La fidélité

LA FIDÉLITÉ ROMY SCHNEIDER / CLAUDE SAUTET

ROMY SCHNEIDER / CLAUDE SAUTET : MUSE ET PYGMALION 

© BESTIMAGE

La magnifique Romy nous a quittés il y a maintenant 40 ans mais son héritage est toujours aussi présent. L’actrice a profondément marqué le cinéma français d’une empreinte indélébile. Décédée alors qu’elle était au sommet de son art, elle a continué, par son travail et son image, à inspirer bon nombre de comédiennes d’aujourd’hui. Si Romy est éternelle, c’est parce qu’elle a su incarner la femme dans toute sa complexité et sa modernité. Les rôles et les metteurs en scène qui ont croisé sa route sont aussi pour beaucoup dans la confection du mythe Romy. Claude Sautet ne fut pas simplement l’un de ces metteurs en scène, il fut le plus important, le plus emblématique, celui qui, sur l’écran, a fait de Romy une femme. Leur collaboration, faite de cinq films, raconte un peu plus qu’une simple histoire de cinéma. Elle est le reflet d’une somme de sentiments mutuels, allant de l’admiration à l’affection, du respect à la passion. Elle est l’illustration d’une complémentarité qui a donné au cinéma français des années 70 ses plus beaux joyaux. Elle est l’histoire, rare, d’une évidence artistique et humaine. 

LES CHOSES DE LA VIE (1970) 

En 1968, Claude Sautet et Romy Schneider vont se rencontrer. Lui, après deux flops (injustes) en tant que réalisateur, avait laissé la mise en scène de côté jusqu’à ce qu’il lise un traitement écrit par Jean-Loup Dabadie à partir du roman de Paul Guimard, Les choses de la vie. Claude Sautet tient un sujet qui le motive à repasser derrière la caméra. Elle, depuis ses triomphes dans la saga Sissi dans les années 50, ne se voit proposer que ce type de rôle, que ce soit en Allemagne, son pays d’origine, ou ailleurs. Si elle est reconnue comme une vedette européenne, Romy veut exister en tant qu’actrice française. Mais chez nous, elle reste Sissi et aucun réalisateur ne voit au-delà de cette image. S’éloignant un temps des écrans, c’est Alain Delon qui la ramène sous les projecteurs et l’impose à ses côtés dans La piscine de Jacques Deray. A partir de ce film, Romy va voir la vie en bleu, blanc, rouge. La piscine, c’est sa renaissance artistique et aussi sa rencontre avec Claude Sautet

Le réalisateur prépare Les choses de la vie, l’histoire de Pierre, victime d’un accident de la route, revoyant son passé récent en accéléré tout en allant vers une mort certaine : sa femme Catherine, sa maitresse Hélène, son fils Bertrand et toutes ces petites choses de la vie qui peuvent la faire basculer. Sautet a refusé le casting initial (Montand et Girardot) pour Michel Piccoli et Léa Massari dans les rôles de Pierre et Catherine. Mais il cherche toujours son Hélène. Son ami Jacques Deray l’invite aux studios de Boulogne-Billancourt où il assure la post-synchronisation de La piscine. Claude Sautet rencontre alors Romy Schneider. Il ne la reconnait pas. Comme beaucoup, il avait l’image de Sissi. Il découvre une femme qui le fascine. Devant lui, il voit Hélène. Le coup de foudre amical est instantané et réciproque.  

Le lien qui se tisse entre Claude Sautet et Romy Schneider est immédiatement fort. Les quelques images de tournage montrent des mots échangés en toute complicité, des rires, des connivences. Romy lui écrit beaucoup et signe «  Ta Ro  », ils cherchent le regard de l’autre, ils se nourrissent de l’admiration respective qu’ils se portent. Elle est entière et possessive, il est exigeant et intransigeant. Deux forts caractères, explosifs et passionnés. La façon dont il la filme est une déclaration d’amour faite aux femmes dont Romy est aux yeux de Claude Sautet la parfaite incarnation. Le succès des Choses de la vie est un marqueur dans leur carrière professionnelle respective et les installe dans le paysage cinématographique français. 

MAX ET LES FERRAILLEURS (1971) 

Romy veut retrouver Sautet et lui demande quel rôle le cinéaste a pour elle dans son prochain film. Sautet lui répond qu’il n’y a qu’un personne féminin, une prostituée. Romy accepte sur le champ, ravie de pouvoir un peu plus casser son image. Si, à l’origine, les producteurs avaient envisagé les couples Yves Montand/Marlène Jobert puis Alain Delon/Catherine Deneuve, Claude Sautet ne fut pas mécontent des refus de ces derniers. L’idée de retrouver ses interprètes des Choses de la vie dans un univers opposé, bien plus sombre, lui trotte dans la tête. Piccoli accepte d’être de la partie. Pour l’écriture, Sautet retrouve Dabadie. L’adaptation du roman de Claude Néron permet au cinéaste de livrer un film assez personnel et de se replonger dans une ambiance polar qui dominait ses premiers films de réalisateur. Mais à travers Max, policier implacable cherchant à piéger une bande de malfrats amateurs, Sautet fait le portrait d’un personnage stalinien, une parabole sur les politiques, les théoriciens, capables de calculs impitoyables pour gagner des responsabilités plus importantes. Piccoli se révèle glaçant et Romy apporte sa lumière, un véritable rayon de soleil, au personnage de Lily.  

Le succès sera au rendez-vous, même s’il est un peu moindre que celui des Choses de la vie (noirceur du projet oblige) et Claude Sautet avouera que ce Max et les ferrailleurs constitue à ses yeux son meilleur film, du moins celui dont il sera le plus satisfait. En effet, au fil des ans et passages télé de ses œuvres, Claude Sautet reviendra régulièrement sur leur montage, coupant ou déplaçant ici et là des scènes qu’avec le recul il juge inutiles ou veut amener autrement. Et Max et les ferrailleurs sera le film que Sautet touchera le moins. 

CÉSAR ET ROSALIE (1972) 

César aime Rosalie, Rosalie aime César et aussi David. David aime Rosalie. Un triangle amoureux subtil qui ne va pas forcément là où on l’attend et met en scène des personnages très en phase avec leur époque. Surtout Rosalie. Ce scénario, Sautet l’a en tête depuis longtemps. Le jeune Claude était assistant réalisateur et se rendait chez un ferrailleur pour les besoins du film sur lequel il travaillait. Là, il s’est retrouvé face à un homme assez rustre, très élégant, avec un parler grossier et pittoresque. L’homme était en couple avec une femme ravissante et distinguée. Un contraste saisissant qui frappa le jeune futur réalisateur qui se demanda alors comment il réagirait s’il tombait amoureux de cette femme et devait faire face à ce drôle de loustic. Tel fut le point de départ de César et Rosalie. Mais personne ne veut de cette histoire. Même Raymond Danon, producteur des deux précédents films du réalisateur, n’y croit pas et c’est Michèle De Broca qui accepte de le produire. Claude Sautet avouera que l’écriture avec Dabadie fut longue et compliquée. Autant Dabadie n’avait aucun problème pour concevoir César et David, autant Rosalie était à ses yeux une pure emmerdeuse. Quand Sautet lui répondit dans une de ses fameuses colères qu’elle n’était pas une emmerdeuse mais une emmerdée, ce fut un déclic pour le scénariste.  

Là encore, Romy ne fut pas le premier choix envisagée. C’est Catherine Deneuve qui devait incarner Rosalie, mais la comédienne ne signa jamais son contrat. Sautet ne pouvant pas attendre, il fit lire le scénario à Romy Schneider qui accepta immédiatement. Avec Rosalie, la comédienne va se fondre dans un personnage de femme libre qui aime deux hommes à la fois. Si le film fut un succès et s’il est devenu au fil du temps un véritable classique, c’est sans doute, outre toutes les qualités formelles qu’on peut lui louer, parce qu’il touche juste et fait de Rosalie une femme dans laquelle beaucoup vont s’identifier. Avec ce rôle, plus que tous les autres, Romy devient l’incarnation de la femme française moderne. Plus belle que jamais, lumineuse, grave, pétillante, passionnée, amoureuse, tourmentée, Rosalie est surtout une femme libre, qui a besoin d’aimer et d’être aimée, choisissant qui elle aime et se permettant même de choisir de ne pas choisir. Un rôle majeur pour Romy, formidablement entourée par Yves Montand et Sami Frey. Romy Schneider dira qu’elle était très loin de Rosalie et qu’elle enviait sa liberté. Pourtant, la femme Romy a toujours donné au public l’image d’une personnalité libre et affirmée. A l’instar de Rosalie justement. 

A titre personnel, je considère ce film comme la plus belle œuvre (avec Vincent, François, Paul et les autres) de Claude Sautet dont j’aime absolument tous les films. César et Rosalie m’a accompagné toute ma vie puisque je l’ai vu à plusieurs âges, y percevant à chaque fois des choses différentes. J’ai aimé chacun des personnages et je les ai compris tour à tour, au fur et à mesure de mon évolution personnelle. C’est un film très riche qui n’a rien perdu de sa superbe. 

MADO (1976) 

Sans doute le moins connu de la collaboration Schneider/ Sautet, et pour cause : Romy n’y a qu’une seule scène. Mais Mado est un grand film. Sautet fait le sombre constat d’une société en proie à la crise économique en contant la vengeance d’un promoteur immobilier envers un concurrent véreux qui l’a ruiné. Au centre de cette vengeance, une femme, Mado, en est l’instrument. On retrouve ici des thématiques cousines avec, d’une part, Max et les ferrailleurs où le héros utilisait une prostituée et en tombait amoureux, et, d’autre part, Vincent, François, Paul et les autres qui décrivait déjà les affres du monde de l’entreprise. Mais, dans Mado, tout est plus pessimiste, plus noir. L’absence de Dabadie à l’écriture expliquant en grande partie cela.  

Romy y joue, le temps d’une scène, l’ex-compagne de Michel Piccoli. Une femme alcoolique et dépressive. L’actrice accepte pour retrouver son metteur en scène et son partenaire de jeu. Ce personnage, très différent de ce que Sautet lui a auparavant attribué, s’inscrit dans la lignée de rôles plus torturées que la comédienne avait déjà empruntée magnifiquement avec L’important c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski. Sautet reconnaitra, avec le recul, que voir Romy incarner ce personnage lui avait fait peur, comme s’il avait pressenti les drames personnels que la comédienne allait connaitre dans l’avenir. A la sortie du film, le producteur, pour l’exploitation de Mado à l’étranger, avait l’intention de mettre en avant Piccoli et Schneider sur les affiches. Colère noire de Sautet qui, estimant que le public serait alors trompé car Romy n’apparait que neuf minutes, décide de supprimer la scène, avant de se raviser. Heureusement. 

UNE HISTOIRE SIMPLE (1978) 

Romy Schneider est au sommet de sa gloire. En 1976, elle fut la première à recevoir le césar de la meilleure actrice pour L’important c’est d’aimer. Elle incarne la femme française dans toute sa splendeur et jouit d’une popularité certaine auprès du public. C’est naturellement et logiquement qu’elle se tourne vers son metteur en scène pygmalion, Claude Sautet, pour qu’il lui offre un film fait spécialement pour elle. 

Sautet veut honorer sa promesse et s’attelle avec Jean-Loup Dabadie à l’écriture d’Une histoire simple. Un titre qui pourrait résumer la collaboration Schneider/Sautet tant ce qui tient de l’évidence relève aussi de la simplicité. Mais cette Histoire simple va s’avérer plus complexe que prévue. D’abord parce que Sautet doit mettre les bonshommes au second plan dans son scénario. Une première pour lui qui l’oblige à se plonger un peu plus qu’il ne l’avait déjà fait dans la représentation de personnages féminins. Ensuite, parce qu’il a la mauvaise idée de faire lire les premières pages d’un scénario encore en chantier à son interprète. Romy invite Dabadie et Sautet chez elle et montre son mécontentement : Claude lui avait promis un film pour elle, et là elle voit plusieurs personnages féminins dans l’histoire. Elle reproche aux auteurs de faire un Vincent, François, Paul et les autres avec des femmes. Que feront-ils si elle refuse le film ? Dabadie ose répondre qu’ils en seront bouleversés mais qu’ils feront le film avec une autre. L’auteur voit alors s’abattre sur lui la foudre de Romy. Une colère dantesque. Qu’on se le dise, Une histoire simple c’est le film de Romy, pour Romy, celui qu’elle attend de Claude tel un cadeau. Pas question qu’il en soit autrement. Et il sera effectivement le seul film de leur collaboration véritablement écrit pour l’actrice. 

Avec Une histoire simple, Sautet prend une fois encore le pouls de la société française qui voit la femme s’émanciper, la loi Veil pour l’avortement votée, et la violence économique frapper les plus fragiles. Romy y incarne Marie. Dès la première scène, le personnage est posé : elle avorte de l’enfant qu’elle porte, conçu avec un compagnon qu’elle n’aime plus et va quitter. Marie est une femme libre, suivant son instinct au mépris des codes établis. Elle veut un homme, elle veut un enfant, elle est incapable d’avoir les deux en même temps. Un personnage fort qui assume ses choix et dans lequel l’actrice Romy se reconnait pleinement. Sautet décrit des femmes qui avancent et sont en perpétuelles réinventions alors que les hommes semblent dépassés. Comme toujours, l’écriture est fine, ciselée. Les personnages existent jusqu’au plus petit second rôle, les interprètes sont majestueux et la petite musique de Sautet touche encore une fois au cœur. Un cadeau magnifique, donc, du pygmalion à sa muse qui, cerise sur le gâteau, vaudra à Romy son second césar de la meilleure actrice. Un cadeau d’adieu puisque, sans qu’ils le sachent l’un et l’autre, cette Histoire simple sera la dernière qu’ils vont raconter ensemble.  

Ils se sont faits l’un l’autre. Claude Sautet a donné à Romy Schneider des rôles en accord avec la femme qu’elle était et Romy a véritablement fait entrer les femmes dans l’univers masculin de Sautet. Chacune de leur collaboration a donné un film formidable. L’œuvre de Sautet s’est définie un peu plus avec l’actrice Romy Schneider. Ils le disaient eux-mêmes, ils ont eu la chance, le miracle de se trouver. On peut imaginer que si le destin de Romy ne fut pas à ce point tragique, ils auraient écrits ensemble d’autres pages de leur histoire. Rares ont été les réalisateurs et comédiens qui, au cours d’une décennie seulement et en à peine cinq films, marquèrent aussi durablement l’histoire de notre cinéma et touchèrent le cœur du public. Aujourd’hui encore, la magie est intacte. 

 

 

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