Critiques Cinéma

AS TEARS GO BY – AINSI VONT LES LARMES (Critique)

SYNOPSIS: Petit gangster de Hong-Kong, Wah se partage entre son boulot habituel, le recouvrement de dettes, et la nécessité de protéger son acolyte, Fly, à la conduite problématique : celui-ci ne cesse d’emprunter de l’argent qu’il ne peut jamais rembourser. Mais cette vie, déjà̀ passablement déréglée, est bouleversée quand Wah doit héberger sa jolie cousine, Ngor, qui vit loin de la ville, sur l’île de Lantau. Wah entame alors un épuisant va-et-vient entre son amour naissant pour Ngor, mirage d’une vie paisible, et sa fidélité́ à son «frère» de gang, Fly, tabassé à répétition par les hommes de main d’un autre gangster, Tony. Wah devra choisir sa destinée. 

Première seconde de As Tears Go By,  premier plan d’un premier film et premier film de Wong Kar-Wai, alors âgé de 29 ans, c’est en fait l’histoire du cinéma que l’on convoque ici. Les premières impressions, sensations, les prémices d’un style, d’une patte, de l’empreinte du génie, c’est comme une émotion devant ce qui peut ressembler à une naïveté, à une pierre brute, que l’on peut même préférer à celle qui est travaillée, c’est selon. L’esthétisme est déjà là, il ne fera que s’amplifier ensuite. Wong Kar-Wai, qui est scénariste avant de s’attaquer à cette réalisation va faire naître ici sa légende, comme celle de porter tout le temps des lunettes de soleil, qui commencera sur ce tournage, tellement il est épuisé. Le film sera présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en 1989, tant il est pressenti comme bien plus qu’un polar ultra violent, avec en propre une marque de fabrique, une originalité qui va ensuite compter. C’est aussi un film de pureté et d’innocence avec son incarnation, Ngor (Maggie Cheung), qui débarque dans le monde de violence totale, irréfléchie, sans lendemain et assez décérébré de Wah (Andy Lau). Elle arriver à faire émerger en lui une once de douceur, qu’il finit toujours par briser, alors que l’on devine la possibilité d’un être, d’un autre. Elle lui achètera des verres, elle en cache un car elle sait justement qu’ils seront brisés, tout en lui disant que comme ça il l’appellera pour savoir où est ce verre. C’est joliment inventif et métaphorique sur l’envie de faire lien, coûte que coûte. C’est le drame de l’universel qui se joue devant nous, changer suffisamment, changer vraiment, accepter de déconstruire, sans se nier. Romantisme brute à l’écran, on est presque chez De Musset. Tout comme cette scène de retrouvailles à l’abri de la pluie… Que de splendides non-dits, de regards dans les chaussures, c’est d’une pureté et d’une candeur. L’espèce de sale brutasse de Wah, face à Ngor est complètement submergée, agonisant d’amour, méconnaissable. C’est clairement le bouleversement de l’amour sous nos yeux… Vraiment c’est du brut, du beau, du très lourd.



Et alors dans la foulée, pas à moto, mais dans le bus, le Take my Breath away  de Berlin, chanté en Cantonnais s’il vous plait par Sandy Lam, qui est tellement moins kitch mais tout aussi emblématique que son utilisation dans Top Gun (1984). Non mais… Take my breat away  en cantonnais…. Ce qui est incroyable, est que toutes les paroles sont dans la langue du film, sauf le titre en anglais et en refrain donc justement, ce qui en rajoute dans cette folle improbabilité…On passe de De Musset à Tony Scott, si c’était ça les débuts de Wong Kar-Wai, une construction embryonnaire où tout est possible, ouvert et assez fou. Ce mélange de genre entre ce qui semble procéder d’une fascination du cinéaste pour d’une part une approche hollywoodienne dans ce qui existe de plus basique et guimauve, où on ne sait plus s’il faut rire ou être transcendé d’émotions (et c’est un sentiment génial) et d’autre part son sens inné du formel en filmant avec virtuosité déjà, ce qui est crasse, violent et touche des abymes amples et profonds. Le contraste est assez unique, renversant et dit des choses passionnantes sur la complexité du réalisateur. Les adorateurs légitimes de In the Mood for Love (2000) pourraient être profondément heurtés par As Tears Go By , mais c’est justement toute la splendeur d’une évolution qui éclate ici. Et être heurté en vrai, ça peut être top. Notons que In the Mood for Love, succès planétaire, est classé par des critiques de tous pays dans les 25 plus grands films de tous les temps.



Les scènes de baston sont spectaculaires du fait notamment de leur inventivité filmique, de l’influence de l’époque de John Woo, avec l’usage du ralenti, mais sans que celui-ci ne soit pour autant ici dans une surabondance. La violence des confrontations est saisissante, le sang coule un peu à flots, et le sadisme règne en maître. Il existe dans ce dépliement, ce déploiement, ce déferlement la démonstration déjà d’une maîtrise, même si ici, elle est utilisée pour le genre. C’est vrai que le milieu des racailles que nous montre à voir Wong Kar-Wai, si c’est le karcher qui ne peut y mettre un terme, c’est un peu le concours de celui qui touchera le mur le premier en soulageant un besoin naturel un soir de beuverie virile en mode australopithèques. A cet égard, As tears go by  a souvent été comparé à Mean Streets (1976), le premier Scorsese, dans notamment la façon de filmer les violences urbaines. A ce sujet, Wong Kar-Wai dira : «  Je n’ai emprunté que le personnage joué par Robert de Niro. Mais je pense que les Italiens ont beaucoup de points communs avec les Chinois : leurs valeurs, le sens de l’amitié, leur mafia, leurs pâtes, leur mère.  »

Andy Lau, qui joue le rôle de Wha, au moment du tournage travaille sur plusieurs projets en même temps, et finira par se donner corps et âme à celui-ci, ce qui se sent et voit à l’écran. Son engagement est total et il joue avec une grande justesse le tiraillement, clé de voute du film sur la difficulté du choix, sur l’acceptation du droit au bonheur. Maggie Cheung est plutôt en train de débuter sa carrière au moment de As Tears Go By  Le cinéaste fera d’elle ensuite comme une muse, une inspiration, et même une égérie, notamment donc dans In the Mood for love. Ici, elle déploie une incarnation de la pureté originelle, elle le fait avec grâce, douceur et s’affirmera au fil du film, prête à tout pour son homme. Elle sera rageusement belle dans sa détermination à la garder auprès de lui. As Tears Go By , facile à dire après me direz-vous, mais une fois que l’on connaît les goûts esthétiques de Wong Kar-Wai, dégage déjà une poésie de la mélancolie, un questionnement existentiel. Ainsi, se rendre en salle obscure pour ce film s’inscrit aussi bien dans une démarche anthropologique, afin de recontextualiser le travail d’un géant, mais permet aussi plus simplement de passer un très fort moment de cinéma.

 

 

Titre Original: WONG GOK KA MOON

Réalisé par: Wong Kar-Wai

Casting: Maggie Cheung, Andy Lau, Jacky Cheung…

Genre: Drame, Romance

Sortie le: 14 Mai 1989

Reprise le: 29 Juin 2022

Distribué par: The Jokers / Les Bookmakers

EXCELLENT

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