Critiques Cinéma

LE JUGE FAYARD DIT LE SHERIFF (Critique)

SYNOPSIS: Un jeune juge d’instruction aux méthodes peu orthodoxes est chargé d’élucider une affaire de hold-up. Il est convaincu que l’un des suspects, ancien commissaire, bénéficie de protections au plus haut niveau. Mais celui-ci est assassiné avant que le juge ne soit parvenu à réunir des preuves à son encontre. Peu soutenu par sa hiérarchie, le magistrat est décidé à mener à bien son enquête.

Le Juge Fayard dit Le Shériff s’inspire directement de l’affaire non élucidé du meurtre du juge François Renaud le 03 Juillet 1975 à Lyon. Ici, le réalisateur Yves Boisset, pour son dixième long-métrage s’attaque entre autres au SAC (Service d’Action Civique). Le cinéma au service de l’engagement ne plaît pas toujours, et c’est pourtant un thème de prédilection de Boisset. Un certain Charles Pasqua, que les plus jeunes d’entre vous ne connaissent peut-être pas, avant sa carrière ministérielle, et secrétaire général dudit SAC au moment du film tentera de contraindre Boisset judiciairement de toute mention à cette organisation dans Le juge Fayard. A sa sortie en salles, le mot SAC sera remplacé par des « BIP ». L’art et la censure… Le public présent dans les salles à chaque «  BIIIIIIIPPPPPP  » scandera «  LE SAC !! LE SAC !!  » « Allez, allez, la justice n’attend pas Pichon » Parfois, pas toujours, les premiers mots d’un film en disent beaucoup. Ici, tout de suite le juge Fayard donne le ton. « Il s’agit d’un chef d’entreprise, pas d’un parrain de la mafia  » ; « Écoutez Fayard, ne faites pas semblant de ne pas comprendre«  ; « J’espère que vous avez un dossier bien fourni  ». Le procureur (Jean Bouise) plaide pour les petits accommodements… Décidément Jean Bouise… en président de club de l’AS Trincamp qui voulait couvrir un potentiel violeur dans Coup de Tête (1979) préfère toujours le pouvoir à la vérité. En tout cas, s’il excelle dans les rôles en général, il se sublime dans les rôles de salaud du quotidien. «  Ça va Pichon  » ? demande Fayard à son assistante avant de démarrer en trombe la 4 L. Le petit juge ferait presque penser au petit lieutenant à la Peugeot 403 Cabriolet 1959, un certain…. Columbo, qui ont en commun, la quête ordinaire et humaniste de la plus grande des justices universelles.



«  Chez nous c’est comme chez vous, y’a beaucoup de mauvaises habitudes, faut balayer » dit le flic (Philippe Léotard) au juge. Réponse de celui-ci : «  Et bien Balayez, Balayez « . C’est un régal d’émotions, un plaisir de cinéma, de voir Léotard et Dewaere en intense proximité, ces deux écorchés vifs, qui partagent un regard profond jeté vers l’horizon, mais aussi comme l’ancrage d’une souffrance indélébile qui ronge de l’intérieur. Boisset humanise son héros redresseur de torts, en montrant le petit juge dans la banalité de son quotidien, qui porte du linge, gère son déménagement, doit accepter UBU, le lapin de sa compagne (Aurore Clément) dans son nouveau logement. C’est aussi la patte Boisset, qui au cœur d’un film hautement policier, glisse à merveille les us journaliers de ses héros triomphants. L’intimidation du petit juge va monter en puissance, et dans un premier temps, c’est UBU qui va prendre… Âmes animalières sensibles s’abstenir… A travers UBU, cette reprise du personnage d’Alfred Jarry, le symbolisme est total, il s’agit d’évoquer la folie du pouvoir notamment politique, et au-delà du massacre du petit lapin innocent, c’est tout un questionnement sur l’indépendance de la justice que soulève ici magistralement Boisset.



« Cette fois, on va monter très haut« . dit Léotard a son commissaire. Réponse de ce dernier : « Faites attention où vous mettez les pieds. Si vous faites une boulette, moi je ne vous connais plus ». Sans poujadisme aucun, car nous sommes bien sûr dans le domaine de la fiction (…) On pensera ici entre autres à Bac Nord (2020) avec des lampistes sur le terrain qui vont au front, une hiérarchie frileuse et craintive, au service d’un pouvoir davantage obnubilé par les échéances électorales à venir, peu importe le prix. Les époques, les costumes, les mots changent, mais en fait rien ne change. La mise en scène est au service des acteurs, elle les met en lumière et dans une alternance habile entre une légèreté, ce qui relève de l’anodin et l’avancée de l’intrigue, il n’existe pas dans Le Juge Fayard de temps mort, sans que le rythme ne soit pour autant trop haletant et suffocant. On est bercés, accompagnés et c’est très plaisant. La musique du génial Philippe Sarde, à qui le cinéma doit tant, existe dans le même registre, une parfaite accompagnatrice. Enfin, le Procureur Bouise : « Fayard, nous rendons la justice, péniblement, douloureusement. Jour après jour nous colmatons quelques brèches, mais nous ne pouvons pas transformer l’humanité  ». Fayard : « On peut toujours essayer ».



Tout est dit, tout est là. Dewaere merveilleusement sublime en insoumis notoire, en forte tête, nuque raide, vent debout contre l’institution, contre un système bureaucratique totalitaire écrasant. On est presque chez Kafka et Welles. « Ce jour-là, j’ai compris qu’il ne jouait pas, mais qu’il vivait la scène et je me suis dit, mon Dieu, il est en danger ! » pourra dire Boisset de son acteur, qui de surcroît sur le tournage trainait sa peine d’une douloureuse rupture avec Miou-Miou. C’était ça Dewaere, comme d’autres Delon, Gabin ou Belmondo, ce formidable sentiment de vie, de vrai, qui émane de chaque apparition. Des performances qui magnifient les films. Mais Boisset s’était ensuite promis de ne proposer à Dewaere que des rôles moins torturés, pour éviter des formes de confusion, comme l’acteur avait pu aussi en connaître dans Série noire (1979). Ça sera le cas avec La clé sur la porte (1978) ou Le prix du danger (1983), que malheureusement, Dewaere ne tournera finalement jamais pour la tragique raison que l’on sait… Et Léotard, c’est pas rien non plus. Ce grand brulé du cœur est également d’une puissante d’authenticité à chaque scène. Son duo avec Dewaere est saisissant d’acuité, ils sont prenants et bouleversants. Boisset a trouvé avec l’icône Dewaere, un flamboyant chevalier blanc héroïque face à un monde qui s’écroule, métaphoriquement représenté par la dernière image du film, avec en surimpression écrit bien en rouge : « Toutes histoires vécues ou toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé ne seraient que pure coïncidence  ». Fin du Juge Fayard, c’est plus qu’un film, c’est malheureusement la vie.


 

 

Titre Original: LE JUGE FAYARD DIT LE SHERIFF

Réalisé par: Yves Boisset

Casting: Patrick Dewaere, Aurore Clément, Philippe Léotard…

Genre: Policier

Sortie le: 12 Janvier 1977

Distribué par: Jupiter Films

EXCELLENT

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