émotionnelle qui vient comme en réponse à la brutalité des deux autres… Elle irradie, et elle aussi, par ce film, va s’ouvrir au monde. Et puis, il y a Dewaere…. Le Laurel du Hardy… qui lui aussi donc va se révéler à la terre entière. La beauté christique certes, mais bien au-delà, la finesse du trait, la flamboyance du jeu, teintée pourtant d’une sensibilité que l’on devine déjà à vif. Il aura été en balance avec Coluche pour le rôle, mais les essais avec Depardieu et Miou-Miou ont fait la différence. Blier disait de lui : « Il ressemblait à Marcello Mastroianni, mon idole. Il me touchait beaucoup, Patrick. Il avait du malheur en lui ». Le bordel sur le plateau était total. Un tournage prolongé de deux semaines, Entre Depardieu, aussi fou à l’écran qu’en dehors, qui avec Dewaere étaient capable de n’importe quoi. Sans compter l’histoire passionnelle entre lui et Miou-Miou… Les portes claquaient, tout le monde gueulait et riait fort. C’est une époque, le cinéma en parle tellement bien, et ce film-là mieux encore.
*1 Le Point.
Titre Original: LES VALSEUSES
Réalisé par: Bertrand Blier
Casting: Gérard Depardieu, Patrick Dewaere, Miou-Miou…
Genre: Comédie, Drame, Erotique
Sortie le: 20 Mars 1974
Distribué par: A.M.L.F
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma