La fidélité

LA FIDELITÉ ALAIN DELON/ JACQUES DERAY 

ALAIN DELON / JACQUES DERAY : FRÈRES D’ARME


D’un côté, l’un des acteurs français les plus populaires, adoré ou détesté mais au talent et au charisme indéniables. De l’autre, un de nos meilleurs représentants du polar hexagonal, un metteur en scène à l’efficacité prouvée ayant donné quelques perles à notre cinéma. La réunion des deux hommes a permis à neuf films de voir le jour en l’espace de 25 ans. Peu de collaboration artistique entre un acteur et un réalisateur n’a engendré une telle création. Pourquoi ? La réponse est simple : les deux hommes s’appréciaient et savaient travailler ensemble. Delon, acteur et producteur, trouvait souvent en Deray l’homme de la situation, celui sur lequel il pouvait s’appuyer pour livrer à son public un film solide où il était à son avantage. Si Deray a su faire du sur-mesure pour la star, leurs films n’en oubliaient pas d’être ambitieux, parfois risqués et souvent de grande qualité.

LA PISCINE (1969)



Jacques Deray s’est déjà fait une petite réputation dans le cinéma policier avec six longs métrages derrière lui. Alain Delon, au sommet de sa gloire, voit en lui un excellent directeur d’acteurs et donc le metteur en scène idéal pour son prochain projet, La Piscine, un polar où les flingues laissent place aux sentiments humains les plus troubles et destructeurs. Deray et son scénariste Jean-Claude Carrière mettent en place un drame sensuel et prenant dans lequel la beauté vénéneuse des interprètes nous charme et nous emporte. Dans ce huis clos en plein air pourtant étouffant, Deray privilégie les regards aux dialogues et, deux heures durant, le spectateur assiste à un affrontement des émotions dont la violence sous-jacente et grandissante atteint son paroxysme lors d’une célèbre scène de noyade. Autour du formidable Maurice Ronet et de la jeune Jane Birkin, Delon est au plus haut de son talent et de sa beauté. Il impose aux producteurs Romy Schneider, alors dans le creux de la vague. Alain et Romy, qui ont été quelques années auparavant un couple à la ville, se retrouvent pour jouer les amoureux sur grand écran. L’alchimie est intacte, leurs scènes incandescentes. Romy irradie. Sa carrière est relancée. Le triomphe de La piscine scelle des liens durables entre Delon et son réalisateur. Le film, surement leur plus belle réussite, est aujourd’hui devenu un classique.

BORSALINO (1970)



C’est pendant le tournage de La Piscine que Delon propose à Deray de mettre en scène son premier projet de producteur : la réunion Delon/Belmondo, alors l’un comme l’autre en haut du box-office, dans un film d’action dans le Marseille des années 30. Borsalino est une adaptation du roman d’Eugène Saccomano retraçant l’ascension de deux caïds de la pègre marseillaise. Deux rôles forts aux personnalités opposées et complémentaires, à l’image des deux comédiens principaux. Delon est Roch Siffredi (nom qui inspirera un célèbre acteur de film X), un être sombre, ambitieux au regard froid. Belmondo est François Capella, plus solaire, sympathique et populaire. Les comédiens jouent de leur image et affiche une complicité évidente. Deray enchaine les moments d’action et de jeu dans une reconstitution soignée, laissant au spectateur tout le loisir d’admirer les deux stars qui s’en donnent à cœur joie. Si le film est un grand succès, il restera aussi célèbre pour le différend qui opposera Belmondo et Delon lors de sa sortie. Au générique, alors qu’il était convenu que l’ordre alphabétique serait respecté et donc que le nom de Belmondo apparaitrait en premier, l’acteur découvre que celui de Delon producteur ouvre le bal avec un «  Alain Delon présente  » qui n’était pas prévu au contrat. Belmondo gagnera son procès et, si les médias ont souvent, par la suite, opposé ces deux grands messieurs, les principaux concernés ont, eux, toujours revendiqué une sincère amitié.

DOUCEMENT LES BASSES (1971)


Après deux grands succès commerciaux, Delon et Deray vont se risquer dans le bizarre avec cette comédie qui détonne complétement dans leur filmographie respective. Ici, Delon joue un prêtre qui voit réapparaitre son ex-épouse prête à se donner à qui veut s’il ne la reprend pas. Delon cabotine, Deray n’est clairement pas à l’aise dans sa mise en scène, l’écriture de Pascal Jardin n’est pas la plus inspirée, bref on pourrait se demander ce que ce petit monde est venu faire dans cette galère. L’explication est assez simple. Clairement, Delon veut casser son image trop sérieuse et prouver qu’il sait évoluer dans un registre où on ne l’attend pas. Pour cela, il va logiquement chercher celui qui est devenu son metteur en scène de prédilection, donne un rôle à Nathalie Delon, son ex-femme et partenaire du film de Melville Le samouraï, et nous concocte ce Doucement les basses que le public va bouder. Deray a répondu à l’appel de son ami avec l’envie de se frotter à un genre qui lui faisait de l’œil mais il ne s’y reprendra plus par la suite. Doucement les basses se fera doucement oublier, devenant presque invisible sur nos écrans. La restauration récente faite par Pathé va-t-elle le ressusciter ? Pas sûr, en tout cas il reste une curiosité.



BORSALINO AND CO (1974)



C’est Delon qui vient une fois de plus chercher son compère Deray pour une suite à leur Borsalino. Deray n’avait pas envisagé que l’histoire puisse se prolonger du fait de la mort du personnage incarné par Belmondo à la fin du film de 1970 mais il ne peut résister à la proposition de son ami et au plaisir de revenir à du cinéma grand spectacle. Le personnage de Delon est animé par la vengeance et Deray adopte un style plus efficace encore que pour le premier film. Borsalino and Co se fait plus violent et sans doute plus représentatif du cinéma de Deray. D’ailleurs, à sa sortie, le film se verra sanctionné d’une interdiction aux moins de 13 ans. Borsalino and Co sera un succès, toutefois bien moindre que celui du premier, et le travail de Deray est salué par la critique. A noter que Deray a tenu à ce que Belmondo soit tout de même »  « présent  »dans son film et lui a demandé l’autorisation de filmer une photo de lui sur sa tombe, le film s’ouvrant sur l’enterrement de Capella. Belmondo a répondu favorablement.

FLIC STORY (1975)



Delon achète les droits d’un livre écrit par Roger Borniche, ex-inspecteur de la sureté nationale hautement renommé devenu romancier, retraçant la traque que le policier a mené contre Emile Buisson, ennemi public numéro 1 de 1947 à 1950. Du velours pour le tandem Delon/Deray qui, après Borsalino et sa suite, trouve nouvelle matière à un polar avec reconstitution historique. L’action du film se situe un peu après la Libération, le souvenir de l’Occupation plane encore. Dans le rôle de Roger Borniche, Delon joue la carte du réalisme et de la sobriété. Pour incarner Emile Buisson, il faut un acteur fort, capable non pas de tenir tête à Delon, car les deux acteurs ont peu de scènes ensemble, mais de porter lui-même une partie de l’histoire. Deray souhaite retravailler avec Jean-Louis Trintignant, qu’il avait dirigé dans Un homme est mort, mais le comédien ne se voit pas incarner un personnage aussi dur. Deray finit par le convaincre et Trintignant se montre impressionnant, et même absolument terrifiant. Flic story reste une des meilleures collaborations du tandem Delon/Deray. Le film sera un succès public et critique.

LE GANG (1977)



Après le succès de Flic story, la même équipe se reforme. Deray et Delon s’attèlent à une nouvelle adaptation d’un roman de Borniche qui conte cette fois l’histoire de Pierrot Le Fou. En incarnant ce personnage (rebaptisé Robert Le Dingue), Delon passe de l’autre côté de la loi et Deray propose un film moins sérieux, plus tendre et s’octroie quelques libertés avec l’Histoire. Il nous gratifie de quelques scènes d’action emballantes mais le film va surtout marquer les spectateurs par le choix capillaire de Delon. En effet, l’acteur veut personnaliser son Robert Le Dingue et décide, contre l’avis de la production, d’avoir le cheveu frisé. Un choix audacieux ou ridicule, chacun est libre de se faire sa propre opinion, mais en tout cas un choix déroutant qui se veut proche du personnage incarné. Le gang n’est sans doute pas dans le haut du panier du tandem mais atteste d’un indéniable savoir-faire de la part de Deray. Ce dernier confiera d’ailleurs que la musique, composée par Carlo Rustichelli, était celle de ses films qu’il avait le plus de plaisir à écouter car sa chaleur et sa tendresse lui rappelaient les compositions de Nino Rota pour Fellini, un réalisateur que Deray chérissait.

3 HOMMES A ABATTRE (1980)



Après quelques échecs commerciaux, Delon a besoin de retrouver son public et voit dans le roman de Jean-Patrick Manchette, Le petit bleu de la côte ouest, matière à un polar avec un personnage fait pour lui. Il va naturellement proposer le projet à son ami Deray, qui se montre enthousiaste à l’idée, lui aussi, de revenir au film noir après son magnifique Un papillon sur l’épaule. Ici, pas de flic ni de truand, Delon joue un homme « normal » qui se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment. Un innocent qui se voit devenir malgré lui la cible de tueurs et qui va tout faire pour s’en sortir. A partir de cette thématique hitchcockienne, Deray trousse un excellent divertissement, sombre, violent, qui rappelle par moment un certain cinéma d’action italien. Même si le roman de Manchette et le personnage sont édulcorés, il faut souligner l’efficacité imparable de l’entreprise. On retrouve l’ambiance des premiers polars de Deray et son goût des scènes radicales, Delon est très à son aise, le public est conquis. L’acteur s’attèlera à deux autres adaptations de Manchette juste après ce film, Pour la peau d’un flic qu’il réalisera lui-même, puis Le choc que dirigera Robin Davis. A partir de ce 3 hommes à abattre, Delon va ainsi entamer une série de films policiers destinée à cartonner au box-office et va, pour un temps, chercher d’autres réalisateurs. Deray, lui, va retrouver Belmondo ou s’adonner à des œuvres plus sombres, telle On ne meurt que deux fois.


UN CRIME (1993)



Il aura fallu plus d’une dizaine d’années pour que Deray retrouve Delon. Nous sommes dans les années 90 et les deux artistes n’ont plus le même impact sur le public. Les derniers films de Deray (Les bois noirs et Netchaiev est de retour) et ceux de Delon (Le retour de Casanova, Nouvelle vague et Dancing machine) ont été des échecs souvent sévères. Même Delon policier dans Ne réveillez pas un flic qui dort ne fait plus recette. Avec ce Crime, les deux hommes espèrent se refaire une santé en jouant le thriller psychologique à la Garde à vue. Dans cette adaptation d’un roman de Gilles Perrault, Le dérapage, Deray veut filmer un huis clos étouffant qui oppose un avocat et son client qui, après acquittement, fait planer un doute sur son innocence. Une première version du scénario traine dans les tiroirs de Deray depuis longtemps. Le réalisateur veut Michel Piccoli pour le rôle de l’avocat mais le projet ne se monte pas. Deray fait passer le scénario au producteur Alain Sarde qui le propose à Delon. Le tandem Deray/ Delon va donc se retrouver pour un tournage oppressant, heureusement situé à Lyon, la ville natale de Deray. Face au grand fauve Delon, le jeune Manuel Blanc, tout juste auréolé d’un césar pour J’embrasse pas de Téchiné, trouve sa juste place. Sans être une réussite, le film vaut quand même bien mieux que le cuisant échec qu’il subira à sa sortie. Une sortie totalement sabordée puisque le film terminé restera un moment en attente pour finalement arriver sur les écrans au début du mois d’août, période suicidaire à l’époque pour une sortie de film. Furieux de ce choix, Delon refusera de faire la promotion, le film se fera massacrer par la critique qui pointe un budget élevé et une star trop payée pour un résultat pas probant et des salles vides. Une expérience amère pour les deux hommes mais le pire est encore à venir.


L’OURS EN PELUCHE (1994)



Sur le papier, l’association Deray, Delon et Georges Simenon était des plus prometteuses. A l’origine, le projet du film était entre les mains de Pierre Granier-Deferre, cinéaste ô combien expert dans les adaptations de Simenon (il avait notamment fait La veuve Couderc avec Delon et Signoret) mais le réalisateur choisit de quitter le navire. Le producteur Alain Sarde et Alain Delon appellent alors Deray qui se retrouve parachuté sur ce film avec pour mission de sauver l’entreprise. Le réalisateur est confronté à deux problèmes majeurs : un scénario mal foutu et une actrice italienne difficilement gérable. En effet, la coproduction avec l’Italie lui impose Francesca Dellera, vue chez Marco Ferreri. Il n’y a pas vraiment de rôle féminin important dans le scénario, Deray doit tout reprendre pour « caser » ce personnage. La comédienne joue les divas jusqu’à exaspérer Delon et le reste de l’équipe. Les problèmes s’accumulent et le film se fait dans la douleur. Personne ne semble vraiment y croire, ni même Delon en médecin menacé. L’ours en peluche sortira en plein été 1994 dans une indifférence totale. Ce sera le dernier film de cinéma de Jacques Deray et donc également sa dernière collaboration avec Delon. Triste baisser de rideau dont il vaut mieux ne pas trop se souvenir tant il n’est pas représentatif de ce que le tandem Delon/ Deray a pu nous offrir.


Dans la carrière de Delon, la collaboration avec Jacques Deray représente la prise de contrôle de l’acteur/producteur de sa propre image. Star dans les années 60, « instrument » majeur chez Visconti, Clément ou Melville, Delon a voulu au cours des années 70 maitriser complétement son statut. Il s’est fait faire des films sur-mesure et a trouvé en Jacques Deray le réalisateur idéal pour cela. Néanmoins, il serait faux de ne voir Deray que comme un artisan employé par Delon. Le cinéaste a marqué ses films de sa personnalité. Un cinéma net, précis, sombre, ne craignant pas de regarder le noir en face et d’en assumer la violence physique ou/et psychologique. Les deux hommes étaient différents humainement. Deray s’était souvent interrogé sur l’amitié mystérieuse qui les liait. Les spectateurs que nous sommes se posent moins de questions tant l’alchimie artistique était bien là. Pas mal de succès populaires qui ont très bien vieilli, un Borsalino devenu culte pour sa réunion Belmondo/ Delon et La piscine aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma français.

Flic story est disponible en combo DVD/Blu-Ray à partir du 15 juin 2022 chez StudioCanal.



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