SYNOPSIS: Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…
François Ozon, le prolifique, avec un film tous les deux ans, voire un par année, 20 ans après sa première reprise de Fassbinder avec Goutte d’eau sur pierres brûlantes (2000), qui l’avait révélé au cinéma, récidive ici avec une adaptation très personnelle Des Larmes amères de Petra Van Kant, à l’origine pièce de théâtre de Fassbinder que lui-même a adapté pour le cinéma en 1972. Avec cette version de Ozon 2022, c’est une quasi triple mise en abyme, expression qui va prendre tout son sens au regard de ce que va vivre durant le film Petra, qui est devenu Peter (Denis Ménochet)…. Un Peter qui va étrangement ressembler à… Fassbinder lui-même (une quadruple mise en abyme !!), ce qui est un hommage dans l’hommage de Ozon à Fassbinder, et vient démontrer toute l’admiration et même de son propre aveu la fascination qu’il lui porte. « Pour moi, c’est comme un rêve d’être là, 50 ans après Fassbinder… » avait dit Ozon, lors de la première mondiale du film à la Berlinale 2022. Nous sommes ici dans un huis-clos, qui nous parle de la vie d’un cinéaste, qui est en quelque sorte en représentation permanente. Dans le moment, les déclarations d’amour au cinéma des réalisateurs se multiplient, on pensera sur 2022 aux déjà emblématiques Coupez de Michel Hazanavicius et la série Irma Vep d’Olivier Assayas. Ce qui émerge d’un point de vue plus formel dans Peter Von Kant est l’amour connu de Ozon pour les couleurs… Pas une image sans au moins un plan même secondaire d’une couleur pétante. Que cet usage soit au premier plan, comme quasi subliminal, elle s’installe l’air de rien dans l’esprit du spectateur et illumine notre « neurone fantaisie » avec délectation. Manu Dacosse comme chef opérateur et Katia Wyszkop comme décoratrice ici nous régalent.
Le son est tout aussi primordial, avec notamment ce bruit de machine à écrire quasi permanent, qui vient appuyer les innombrables drames vécus par Peter. C’est souvent son assistant Karl (Stefan Crepon) qui tape. Il tape mais il se tait, car c’est aussi le son de son silence tout au long du film, dans un rôle façon Bernardo de Zorro, dans une forme d’apogée délirante de la dévotion absolue, somme toute assez bouleversante, on y reviendra… C’est en tous les cas ici, y compris dans sa sacralisation du détail, tout le charme et le génie du metteur en scène Ozon qui s’exprime. A travers les outrances de Peter et au-delà de son génie créatif et du paroxysme de sa sensibilité, on retrouve ici de façon très induite, et peut-être insuffisamment déployée d’ailleurs, toute la verve antisystème de Fassbinder, lui qui, en marge des mœurs normées de l’époque, adorait attaquer les bonnes consciences morales de son pays. C’est aussi et surtout dépliée la folie d’un amour passionnel et irrationnel, forcément sans issue, entre Peter et Amir (Khalil Ben Gharbia). Dans sa façon théâtralisée d’aimer, Peter, en mode complètement drama, est autant déchirant de sincérité brute et immédiate que pathétique dans l’expression d’une souffrance démesurée. Il est fou d’amour, fou d’Amir, comme un petit garçon capricieux et colérique à l’immaturité psychotique ou du moins bien maladive. Le syndrome du génie / enfant.
Forcément, dans un huis-clos, l’importance du jeu. D’autant plus dans cette histoire de cinéaste total. Et c’est ici une des grandes forces du film, le jeu. D’abord, celui du Maître Denis Ménochet. Incandescent, brûlant, brillant Ménochet, jamais caricatural dans ce rôle psychodramatique aux multiples facettes du génie créatif. Ozon parle pour son acteur dans ce rôle « d’une mélancolie rageuse« . Il réussit à faire passer toutes les émotions, il est majestueux, merveilleux, inoubliable et hautement Césarisable. « Jeder tötet, was er liebt« , autrement dit « Chacun tue ce qu’il aime« , reprise par une Isabelle Adjani, jouant l’insupportable diva Sidonie, là aussi dans une folle auto-dérision. On aura deviné qu’elle Joue ici à caricaturer Ingrid Caven, et elle le fait dans un style tout Adjanien, et c’est un tel plaisir de la retrouver si inspirée sur grand écran.
Il y a Khalil Ben Gharbia qui interprète un Amir félin d’amour et de sensualité. Sa force répond à celle de Ménochet, et rien que ça… Et puis, subjectivement, forcément, il y a comme une révélation dans ce film… Celle de Stefan Crepon. Dans un rôle de Karl, sans paroles, et dans un lien masochiste avec le Maître Peter, Stefan Crepon est d’une grâce folle, d’une élégance comme rarement vue depuis longtemps. Il avait déjà tant laissé entrevoir dans le rôle de César, alias Pacemaker dans l’anthologique Bureau des légendes (2015/2020). On ne demande qu’à le revoir, vite et souvent. Peter Von Kant dans le radicalisme du huis-clos permet d’entrer de plein pied dans une folie amoureuse, mais aussi dans la faille narcissique de l’amoureux éperdu, sorte de huis clos là aussi, mais dans l’esprit bien tourmenté de Peter. Et c’est ici un hommage très puissant d’un cinéaste à un autre, et surtout, c’est un film de cinéma fort, puissant, à voir dès que possible, c’est-à-dire en ce moment.
Titre Original: PETER VON KANT
Réalisé par: François Ozon
Casting: Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Gharbiaa…
Genre: Comédie dramatique, Drame, Comédie
Sortie le: 06 Juillet 2022
Distribué par: Diaphana Distribution
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma