SYNOPSIS: Abordé dans un train par une jeune femme en quête d’une aventure, un garagiste alcoolique s’installe dans la vie de celle-ci contre son gré.
Bertrand Blier, l’homme aux 60 ans de carrière, tellement imaginatif, subversif, génie du cinéma Français, propre scénariste de tous ses films, Les valseuses (1974), Buffet froid (1979), Tenue de soirée (1986), Trop belle pour toi (1989)… aura finalement été le cinéaste qui offrira avec Notre histoire le seul César de la carrière d’Alain Delon. Notre histoire, c’est très cash, direct. L’apparition de Donatienne (Nathalie Baye) est à la fois lunaire car elle réveille Robert Avranche (Alain Delon), garagiste qui enquille les bières, avec toutes ses économies dans sa valise et doit encore se croire dans un rêve, mais également solaire car elle prend tout l’espace. Sa proposition à Robert n’est même pas indécente. Elle a juste envie de lui. Lui ne peut refuser. « T’es peut-être l’impératrice des salopes, mais moi j’trouve que t’as un visage d’ange ». Robert va s’accrocher. Une bière toujours à la main, il joue les Roméo de service, mais les amoureux shakespeariens ont un peu morflé quand même, car ça parle » baise » ça picole des bières, ça sort des biftons. Ils parlent d’une « histoire d’amour ferroviaire« , mais ce n’est pas non plus Compartiment n°6 (2021), tellement dans un premier temps, le romantisme est absent, c’est même son contre modèle. En effet, Robert veut un frigo avec toujours des bières, des pâtes le dimanche et pouvoir baiser de temps en temps. »Je te demande de m’aider à foutre ma vie en l’air » lui demande-t-il. Elle acceptera au début, en se servant allégrement de son fric. Donatienne croisera des drôles de loulous. Dans une voiture aux couleurs de celle de Starsky et Hutch estampillé « Convoi d’anges heureux ». On y trouvera rien de moins que Vincent Lindon (troisième rôle au cinéma), Gérard Darmon ou encore Bernard Farcy. Ça parle tout seul, pour nous raconter l’histoire à voix haute. Delon est survolté d’émotions les quelques fois où il est à jeun et complètement prostré quand il est imbibé de bières, c’est-à-dire à peu près tout le temps. Il se dit amoureux de Donatienne et de sa tristesse, une musique en sourdine est à peu près omniprésente tout le film. Celui-ci qui s’avère assez délirant, fiévreux, parsemé de bizarreries, au scénario étrange, mais avec un manifeste pouvoir de captation couronné par un César en 1985, tant l’écriture est littéraire, les plans caméras très étonnants, l’interprétation folle. L’histoire très hachée, le récit truffé d’incohérences, à l’image des outrances caractérielles de Donatienne, personnage multiple, émouvant, collectionneuse d’hommes de wagons.
« Dans l’intérêt général, il vaudrait mieux que j’aille prendre l’air« . Pépite de dialogues. Vl’a même Jean-Pierre Darroussin maintenant (tout chevelu, on est en 1984). Il n’empêche que même dans une pièce remplie, Robert/Delon occupe tout l’espace, c’est une présence, un charisme, une folie. Hypnotisé par le moindre mouvement de Donatienne, il joue les parasites selon elle. « T’as le droit de baiser ma femme, mais t’as pas le droit de t’asseoir dans mon fauteuil, y’a quand même un minimum de choses à respecter dans cette maison« . On est tout près de Michel Audiard. Galabru maintenant en voisin qui propose des bières, s’invite à la fête. Le cercle de personnages aussi délirant s’agrandit autour de Duval, une foule, une horde, tout le monde aime Donatienne. On ne comprend pas tout, mais sans adorer, on adhère. Après Audiard, on est un peu chez Lelouch maintenant. La mise en scène est hautement inventive, et par moment complétement surréaliste à l’image d’une baston baroque entre Duval (Darmon) et Robert, où Galabru encourage à la destruction de son propre salon. Même s’il s’en fout car ce sont les meubles de sa femme. Il poussera même Robert à coucher avec elle pour la consoler de la destruction de son living… Tant que Robert a ses bières il est heureux, et autour de lui, tout le monde semble vouloir l’encourager à abandonner sa vie d’avant car on apprend quand même qu’il a femme et enfants. Les jeux avec le cadre, les miroirs, les contre-champs, les arrières plans détonants, la caméra étonnante qui se balade dans des foules qui silencieusement s’agrandissent au fil des aventures de Robert et de ses femmes.
Quand Robert veut remettre le couvert avec la femme de Galabru, celui-ci : « Vous n’allez pas recommencer, y’a des limites à l’hospitalité » . Évidemment, l’ensemble est assez jubilatoire, mais sur la durée, l’accumulation d’étrangetés, la folie d’un cinéaste est un poil éreintante. On est très souvent au bord de décrocher, mais Blier use sans arrêt d’habiletés irrévérencieuses dans des micros- rebondissements, pour nous permettre de rester vivant face à son œuvre désarticulée et désarçonnante. Jean Réno passe par là pour nous dire « Je me glisse dans le lit conjugal… Et à la place de ma femme… La voisine, le rêve quoi ». Hilarité de la foule (qui grossit encore) amoureuse de Donatienne, et franchement, c’est pas bien, mais nous on se marre aussi. La fin offre un twist émouvant et magnifiquement surprenant. L’interprétation est à la hauteur d’un casting choral assez étourdissant. Nathalie Baye est une Donatienne tellement émouvante dans l’impossibilité de son ancrage, une femme blessée. Elle rayonne, elle brille, on comprend l’obsession de Robert tant Nathalie Baye est ici iconique. Unique césar de la carrière d’Alain Delon, qui s’offre tout entier à un Robert désespéré, amoureux peut-être, qui cherche à l’être surement. Sa souffrance semble universelle, sa fragilité intemporelle. Delon aurait pu avoir tant de récompenses pour tant de rôles, il est ici en tous les cas troublant de vérité. Film foutraque évidemment, très radical, mais surtout multi-métaphorique sur la difficulté à se réinventer, sur cet absolu besoin de fantaisie, d’égayer un quotidien lassant et répétitif dans une quête de tendresse quand même un peu perdue d’avance. Il n’empêche que Notre histoire est un pur film de cinéma, dans une ingéniosité constante, qui se laisse regarder et écouter avec le même plaisir que Blier a dû prendre à filmer Notre histoire qui est en effet celle de tout le monde.
Titre Original: NOTRE HISTOIRE
Réalisé par: Bertrand Blier
Casting : Alain Delon, Nathalie Baye, Gérard Darmon…
Genre: Comédie dramatique
Date de sortie: 23 Mai 1984
Distribué par: –
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma