Critiques Cinéma

ROCCO ET SES FRERES (Critique)

SYNOPSIS: Fuyant la misère dans laquelle elle a sombré depuis qu’elle est veuve, Rosaria abandonne sa Calabre pour s’installer à Milan. Avec ses jeunes fils, elle rejoint l’aîné, Vincenzo, qui les a précédés. Après maintes déconvenues, Rosaria parvient à louer un sous-sol où elle peut installer sa famille. Rocco et Simone, deux de ses fils, trouvent rapidement du travail et se prennent de passion pour la boxe. Prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 1960, «Rocco et ses frères» est un objet à part dans l’oeuvre de Visconti. Il scelle la rencontre du réalisateur avec le duo Alain Delon-Claudia Cardinale. Un duo qu’il réunira à nouveau pour «Le Guépard», en 1963. 

Ce sixième long métrage de Luchino Visconti est divisé en plusieurs chapitres travaillés par 4 scénaristes différents (Pasquale Festa-Campanile, Massimo Franciosa, Suso Cecchi D’Amico, Enrico Medioli) un auteur pour un portrait de chaque garçon. Le cinéaste dans sa mise en scène va user déjà ici avec ce chapitrage singulier, de l’art du rebondissement avec une pleine maîtrise. Plus de 60 ans après, en le revoyant aujourd’hui, on penserait presque à l’art du twist sériel. Le film porte l’empreinte du néo réalisme comme La terre tremble  (1948), retour aux premiers amours de Visconti, qui traitait de la terrible situation des pêcheurs en Sicile, même si ce qui va ici transpercer le cœur du public est cette dimension dramatique, une grande fresque familiale, qui va notamment valoir à Rocco et des frères  le Lion d’Argent à la Mostra de Venise en 1960.  Plus tard, ce n’est rien de moins que James Gray Martin Scorsese ou encore Francis Ford Coppola qui évoqueront régulièrement le film de Visconti comme une œuvre majeure et une grande source d’inspiration. C’est d’emblée et on le devine aux premières images un film qui porte la tragédie de l’immigration d’après-guerre, où la recherche de réussite se tournait vers le nord de l’Italie, à l’urbanité triomphante en comparaison de la misère méridionale. Ces mouvements internes au sein des entrailles de la botte Italienne sont ici disséqués, dans notamment la précarité des situations de la famille de Rocco et le mépris dont ils feront l’objet. Sauf qu’en restant « au pays », à savoir dans le sud, comme le dira Ciro (Max Cartier), la condition est delle «  d’animaux domestiques ».



C’est aussi cette confrontation et en somme cette impréparation à une autre vie, d’autres fonctionnements, qui vont amener la famille à une désillusion affective et à la désunion progressive. C’est la dislocation du clan. Au travers notamment du terrible affrontement entre deux des frères, Simone (Renato Salvatori) et Rocco (Alain Delon), où dans un effet miroir saisissant, une symétrie d’une violence inouïe, va s’installer la déchéance crasse pour le premier et un début de belle réussite pour le second. Les objets de cette lutte fraternelle universelle vont se focaliser sur une double conquête, celle d’une fille, Nadia (Annie Girardot) et une autre sportive, grâce à la boxe. Rocco va supplanter son frère bien malgré lui dans ses deux utopies, et même pour tenter de l’aider, mais le ver est déjà dans le fruit. La mise en scène est grandiose, notamment dans les moments d’affrontement entre les frères, avec l’art du contre-champ et une caméra qui tourne autour d’eux et les prend véritablement sur tous les plans comme s’il s’agissait de n’en faire qu’un. Quelques scènes deviendront cultes, une fera polémique, et une autre, la dernière avec Nadia à l’écran, sera d’une force symbolique déchirante. Dans les deux situations, c’est toute la rage, la souffrance, qui se mue en un déchaînement de violences, incarné par Simone, qui est ici comme le spectre métaphorique du drame migratoire, économique et social que vit tout un pays, et que filme ici avec un réalisme magnétique un cinéaste de génie, qui signe un film aux airs d’opéra, dans une dramaturgie scénaristique totale, amplifiée par la musique lancinante de Nino Rota.



C’est ici la première collaboration entre Alain Delon et Luchino Visconti. Ce dernier va vouer une passion folle à l’acteur et saura en effet le sublimer comme jamais. Il capte et magnétise non seulement la beauté de l’homme, mais aussi le talent fou de l’acteur. Dans Rocco et ses frères, c’est un Delon qui n’est pas triomphant ou diablement cynique comme 3 ans après dans Le Guépard (1963). Il est ici comme plus petit, mais toujours aussi touchant, toujours aussi envahissant. Visconti aime son acteur et fera tout pour nous faire partager cette passion. Annie Girardot interprète ici son premier grand rôle au cinéma, et elle est  profondément bouleversante. Elle joue une Nadia, prostituée qui vit en elle comme l’ancrage du désespoir, un fatalisme inné, quelque chose d’irrémédiable. Elle est peut-être le personnage central du film l’air de rien. Rocco va lui apporter l’espace d’un instant l’espoir de la résilience, de l’émancipation, de la fin de l’assignation. Annie Girardot jouera sur toutes ses nuances avec force, émotion et une vérité mélodramatique saisissante.

Renato Salvatori est ici l’icône de la déchéance, et là où sa performance est impressionnante et massive, est dans cette inexorable descente aux enfers, il jouera plusieurs émotions successives, et toujours avec la même sensibilité, donnant une très belle crédibilité à son personnage et donc à l’histoire. On notera la présence de Roger Hanin, avec toujours comme cette impression presque majestueuse de puissance qui ne le quittera jamais vraiment. Rocco et ses frères est un objet filmique devenu culte car c’est en fait une fresque à tout point de vue. Familiale bien sûr, mais aussi historique, économique, sociale, sociétale. L’universalité est là, dans cette quête de l’émancipation, toujours empêchée pas soi et ses névroses, mais aussi par un toujours nouveau monde qui n’en finit pas de rester ce qu’il est, violent car excluant. C’est beau car c’est dur, et c’est dur car c’est vrai. C’est du cinéma mais un peu plus que ça…

Titre Original: ROCCO E I SUOI FRATELLI

Réalisé par: Luchino Visconti

Casting : Alain Delon, Annie Girardot, Renato Salvatori

Genre: Drame

Sortie le: 10 Mars 1960

Distribué par: –

EXCELLENT

 

 

 

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