SYNOPSIS: Paris, 1942. Dans la France occupée par les Allemands, Robert Klein, quadragénaire riche et séduisant, originaire d’Alsace, fait des affaires. Alors qu’il vient de racheter à très bas prix un tableau de maître à son propriétaire juif, il découvre dans son courrier un exemplaire des Informations juives portant son nom et son adresse. Inquiet, il enquête et découvre que son nom figure sur le fichier de la préfecture de police. Un autre Robert Klein existe, il part à la recherche de cet homonyme.
« Jouer Klein, un rôle de Monsieur Dupont, avec son chapeau feutre et sa gueule de con… Vous connaissez quelqu’un d’autre pour faire ça ? » dira Alain Delon quelques années après le tournage. Pourtant, Belmondo avait failli s’y coller à l’époque où Costa Gavras devait réaliser. On change tout, ça sera Joseph Losey à la réalisation et Alain Delon dans le rôle-titre. Le second proposera même la réalisation au premier, avec qui il avait déjà tourné dans L’assassinat de Trotsky (1972). 3 Césars en 1977 sont venus récompenser Monsieur Klein. Celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et des meilleurs décors. Il se dégage de Monsieur Klein comme une atmosphère globalement assez suffocante, celle du trouble d’une époque, de la joie des dénonciations anonymes, de la délation triomphante. Comme dit Lino Ventura dans Garde à vue (1981) : « Les Français ont toujours aimé appeler la police« . Le film est aussi une formidable dénonciation de la folie barbare de l’époque, sans pour autant montrer d’images particulièrement signifiantes, si ce n’est peut-être à la toute fin. En effet, il y a le bon Monsieur Klein et le mauvais Monsieur Klein. La question que pose le film, l’enjeu est ce qui va différencier les deux personnages. L’un a la bonne origine et l’autre pas. Ce sont tous deux des Monsieur Klein… On dirait aujourd’hui « Nous sommes tous Monsieur Klein » … C’est ici toute la déchéance d’une humanité qui différencie selon la judéité ou non, mais ici, ailleurs, hier, aujourd’hui et demain sur la couleur de peau, la préférence sexuelle, le statut social, l’ethnie etc… Et qui oublie le constitutif, le fondement : l’appartenance à l’humanité. La question de son avocat et ami Pierre (Michael Lonsdale) est terrifiante de la vérité d’une époque qui n’est donc pas que lointaine : « Dis mois, les Klein, vous êtes Français Français ? Ou est-ce qu’il y a des juifs dans ta famille ? »
A ce petit jeu, Delon excelle, dans le rôle du Français plus que moyen, comme persuadé que rien ne peut lui arriver car sur sa carte d’identité, la mention est la bonne. Il pense pouvoir traverser les événements sans se mêler, ne se sentant aucunement concerné, le français moyen moins, car il sent même le bénéfice à tirer de son statut professionnel. Ou comme le chantait Renaud dans le plus qu’avant-gardiste Hexagone (1975) : « Ils oublient qu’à l’abri des bombes, les français criaient vive Pétain, qu’ils étaient bien planqués à Londres, qu’y avait pas beaucoup de Jean Moulin« . Un peu comme dans Le Guépard (1963) de Visconti, Delon joue ici à l’opportuniste, au cynique. Son physique de jeune premier, sa beauté d’Apollon confère à ces traits de caractère une crédibilité évidente, le talent fou de l’acteur fera le reste. Il y aussi cette scène folle de l’entrée de Monsieur Klein dans le château… Avec la caméra qui remplace les yeux de Delon, qui suit un serveur en tenue et où le croisement avec l’horrifique n’est presque pas très loin. Cette technique filmique de nous substituer à Klein fait monter une sorte d’angoisse très soudaine. Depuis le début, il s’agissait surtout d’un questionnement, et ce moment clé, cette bascule singulière génère comme un stress. Est-ce un piège dans lequel Klein est tombé, et nous avec….
Plus tard : « Ça ne serait pas la première fois en ce moment que quelqu’un se montre pour mieux se cacher » lui dit la police. Lui, crie à l’incompréhension, de bonne foi malgré sa médiocrité ordinaire, il partage avec le Monsieur K de Kafka (Le procès 1925) la première lettre de son nom, mais aussi ce sentiment d’incompréhension face à ce qui ressemble de plus en plus à une absurde traque judiciaire, policière, administrative particulièrement zélée de l’état français… Il sera confronté systématiquement à la police, à la préfecture, et jamais à l’occupant qu’on croise juste se baladant dans Paris. L’idée est bien d’appuyer l’esprit collaborationniste de l’époque et ramène immanquablement à l’immense scène du restaurant dans le à tout jamais déchirant Au revoir les enfants (1987) de Louis Malle. Monsieur Klein est également haletant, rythmé, malgré son apparente torpeur, dans le sens où il s’agit pour Alain Delon, dans son obsessionnelle quête de vérité, de mener sa propre enquête, tout en se sachant un peu traqué quand même. Dans cette histoire de double recherché, façon méprise, on pensera notamment à La mort aux trousses (1959) de Sir Alfred Hitchcock. Possible inspiration, d’autant que le réalisateur jouera aussi comme le maître, à apparaître furtivement dans son propre film, vers la toute fin, dans une foule de déportés, dans la scène forcément glaçante et mutilante affectivement de la rafle, que nous ne développerons pas ici, pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore le film. C’est aussi forcément pour Delon le souvenir de Plein soleil (1959), où cette fois-ci, il se dédouble. Peut-être que finalement la caricature de l’acteur parlant de Delon à la troisième personne vient inconsciemment de là…
« Ça m’a fait très mal« , dira Delon, de ne pas avoir reçu le prix d’interprétation au Festival de Cannes, l’année où le film était au palmarès en 1976. Costa-Gavras au jury se sera pourtant battu comme un beau diable pour Delon. Peut-être aussi, que « ça fait très mal« , car sur ce film, malgré la qualité évidente de celui-ci, Alain Delon, qui en est le producteur aura perdu 3000 millions de Francs (de l’époque). En tous les cas, comme tout ce que Delon a pu faire dans ce moment de sa carrière, il livre une prestation inoubliable, magnétique et tellement troublante de ce que Delon nous dit de lui-même, de ses souffrances. On entre possiblement déjà dans une ère ou chaque film avec Alain à l’affiche devient un documentaire sur Delon. Toujours est-il qu’il est iconique, et dans une justesse quasi inégalée depuis. Ici, il écrase tout. Impressionnant, massif, historique. La performance de Michael Lonsdale est également à souligner, tant l’acteur franco-britannique aura toute sa carrière, brillé par cette furieuse authenticité. Ici encore, et dans un rôle qui est tout sauf celui d’un glorieux héros, et malgré le génie de Delon, on retient très largement son interprétation. Monsieur Klein est une œuvre à redécouvrir, tant son message est intemporel, tant sa mise en scène est redoutablement habile, et tant Alain Delon dégage cette indéniable puissance. C’est un film qui marque, qui vous reste en tête, c’est une pure émotion de cinéma.
Titre Original: MONSIEUR KLEIN
Réalisé par: Joseph Losey
Casting: Alain Delon, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale…
Genre: Drame, Judiciaire
Sortie le: 27 Octobre 1976
Reprise le: 06 Juillet 2022
Distribué par: Les Acacias
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma