Critiques Cinéma

FESTIVAL D’ANNECY (Jour 2)

Au programme : un conte féministe, des portraits de famille, un couple gay embarqué dans une folle aventure et un biopic de peintre…

My Love Affair With Marriage

SYNOPSIS: Les chansons hypnotiques des sirènes autoritaires de la mythologie convainquent Zelma, une jeune fille fougueuse, de se lancer pour 23 ans en quête de l’amour parfait et du mariage qui dure. Cependant, elle n’a pas conscience que sa propre biologie est une force puissante avec laquelle il faut compter.

On commence avec un film OVNI, dont la direction artistique flaire bon le Quentin Blake par moments : My Love Affair With Marriage, un film de Signe Baumane. On y suit le parcours sentimental de Zelma, une jeune femme éduquée depuis toute petite petite à trouver le grand amour et se préparer à ne vivre que par dévotion pour son époux dans la structure stricte et sans amour du mariage. La forme est séduisante : combinant plusieurs styles d’animation et plusieurs genres cinématographiques, on plonge dans la psyché parsemée de comédie musicale, de rom-com et de drame de cette héroïne attachante et rebelle, conditionnée par une société patriarcale et souvent déçue par ses aventures amoureuses.

La couche insolite venant d’une drôle de voix-off expliquant les mécanismes biologiques de l’héroïne et la manière dont ses hormones décident, littéralement, de chaque décision qu’elle prend. Une sorte de Il était une fois la vie qui vous explique pourquoi vous êtes accro à votre cher.e et tendre.. L’exercice se révèle convaincant sur ses deux premiers tiers, avant que la conclusion ne se soit elle, décevante : en expliquant la dysphorie de genre avec les mêmes schémas biologiques qu’au début, le film s’écroule et propose un segment sur la transidentité (?) de l’un de ses protagonistes au mieux maladroit, au pire franchement offensant. Une certaine déception quand on sait à quel point le film prend un certain temps à détricoter les stéréotypes féminins et masculins : Zelma est perçue comme trop masculine, mais ne peut se résoudre à adopter les codes de la féminité “classique”. Un discours ambigu que la fin du film tente de résoudre avec une pirouette bienveillante dans l’intention mais abstraite dans ses faits.

Mention spéciale néanmoins au casting vocal : Stephen Lang est ici loin d’Avatar dans la peau d’un artiste trop vieux pour Zelma et Cameron Monaghan est inquiétant en pervers narcissique qui manipule Zelma de A à Z. Zelma elle-même est doublée à la perfection par Dagmara Domińczyk et sa voix douce mais résignée à l’idée de tomber amoureuse de la bonne personne en naviguant entre vocation et foyer. Elle est l’âme d’un film parsemé de bonnes intentions mais au résultat discutable sur son finish…

Interdit aux Chiens et aux Italiens

SYNOPSIS: Début du XXe siècle, dans le nord de l’Italie, à Ughettera, berceau de la famille Ughetto. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse alors les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant à jamais le destin de sa famille tant aimée. Son petit-fils retrace ici leur histoire.

Descendant d’une famille d’immigrés italiens arrivée en France au début du siècle dernier, Alain Ughetto a voulu raconter leur histoire, lui qui n’a jamais connu son grand-père paternel et une grande partie de sa famille italienne. Avec une forme artisanale et manuelle, le réalisateur raconte en 1h10 le destin d’une famille qui aura traversé l’Histoire en en payant, hélas, le prix fort. Avec beaucoup de mélancolie, Ughetto crée un dialogue entre ses mains, sa voix et les membres de sa famille qu’il n’a jamais connus. 

Son grand-père, sa grand-mère, ses oncles et tantes : avec une durée limitée, Ughetto offre une âme à ces marionnettes et raconte leur périple périlleux depuis l’Italie et ses montagnes pauvres, jusqu’à la Suisse et la France, pendant la seconde Guerre Mondiale. On se surprend à être émus aux larmes face à des gestes simples du quotidien – un cœur en farine partagé par Luigi et son épouse, les morts qui frappent tour à tour cette grande famille de moins en moins grande.

Sans pathos mais avec humour et tendresse, Interdit aux Chiens et aux Italiens rappelle aussi en filigrane la xénophobie qui régnait en France dans les années 1900 vis-à-vis des italiens; le titre est assez explicite comme ça mais rappelle que la haine et les préjugés changent mais ne disparaissent jamais vraiment; ils prennent juste une forme différente. Le film d’Alain Ughetto rappelle que chaque histoire personnelle est ancrée dans la grande, et qu’il n’est jamais trop tard pour empêcher les erreurs et les catastrophes de se reproduire. Du beau cinéma qui mériterait bien une récompense à la fin du festival.

Charlotte

SYNOPSIS : L’histoire vraie de Charlotte Salomon, une jeune artiste judéo-allemande qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, défie des obstacles incroyables pour créer un chef-d’œuvre intemporel.

Connaissez-vous Charlotte Salomon, l’artiste-peintre aux plus de 700 croquis ? Née dans l’entre-deux guerres, élevée par ses beaux-parents, cette jeune artiste a vécu un destin tragique depuis sa naissance : le suicide de sa mère, la montée du nazisme en Allemagne, ses amours contrariées et sa vocation, malgré tout, de devenir peintre. Le destin l’aura amenée de l’Allemagne à la France, où elle a élu domicile pendant les dernières années de sa vie. Et quel destin : en à peine quelques années, elle aura recomposé en peinture la généalogie de sa famille, porteuse d’une “malédiction” les rendant tous fous – au sens clinique du terme. Entre l’arrivée imminente des nazis désormais en France, la situation de ses grands-parents et la nécessité de finir son œuvre, c’est donc dans une grande tension que Charlotte va vivre ses derniers moments. 

Si visuellement le résultat arrive à suivre, proposant un superbe hommage animé aux peintures de Charlotte Salomon, on regrette cependant dans ce biopic d’animation signé Tahir Rana et Éric Warin un surplus de musique venu appuyer un récit déjà bien dramatique quitte à plonger dans le pathos pour faire verser sa larme au spectateur. Pourtant il n’y en a pas besoin tant l’histoire de la jeune femme glace le cœur; à ce titre, la fin particulièrement brutale pourra en rebuter plus d’un mais s’inscrit complètement dans l’envie de montrer la brutalité inattendue de la fin de vie de cette artiste décédée dès son entrée à Auschwitz à 26 ans seulement, et enceinte de 5 mois. 

A vos mouchoirs, tout de même, car la tristesse de son histoire liée aux témoignages de ses parents en fin de film laissent à regretter que la vie de l’artiste ait été si courte. Parce qu’humainement comme artistiquement, Charlotte montre à quel point la jeune femme, de plus en plus réhabilitée et redécouverte au fil des années, aurait pu, au-delà de vivre sa vie avec son époux et son enfant, davantage marquer l’histoire de l’art avec ses travaux aussi beaux qu’émouvants si son destin avait été différent. Les “et si” ne referont pas l’histoire, mais comme pour le film d’Alain Ughetto, ils peuvent nous avertir des dangers du passé qui peuvent revenir.

 

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