SYNOPSIS : Alors que l’espèce humaine s’adapte à un environnement de synthèse, le corps humain est l’objet de transformations et de mutations nouvelles. Avec la complicité de sa partenaire Caprice, Saul Tenser, célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin, une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux se manifeste : ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…
David Cronenberg fait plus que jamais partie de ces cinéastes où chaque film va s’inscrire dans une œuvre d’ensemble. Cette assertion pourrait convenir à tous les réalisateurs, mais son univers est d’une telle singularité, interpelle tant, qu’on entend régulièrement des cinéphiles évaluer quel est leur Cronenberg préféré. Lui-même tente de s’en préserver : « Quand j’écris un nouveau film, je ne pense pas à mes anciens films. Mais je sais qu’il y aura forcément des liens car ils sont issus du même système nerveux. Et j’espère commettre encore quelques crimes cinématographiques« . Son dernier long-métrage, Maps to the Stars (2014) datait d’il y a 8 ans, et avait somme toute divisé la critique comme souvent. Ici, Cronenberg renoue avec son genre de prédilection, le body horror après eXistenZ (1999). 23 ans d’attente pour les puristes, autant dire une éternité!! Notons que le scénario de Les crimes du futur a été écrit il y a plus de 20 ans, et que le réalisateur est aujourd’hui un expérimenté Monsieur canadien de 79 ans, qui continue à nous balancer ses fantasmes sur grand écran !! « La chirurgie est le nouveau sexe« , nous sommes d’emblée prévenus. Dans ce monde post apocalyptique, où les organes poussent de nos enveloppes, on mange surtout du plastique, et ce n’est pas forcément fantastique… A ce petit jeu-là, Saul (Viggo Mortensen) et Caprice (Léa Seydoux) se produisent publiquement, dans des shows d’extraction d’organes, qui sont toujours filmés par nombre de spectateurs silencieux. Il est difficile de ne pas y percevoir une once de critique d’une forme de voyeurisme de masse.
Clairement Les crimes du futur n’échappe pas à la règle des constats précédents. Malgré une forme de savant bordel dans le mix des idées développées, c’est fascinant et captivant à souhait, et même organique, c’est le moins que l’on puisse dire. Et pas non plus si dégueu que ça. Sans doute aussi, car l’empathie n’est délibérément pas ce que l’on ressent le plus pour les personnages qui charcutent et se font charcuter… Sauf peut-être pour le spectacle de l’enfant mort, mais en même temps, comme il est mort tout de suite, on a moins le temps de l’aimer vraiment…. Mais quand même, ces questionnements obsessionnels de Cronenberg sur la matière, sur l’intérieur des corps, et la souffrance comme objet de plaisir sexuel sont complétement fous mais incroyables à regarder, car elles vont venir titiller chez le spectateur comme une impudeur un peu crasse et limite coupable. Le réalisateur est un maître en la matière, et cette transmission d’émotions là est un geste cinématographique éminemment talentueux.
Au-delà de l’histoire, prétexte à la passion historique de Cronenberg pour du découpage de chair en règle, à l’horizontale, la verticale, au scalpel comme au marteau piqueur, ça scarifie et sacrifie en jouissant, Les crimes du futur est une immense démonstration de mise en scène, avec un surréalisme de l’esthétisme, des effets visuels et sonores, des plans de coupe (humour…) qui viennent appuyer la dimension fantastique du cinéma Cronenbergien… De nombreuses références viennent faire penser à d’autres œuvres du cinéaste, dans cette forme de passion hypnotique pour les corps, comme dans Faux- semblants (1989) dont l’affiche est d’ailleurs à peu près la même que notre film du jour ou Vidéodrome (1984) dans les tortures corporelles. Bon après, il y a toujours beaucoup de Cronenberg dans Cronenberg, et réciproquement (…). Mais tout ça pour dire qu’il est possible d’aimer Les crimes du futur sans être fan de base du style du réalisateur, mais que c’est quand même plus dur… Le personnage de Saul semble devoir être une incarnation de David Cronenberg himself, portrait d’un artiste dérangeant, mais plus que jamais performer, vieillissant et qui se questionne sur la marche du monde, en tripatouillant les organes. C’est donc Viggo Mortensen qui s’y colle et qui offre à son personnage une belle émotion contrariée de l’artiste torturé. Il est flippant et presque émouvant. Bien vu Viggo. Léa Seydoux semble touchée par la grâce dans un peu tout ce qu’elle fait en ce moment. Son personnage de Caprice n’échappe pas à la règle. Évoquer uniquement le charme (néanmoins réel) serait lui faire offense, tant elle incarne son personnage en l’habitant de manière à laisser voir les nombreuses émotions de Caprice, qui viennent presque humaniser un décor d’ensemble très désaffilié.
Au final, Les crimes du futur est œuvre de radicalité, sans être pour autant outrancière. Même si tout y est : les balafres, les mutilations ou autres incisions de chairs, si chères au génie. La poésie est bien là et si nous sommes parfois un peu volontairement perdus dans quelques étrangetés, l’esthétique noirceur de Cronenberg fonctionne toujours autant, le moment passe vite et les émotions vécues, si elles ne sont pas forcément inoubliables, sont loin d’être inintéressantes.
Titre Original: CRIMES OF THE FUTURE
Réalisé par: David Cronenberg
Casting : Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart …
Genre: Science fiction, Thriller, Epouvante-horreur, Drame
Sortie le: 25 mai 2022
Distribué par: Metropolitan FilmExport
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Festival de Cannes 2022, Les années 2020