Critiques Cinéma

LES NUITS DE MASHHAD (Critique)

SYNOPSIS: Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées. 

4 ans après le joli succès populaire et critique de son Border et juste avant de s’occuper de la mise en scène de l’adaptation sérielle de The Last of Us pour HBO, le réalisateur Ali Abbasi est de retour dans une fresque policière et journalistique dans les rues noires de son pays natal, où il n’a pourtant jamais tourné. C’est en Jordanie que l’équipe des Nuits de Mashhad a posé ses caméras et dressé ses décors pour reconstituer la troisième ville iranienne, considérée comme l’un des lieux les plus saints du monde. Abassi n’est ici pas en pèlerinage, tout l’inverse. Dans un thriller violent et sans concessions, le metteur en scène revient sur la terrible série de meurtres de 2001 par le prisme d’une journaliste venue enquêter sur l’affaire. Les Nuits de Mashhad suit donc Rahimi, une journaliste de Téhéran suivant de près les crimes d’un tueur en série surnommé ‘ L’Araignée de Mashhad ’ qui donnera le titre original du film (Holy Spider, un titre riche en symboles). La nuit, il attire des prostituées pour les assassiner avant d’appeler un journaliste local pour faire connaître ses revendications. S’ensuit une quête de justice mouvementée et pleine d’imprévus à travers les nuits noires de la ville. Dans un récit découpé façon toile d’araignée, Ali Abbasi propose une œuvre lourde et viscérale qui convoque les codes du thriller – notamment américain – pour porter sur écran un fait-divers horriblement réel. En adaptant cette histoire, le metteur en scène pointe un miroir sur la société iranienne, aveuglée par la place pachydermique que prend la religion dans le débat public et par la misogynie symptomatique et meurtrière qui permet à un bon nombre d’iraniens d’excuser – voire même d’élever au rang de héros – un homme qui s’est donné pour mission de se débarrasser de la débauche. Car même si découpé entre deux points de vue (Rahimi qui se lance sur la piste du tueur, et le tueur en question dans sa vie quotidienne), Les Nuits de Mashhad porte son propos sur la façon dont l’Iran perçoit les évènements, permettant d’épingler de façon brutale la politique violente du pays. Rien d’étonnant donc dans le fait que l’Iran ait vivement critiqué la sélection du film à Cannes.

Ali Abbasi signe alors un film d’une impeccable justesse de ton, oscillant entre film noir lugubre et thriller macabre dont les racines Fincheriennes sautent aux yeux. Mais L’Araignée de Mashhad n’est pas le tueur du Zodiac. Il est bien moins mystérieux, le rendant alors complètement plus terrifiant. Par un mécanisme narratif très efficace, Les Nuits de Mashhad explore la fragilité et la violence inouïe de ce père de famille aux airs de monsieur-tout-le-monde qui décide subitement de supprimer au nom de Dieu les prostituées qui parasitent son monde. Dans une dissonance de points de vue qui donne lieu à des scènes surréalistes tout au fil de l’intrigue (la police qui reste inactive ou le débat public qui se penche du côté du meurtrier), le film parvient alors à dresser un portrait épais de l’affaire dans une atmosphère pesante où la mort guette, tapie dans l’ombre des rues mal éclairées de Mashhad.

Mais la réussite principale du film est probablement son casting, sa comédienne principale Zar Amir Ebrahimi ayant remporté au dernier Festival de Cannes le Prix d’Interprétation Féminine. La comédienne, réfugiée en France après la divulgation sur Internet de vidéos privées qui lui ont valu de graves ennuis judiciaires et professionnels, se retrouve donc dans un rôle de composition à la résonance toute particulière. Elle est superbe en journaliste déterminée à retrouver la piste du tueur malgré les barrages qui sont mis sur sa route tout du long. Un Prix plein de symboles, donc. Elle est accompagnée par Mahdi Bajestani qui campe l’autre face de la pièce, à savoir l’Araignée de Mashhad au visage presque trop commun. Implacable et glaçant, le comédien campe l’un des deux piliers centraux du propos du film, à savoir sa violence injustifiable motivée par la Religion.

Dans une proposition embuée et vertigineuse à travers les nuits de la ville sainte de Mashhad, Ali Abbasi explore les parts d’ombre de la société iranienne traversée par la politique religieuse dévorante et la misogynie symptomatique. Par le portrait de sa journaliste centrale qui incarne une figure de femme déterminée et forte qui passe outre les autorités pour tenter de rétablir la justice, Les Nuits de Mashhad signe une tribune violente et sans concessions contre la politique iranienne et contre ses démons intérieurs. Dans un film qui dépasse presque le cadre du cinéma, le long-métrage entoile parfois son rythme par une structure très découpée, mais parvient habilement et naturellement à filmer la violence froide des actes dépeints tout en scrutant sous tous ses aspects les plus sordides les mécanismes qui rendent cette histoire si singulière. Il y avait déjà dans cette affaire de quoi faire un film saisissant, et c’est désormais chose faite.

Titre Original:  HOLY SPIDER

Réalisé par: Ali Abbasi

Casting : Ariane Naziri, Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi…

Genre: Thriller, Policier, Drame

Date de sortie : 13 Juillet 2022

Distribué par: Metropolitan FilmExport

TRÈS BIEN

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