Analyse

ALAIN DELON : L’homme dans la vie, le héros à l’écran…

« Tout ce que j’ai fais au cinéma, je l’ai vécu« .



Cette affirmation d’Alain Delon résumé sa carrière, sa vie. Celle-ci toute entière tournée vers le cinéma. Un cinéma qui aura tenté de réparer une profonde blessure. Celle du manque. Et comme nombre de profondes, indélébiles et inconsolables fêlures, c’est à l’enfance qu’elles se creusent. Le petit Alain a 4 ans quand ses parents se séparent. C’est encore lui en 2018 qui en parle le mieux : « Je vis avec une mère et un beau-père, et avec un père et une belle-mère. Je suis un gêneur, l’enfant de trop, le gosse entre deux couples, qui emmerde tout le monde. Enfant de l’amour, mais de l’amour qui explose  ».

Psychanalyse de comptoir qui laisserait à penser qu’à force de n’être l’enfant de personne, la rage ancrée, chevillée au corps, il aura tout fait pour aux yeux du monde devenir quelqu’un. Une détermination en acier qui va bien lui servir une certaine nuit de Juillet 1959, nous allons y revenir dans un instant. Alain est placé en nourrice à Fresnes. Le mari de celle-ci est gardien de prison. Delon assiste le 15 Octobre 1945 à la mort de Laval (Président du Conseil sous Pétain). Image qui reste, forcément. Il travaille comme charcutier à 16-17 ans. Envie d’ailleurs, de loin. Un moyen simple, l’armée, l’Indochine. Viré en 1956, le cinéma va s’offrir à lui comme par effraction : « Je n’ai jamais joué. Un acteur est un accident. Je suis un accident, ma vie est un accident. Ma carrière est un accident« .

Enfant de personne, ancien commis charcutier, ancien soldat : « Je tombe dans ce métier grâce à des femmes. Ce sont elles qui me font faire du cinéma ». Sa furieuse beauté fais des envieuses. Il traîne avec des voyous, et s’apprête à devenir maquereau. Par différents jeux de rencontres féminines, il noue un lien avec le cinéaste, Yves Allegret. C’est parti. Pas de formation, Delon dit qu’il n’est pas comédien, ceux-là jouent. Lui est acteur, car lui, il vit.

Avant de connaître avec Plein soleil (1960) le début d’un succès, qui sera à minima planétaire…. Alain Delon, du haut de ses 23 ans n’existe pas réellement encore dans le monde du cinéma Français, si ce n’est une « belle gueule » déjà repérée dans les premiers films où il est apparu : Quand la femme s’en mêle (1957), Sois belle et tais-toi (1958), où il côtoiera un certain Jean-Paul Belmondo, Christine (1958), Faibles femmes  (1958), Le chemin des écoliers (1959).

Une belle gueule, mais une première cicatrice, visible celle-là… Sous le menton, blessure de guerre survenue sur le tournage de Sois belle et tais-toi  avec une 4 chevaux qui fera 5 tonneaux. A 23 ans, sur le tournage de Christine, il rencontre Romy Schneider. Elle sera là quand il va côtoyer Visconti, Clément. Une des plus belles époques rétrospectivement. Le couple est glamour, le moment est fou. L’idylle durera 4 ans, mais déjà, Alain n’est pas jovial, il est de nature taciturne et sombre, comme dans la quête d’un impossible, on y reviendra…

La nuit du 07 Juillet 1959 est une de celle qui fait basculer un destin. Sûr qu’Alain s’en rappelle car c’est celle qui a scellé le sort de Delon. En effet, il rencontre René Clément, son « Maître absolu », comme il dit. Le réalisateur qui va le mettre en Plein Soleil et les producteurs du film, Robert et Raymond Hakim. Il doit jouer le second rôle, celui de Philippe Greenlaf, jeune bourgeois, qui fera face à Tom Ripley, désargenté, complexe et assassin, rôle-titre et passionnant pourvu à Jacques Charrier, qui lui est en train d’émerger, et qui en sus, vient d’épouser une certaine Brigitte Bardot.



Mais Delon veut Ripley. Ripley c’est lui. Ça sera Ripley ou rien. Un bras de fer nocturne s’engage. Il passe pour un petit con prétentieux qui ferait déjà mieux de remercier à genoux ne serait-ce que d’être là… Il ne lâche rien… Une poignée d’hommes qui jouent de leur virilité mal placée… Mais La décision, c’est une femme qui la détient, celle de René Clément, Bella, qui en quelques phrases va convaincre son réalisateur de mari que Ripley, c’est Delon. Voilà comment commence une carrière. Un pneu crevé, et c’est le vertige. Demandez à Don (Gene Kelly) dans Chantons sous la pluie (1953) ce qu’il en pense. Le film sortira le 10 Mars 1960, succès attendu qui se profile avec 2,4 millions d’entrées. Une star est née, mais surtout, le monde va découvrir ce magnétisme fou, cette sensualité animale, cette beauté d’apollon et ce talent d’un acteur qui ne joue pas, mais qui déjà est.


Comme Luchino Visconti fait parti du monde, ça tombe plutôt bien car la fascination du cinéaste italien, peut-être, sans doute, sûrement, le plus grand réalisateur de son époque va tomber en amour de l’ancien commis charcutier… Un amour vache, car notamment les quelques tumultes du tournage du Guépard  (1963) viendra sceller leur éphémère et glorieuse collaboration. Delon, de près ou de loin, s’échappe, s’évade, s’envole et du petit boxeur timide mais déjà lumineux de Rocco et ses frères (1960), à l’ambitieux cynique du Guépard, Delon est déjà un peu sur le toit du monde. C’est d’ailleurs peu après à cette époque, après avoir tourné L’Eclipse (1962), de Michelangelo Antonioni et Mélodie en sous-sol  (1963) d’Henri Verneuil, qu’il rencontre son idole de toujours, Jean Gabin, qui comme lui, vit et ne joue pas. « Les gens disent que je suis le même dans la vie et dans mes films, et c’est pour ça qu’ils m’aiment« , disait Jean. Ils ont tous deux cette vérité en partage. L’homme dans la vie, le héros à l’écran. Delon acteur qui commence à s’exercer à la production, débute l’entretien du mythe de celui qui parle de lui…. à la troisième personne. Ce truisme singulier, souvent caricaturé, il s’en expliquait en disant qu’il parlait de lui comme il pourrait parler de n’importe qui. Ce besoin traumatique d’être si aimé, lui l’enfant de l’abandon, de se dédoubler, cette forme de schizophrénie entretenu par les doubles personnages de Plein soleil , Monsieur Klein  (1976) sont peut-être autant d’explications… Il rencontrera Jean-Pierre Melville et jouera dans Le Samouraï en 1963, retrouvera Romy avec La piscine en 1969, et ce que tout le monde attendait à l’époque, il donna la réplique à Belmondo dans Borsalino en 1970. Jusqu’à Monsieur Klein, en 1976 il est impossible de citer l’ensemble des chefs-d’œuvre dans lequel, l’homme aux 89 films et aux 62 ans de carrière a trainé ses yeux bleus perçants à tomber, c’est une trajectoire inédite et somptueuse. Mireille Darc, avec qui il vécut pendant 15 ans (de 1968 à 1983) pouvait dire que sur 24 heures, elle vivait 23h30 pour lui… Elle l’aura follement aimé. Il avait besoin au moins de tout cet amour. C’est peut-être et surtout ça aussi Alain Delon, presque comme la peur permanente et ancrée que l’abandon se rejoue, la blessure de la solitude. Il fait partie de ceux qui ne lâchent pas prise, il est tout le temps en force, et toujours inquiet, si ça va trop bien, ce n’est pas normal. Il en devient insatiable, toujours plus loin et plus fort, mais toujours entier. Bien plus tard, chez Bernard Pivot, il dira que s’il devait rencontrer Dieu, il aimerait entendre : « Comme je sais que c’est ton plus grand regret, viens, je t’emmène à ton père et mère, afin qu’enfin tu les vois ensemble ». Bouleversantes blessures de l’enfance, finalement comme toujours et pour tout le monde. C’est avec Notre histoire de Bertrand Blier en 1984 qu’Alain Delon aura sa seule grande récompense individuelle, son seul César, ce qui paraît fou vu d’ici avec ce qu’il a déjà déployé. Il y campera dans un film lunaire, avec une authenticité à couper au couteau, un homme désespéré d’amour, rempli de bières et de drames. Il y fut comme toujours, et peut-être ici en particulier saisissant de vérité. Instinctif, jamais pris de cours, une aura constante, Delon, c’est « une photogénie inexpliquée » dit Patrice Leconte. Une réputation égotique, comme dans une représentation permanente, il se paye les critiques : «  Il restera quoi de Madame et Monsieur X ? Dans l’histoire du cinéma, il ne restera rien des grouillots là, il restera les Delon, les Visconti, les Belmondo, les Depardieu.« 



On retiendra aussi cette scène désopilante d’autodérision dans Astérix et les jeux olympiques (2008) dans le rôle de César, avec ce fameux « Avé moi » dans un auto-hommage particulièrement hilarant. Comme si Alain avait toujours eu conscience de l’emprisonnement dans son image de Delon. « Je fais très bien trois choses : mon métier, les conneries et les enfants« . Ensuite, Delon, ce fut une complexité, une forme d’aigreur parfois, des choix personnels contestables par moment, mais toujours sincères. Il n’a pas peur de déplaire et n’impose rien à personne. Il dit ce qu’il pense, il est ce qu’il dit. Mais toujours finalement cette extrême sensibilité, preuve au festival de Cannes en 2019, où il recevra une palme d’honneur, venant ainsi réparer 43 ans après, ce que Delon avait vécu comme tellement injuste à l’époque de Monsieur Klein, reparti sans trophée. Dans cette confession publique bouleversante et inoubliable, il dira : «  Pour moi, plus d’une fin de carrière, c’est un peu comme une fin de vie« . Toujours le cinéma et la vie. « Vous me faites un hommage posthume de mon vivant !!« . Clément, Visconti, Melville, Losey sont ceux qu’il estime comme de grands metteurs en scènes. Mars 1998 : « Je crois que je n’ai plus rien à dire au cinéma ». Il ajoutera plus confidentiellement qu’il n’y a plus de cinéma, plus de metteur en scène, plus de talents. Il boude un peu… Il sera Inconsolable de la mort de Romy Schneider, forcément. Nostalgique, vivant un peu dans le passé avec ses fantômes, les femmes de sa vie, Mireille, Nathalie, Romy. Ses amis sont partis. Ses metteurs en scène chéris aussi. Lassé, fatigué, il vit dans une magnifique maison type Californienne, avec de nombreuses photos des gloires passés. « Après 60 ans, C’est très difficile d’être là et demander qu’on vous aime encore  » Tellement juste, tellement lui.

Alain Delon
Acteur
Collection Christophel



Comme l’a si justement dit sa fille, Anouchka Delon, « Si tu as eu la chance d’avoir le cinéma dans ta vie, le cinéma a eu la chance de t’avoir« . Tout est là, car si un peu avant, sa fille lui disait qu’il a eu cette chance d’être beau, de tant devoir aux femmes, un peu comme tout le monde finalement, si Delon a marqué le cinéma Français et international, c’est par ce caractère si vrai d’un jeu d’acteur, qui fait école, si pur et puissant, qui hypnotise et qui rend le cinéma encore plus beau encore. Un homme qui sublime son art, là est la vraie beauté. Et dans ce parcours, cette trajectoire insensée, l’universalité du message qu’il nous livre, il faut vivre et aimer fort, car tout va très vite, beaucoup trop vite. Et pour finir ces quelques lignes, autant emprunter les mots d’un autre, forts, clairs, qui disent tout, François Morel, qui aiment tant les acteurs et sait les émouvoir aux larmes, et nous avec, dit de Delon : «  Et tandis que le fantôme d’Alain Delon recevra sa palme, Alain Delon sur la Croisette s’éloignera en regardant la mer. Il pensera à ses amis disparus, à ses amours mortes. Une vieille larme de vieil acteur coulera sur sa vieille joue ridée. Il pensera à Romy, il pensera à Mireille. Il pensera à Visconti et à René Clément. A Jean-Pierre Melville et à Joseph Losey. Alain Delon, impeccable, affrontant l’océan, portera beau la mélancolie des disparus. »



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